Depuis un mois, le gouvernement s’efforce de trouver des "pansements" à la plaie ouverte par la hausse de la fiscalité des carburants. Face aux Gilets jaunes, il s’appuie sur sa majorité parlementaire, dont il avait pourtant ignoré les alertes jusqu’alors.
Le Premier ministre a reproché aux députés LRM, lors de la réunion du groupe le 20 novembre, de ne pas faire suffisamment de "pédagogie" dans les médias. Une critique injuste, estime-t-on dans les rangs de la majorité. « On a calculé, il y a eu 25 interventions [de députés] à la télé le week-end de la manifestation [du 17 novembre] », assure l’un d’entre eux.
Surtout, certains députés se sont montrés très actifs en coulisses pour fournir à l’exécutif des rustines destinées à désamorcer la fronde.
Le groupe En marche transformé en "cellule de crise"
Fin octobre, des pétitions fleurissent sur Internet, un mouvement naît et prépare une première manifestation nationale, prévue le 17 novembre. Le gouvernement s’active alors pour élaborer un "plan" en direction des ménages modestes, sans toutefois se dédire sur la hausse de la TICPE. À ce moment-là, l’Assemblée a d’ailleurs déjà adopté la première partie de la loi de finances, qui confirme cette trajectoire.
Lors d’une réunion, le 7 novembre, Élisabeth Borne et François de Rugy demandent aux députés de la majorité de faire remonter des propositions.
Une véritable "foire aux idées" s’organise alors à l’Assemblée. Un groupe de travail est créé au sein de la majorité, cornaqué par les coordinateurs des commissions (whips), notamment Jean-Baptiste Djebbari (Développement durable) et Bénédicte Peyrol (Finances), et celle qui l’a précédée, Amélie de Montchalin, désormais première vice-présidente du groupe LRM. Ils s’efforcent d’« ordonnancer tout ça », témoigne le premier.
Au poste d’aiguillage, le rapporteur général du budget, Joël Giraud. La commande n’est pas d’inventer un nouvel outil fiscal ou économique, mais d’« améliorer les dispositifs existants ». Les idées affluent, plus ou moins pertinentes.
Un député proche du dossier minimise néanmoins le poids de ce dernier dans cet épisode.
L'idée du "Cercle girondin" partiellement reprise
Une première rustine apparaît, peu coûteuse : l’accompagnement par l’État des aides au transport régionales comme celles qu'ont mis en place les Hauts-de-France. Comme le remarque alors Régions de France, la défiscalisation de ces aides n’aura que peu d'impact, puisqu’elles s’adressent en priorité à des gens qui ne payent pas d’impôt.
Une autre réponse est dévoilée un plus tard, destinée à « faire la jointure avec les ménages imposables », selon Jean-Baptiste Djebbari. À l’origine, une proposition formulée par le député de la Gironde Benoît Simian : revoir à la hausse le barème de l'indemnité kilométrique pour les petites cylindrées (3 et 4 chevaux) et, pour équilibrer budgétairement le dispositif, sortir du barème les véhicules les plus puissants (plus de 7 chevaux). L’idée d’un coup de pouce sur les petites cylindrées est reprise par l’exécutif, mais pas celle d’un rééquilibrage au détriment des grosses, comme le préconisait le député. La mesure viendra donc vraisemblablement alourdir le déficit public.
Benoît Simian dispose d’une triple casquette légitimant sa démarche : rapporteur spécial du budget des transports à la commission des Transports, il préside le groupe d’études "routes et sécurité routière" de l’Assemblée et a lancé la création du "Cercle girondin", qui regroupe une vingtaine de députés LRM de territoires ruraux.
D’autres initiatives des députés LRM séduisent le gouvernement. C’est le cas des discussions avec la Fédération bancaire française (FBF), portées par la commissaire aux Finances, Olivia Grégoire, qui visent à promouvoir le micro-crédit pour l’achat de voitures "propres".
