Jusqu’aux dernières heures, elle a été ajustée. La touche finale à la loi d’orientation des mobilités (LOM) a été mise dans la soirée du 25 novembre, pour une présentation en Conseil des ministres le lendemain à 10 heures. Une situation emblématique de la construction de ce texte, jalonnée de multiples difficultés.
Un dégonflage du texte tardif
À la clôture des Assises, mi-décembre 2017, la LOM est annoncée pour février. Un planning de trois semaines de réunions interministérielles doit rythmer janvier. Mais la machine va vite se gripper. La réforme ferroviaire vient percuter tout l’édifice. La décision de mettre ce dossier sur le haut de la pile n’est prise que fin janvier.
Tandis que le cabinet d’Élisabeth Borne est happé par la réforme de la SNCF, la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) continue de plancher sur la LOM. La DGITM a entre les mains près d’un millier de mesures potentielles issues des Assises. Elle en retient environ 220 et aboutit à un premier jet du texte avec environ 150 articles. Quand le cabinet émerge de la réforme ferroviaire en juin, il sabre, voulant se concentrer sur l’essentiel. Entre-temps, des échanges interministériels ont eu lieu tout au long du printemps.
"Le travail interministériel a été engagé sur la base d’un texte trop gros, illisible, avec un travail de resserrement qui n’avait pas été assez fait par le cabinet", regrette un bon connaisseur du dossier.
"Il y a eu un vrai manque de communication et de coordination sur cette loi durant le printemps", abonde un autre. Résultat, de février à juin, les réunions interministérielles (RIM) ont patiné. Mais cette erreur n’explique pas à elle seule les atermoiements.
Des RIM inefficaces
"La machine à arbitrer a été particulièrement inefficace", juge un de ceux qui ont observé les échanges. Une quarantaine de RIM ont lieu (un nombre particulièrement élevé pour une loi sectorielle), sans que les sujets soient tranchés. Alors que la première s’est tenue en janvier, le premier document qui acte des arbitrages issus de RIM, le "bleu", n’a été produit qu’à l’été.
"Les premières RIM ne servaient à rien. Tout le monde s’en fichait, hormis le ministère des Transports, et peut-être la DGCL [Direction générale des collectivités locales, ndlr]", assène un des participants.
"Il était très difficile d’intéresser en interministériel, car il s’agit de sujets techniques, pour certains arides", explique un autre.
Néanmoins, chaque mesure y est disséquée.
"En principe, une RIM est faite pour arbitrer entre deux ministères qui ne sont pas parvenus à se mettre d’accord. Pendant les RIM sur la LOM, on refaisait l’instruction technique des mesures. Y compris celles qui ne concernaient que le ministère des Transports et ne nécessitaient donc pas un arbitrage interministériel, mais un simple feu vert de Matignon. Finalement, personne ne décidait."
Un autre participant y voit la volonté de pousser les différents ministères à échanger, à défaut de l’avoir fait auparavant. "Des échanges interministériels avaient lieu en amont", assure pourtant un des acteurs. Sauf qu’en RIM, certains ministères envoient parfois des interlocuteurs différents. Les discussions reprennent donc au début.
Une centralisation qui a grippé la machine
Autre difficulté : la centralisation de la prise de décisions. À Matignon, le conseiller transports d’Édouard Philippe, Jimmy Brun (qui occupe aussi ce poste auprès de l'Élysée), n’est pas le seul à avoir suivi la progression de tout le texte. Le directeur de cabinet du Premier ministre, Benoît Ribadeau-Dumas, s’est aussi penché sur chaque mesure.
"Le fait qu’un nombre incroyable de microdécisions soient remontées jusqu’au directeur de cabinet du Premier ministre a considérablement embolisé le système", estime un des acteurs du dossier.
"Il [le directeur du cabinet du Premier ministre, ndlr] ne connaît pas le sujet transports. Il lui fallait donc un temps d’appropriation, car il souhaitait comprendre un minimum ce qu’il décidait. C’est normal, mais ça ralentit le processus. D’autant qu’il n’a pas que la LOM à gérer… », pointe un autre.
Et lorsque les arbitrages sont enfin obtenus, ils sont parfois rediscutés quelques semaines plus tard. D'autres, sur les questions de financement, sont tout bonnement reportés.
Des débats de fond jamais tranchés
L’étirement dans le temps du processus d’arbitrage s’explique aussi, selon un acteur proche du dossier, par l’absence de décision globale sur deux questions idéologiques. Tout d'abord sur le rôle de l'autorité organisatrice. Le ministère des Transports souhaite que l’État et les collectivités deviennent davantage des "régulateurs" de la mobilité. Une vision à laquelle s’oppose une approche plus libérale d'autres ministères et de Matignon. Ce débat de fond sur le rôle de la puissance publique locale n’a pas été réellement arbitré.
Il en est de même des dispositifs de coordination. Le ministère des Transports a défendu plusieurs mesures qui devaient obliger les acteurs de la mobilité à travailler ensemble sur certains sujets, sans leur donner une obligation de résultat : contrat opérationnel de mobilité, plan d’action sur la mobilité solidaire… Est-il du rôle de cette loi de pousser les acteurs à échanger ? Cette question générale n’a pas non plus été tranchée. À chaque fois qu’un dispositif de cet ordre revenait sur la table, les discussions reprenaient donc de zéro.
Faute d’une philosophie clairement établie pour cette loi, la LOM a donc fait l’objet de "pinaillages" réguliers selon un acteur du dossier, nuisant à son avancée et à son ambition.
Un processus engagé un an trop tôt ?
Aujourd’hui, certains estiment que la LOM a également pâti d’une mauvaise temporalité. "Les Assises ont été lancées quand le sujet de la mobilité n’était pas politique. Un an plus tard, le mouvement des Gilets jaunes donne raison au diagnostic rabâché par Élisabeth Borne sur la nécessité de désenclaver, d’offrir des solutions alternatives dans des territoires où règne la voiture…", note un acteur du secteur.
"Si tout le monde avait mesuré la portée politique du sujet mobilité dès le départ, le parcours de la LOM aurait été différent", regrette un des défenseurs de la loi.
Ainsi, certaines mesures écartées en RIM pendant l’été ressurgissent aujourd’hui comme des possibilités, notamment sur le transport en zones rurales. D’autres, sous-traitées, reviennent au premier plan, comme les aides à la mobilité. Une situation qui pourrait se traduire par une avalanche d'amendements. "L’itinéraire de cette loi est loin d’être achevé. C’est véritablement avec le débat parlementaire que ce texte va vivre", souligne un de ses artisans.
Après une construction émaillée d’obstacles, la LOM va désormais poursuivre son parcours, dans un contexte où les questions de mobilité reviennent au premier plan du débat politique avec la crise des Gilets jaunes.
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