Les députés parlent dans le vide
Plusieurs annonces ultérieures du gouvernement, destinées elles aussi à éteindre l’incendie déclenché par les Gilets jaunes, comme l’élargissement du chèque énergie et la "super prime" à la conversion pour les ménages modestes, avaient également été soufflées par des députés. Mais l’exécutif n’avait alors pas vraiment tendu l’oreille.
« On alertait depuis trois, quatre mois, notamment sur la nécessité d’identifier les ménages les plus impactés par la fiscalité énergétique », témoigne Laurianne Rossi, deuxième questeure de l'Assemblée, membre de la commission du Développement durable et spécialiste des transports.
Avec le groupe de travail informel des députés LRM sur la fiscalité écologique, dirigé par Bénédicte Peyrol, ils ont tenté, en vain, de faire remonter les "signaux faibles" annonciateurs du mouvement de contestation.
Le hulotiste Orphelin avait vu venir les Gilets jaunes
Comme Ronan Dantec et comme Nicolas Hulot, dont il est proche, Matthieu Orphelin avait vanté la nécessité d’un « accompagnement social » à la hausse de la fiscalité des carburants. Le député écologiste a fait adopter en commission du Développement durable, lors de l’examen du budget le 3 octobre, un amendement faisant bénéficier les automobilistes de « dispositifs incitatifs supplémentaires » lorsque le prix du baril grimpe. Un dispositif qui visait simultanément à "sécuriser" la trajectoire pluriannuelle de hausse de la TICPE en ouvrant la possibilité d’en minorer l’impact sur le portefeuille des automobilistes.
Notre article "La commission du Développement durable met son grain de sel dans le budget 2 019".
Selon Jean-Baptiste Djebbari, la proposition a été expertisée par Bercy, qui l’a jugée non pertinente. La preuve, selon ce dernier, du « cruel manque de moyens d’expertise dont disposent les députés ».
En séance, le 18 octobre, Matthieu Orphelin et la commission du Développement durable se font renvoyer dans les cordes par le gouvernement lorsqu’ils présentent leurs amendements.
Outre les députés de la majorité membres de la commission du Développement durable, les députés Jean-Pierre Vigier (LR), Erwan Balanant (Modem) et Thierry Benoît (UDI), notamment, ont soutenu en séance l'amendement de Mathieu Orphelin.
« Nous avons d’ores et déjà un dispositif très solide pour atténuer l’impact de l’augmentation des prix à la pompe sur les ménages directement concernés », assure Bruno Le Maire, citant la prime à la conversion et le CITE.
Le ministre de l’Économie demande aux députés de retirer leurs amendements ; ils s’exécutent.
C’est pourtant un mécanisme assez proche qu’a fini par présenter Emmanuel Macron le 27 novembre, et qui doit être introduit en nouvelle lecture du projet de loi de finances. Et, alors que l’exécutif reprochait à Matthieu Orphelin l'impact probable de sa proposition sur les finances publiques, la solution qu’il a finalement élaborée – un ersatz de "TIPP flottante" – entraînera forcément un manque à gagner pour l’État.
Toujours flou malgré les tentatives d'explications du Premier ministre, le 28 novembre, ce dispositif a été présenté plus en détail aux députés de la majorité à Matignon le soir même.
Manque de lucidité
Le gouvernement reconnaît aujourd’hui, du bout des lèvres, avoir mal anticipé la colère populaire. Et s’il exhorte les députés à participer à l’effort d'explication dans leurs circonscriptions et sur les plateaux télé, ces derniers le renvoient à son manque de lucidité depuis le début du quinquennat. Certains, comme Patrick Vignal, ont même fini par soutenir la demande de l’opposition d’un "moratoire" sur la hausse de la fiscalité.
« Cela fait un an et demi que je demande [au gouvernement] : “Est ce qu’on a un ‘crash scénario’ sur la TICPE ?” et que l’on me répond “non” », déplore un député très investi sur le dossier.
Le crash a fini par arriver, paré d’un gilet jaune.