Le président français et la chancelière allemande ont eu le privilège d’être prévenus quelques minutes avant. Pas les négociateurs grecs auprès des institutions. Ils ont appris en direct et sur Twitter que leur Premier ministre avait décidé d’organiser un référendum, le 5 juillet, sur la dernière proposition d’accord de la zone euro, du FMI, et de la BCE.
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Colère dans les capitales
Vendredi 26 juin, vers 23 heures, Alexis Tsipras a ainsi joué son va-tout en appelant son peuple à devenir l’ultime arbitre du bras de fer qui l’oppose depuis cinq mois à ses créanciers.
Il a provoqué la stupeur - voire la colère - à Bruxelles et dans les capitales. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble a considéré qu’il s’agissait d'une rupture “unilatérale” des négociations et qu’il n’était plus question de discuter de quoique ce soit. Le 30 juin, le programme d’assistance expirera et la Grèce se retrouvera seule.
Cet acte conclut une semaine d'intenses tractations où les signaux contradictoires se sont succédés, laissant transparaître une cassure plus profonde qu'une question de taux de TVA ou de financement des retraites en Grèce.
Juncker "pro-grec"
La valse des réunions commence lundi 22 juin dans la soirée. Les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro sont à Bruxelles pour une discussion "politique" au sommet, réclamée depuis des semaines par Alexis Tsipras. L’optimisme est alors de mise, même si le temps presse.
“Athènes a rempli 90% des demandes qui lui ont été faites”, assure-on à la Commission européenne à l'issue des discussions.
Derrière les nouvelles propositions grecques, Jean-Claude Juncker est à la manœuvre. Depuis 10 jours, ses services n’ont eu de cesse d’aider Athènes à trouver des marges de manœuvres face au FMI et aux ministres des Finances de la zone euro.
Dimanche 21 juin, son directeur de cabinet, Martin Selmayr, n’a d'ailleurs pas hésité à tweeter, vers une heure du matin, que le nouveau texte qu’il vient de “recevoir” est encourageant et qu’un accord “au forceps” sera conclu.
Mais cet engagement déplaît.
"Des pays nous ont accusés d’être du côté des Grecs, affirme une source européenne haut placée. Allemagne, Pays-Bas, Slovaquie, Baltes, même les Espagnols, sont très durs."
La Grèce refuse de s'engager sur un calendrier de réformes
Gifle publique pour Juncker, Wolfgang Schäuble déclare, mercredi 24 juin, que les nouvelles propositions grecques de la veille représentent “un recul”.
“Les tensions avec Tsipras ont repris quand il a fallu détailler les actions prioritaires à prendre dans les prochaines semaines”, lâche, fatigué, un diplomate d'un grand pays, jeudi 25 juin.
Vendredi 26 juin, les créanciers proposent de verser 15,5 milliards d'euros à la Grèce payés par tranches, au fur et à mesure des réformes, sur cinq mois.
Mais les réticences d'Athènes à s'engager sur un calendrier augmentent la lassitude de ses partenaires, déjà irrités. Depuis les eurogroupes de février, les Grecs, qui misent sur la clémence des Européens dans une négociation à l’arraché, traînent les pieds.
"Si Tsipras a pu penser qu'avec une discussion politique les conditions seraient moins dures, il s'est fortement trompé", assure un proche des négociations.
Blocage sur la retraite et la TVA
Sur le plan technique, les taux de TVA et la réforme des retraites ont constitué, jusqu'au bout, des points de blocage. Mais réduire l’incapacité des deux parties à parvenir à un accord, au simple refus de Tsipras de plier, serait réducteur.
La Grèce s’est engagée, en 2010 et en 2012, à réformer son système de pension. Aucun gouvernement n’a pourtant osé le faire, y compris celui du conservateur Antonis Samaras. Une situation qui n’empêche pas aujourd’hui le Parti populaire européen de soutenir les demandes des créanciers.
Les retraités grecs ont le droit à une prime, nommée EKAS. Les créanciers veulent y mettre un terme de façon graduelle d’ici décembre 2019. Mais pour de nombreuses personnes, elle représente un bonus qui permet d’aider les plus jeunes de la famille au chômage. Y mettre un terme aurait des conséquences au-delà des retraités.
“Certains membres du PPE, y compris des ministres, en ont assez car ils ne voient pas les choses changer”, affirme une source européenne.
Pourtant, ce sont bien les membres de la zone euro qui ont approuvé régulièrement, depuis quatre ans, le versement des tranches d’aides du plan d’assistance. En les justifiant au nom des progrès réalisés en Grèce. Tsipras paie l'irritation générée par l'absence de réformes suffisantes dans le pays, aux yeux des Européens, ces dernières années.
Et aujourd'hui, la liste des mesures demandées ne cesse de s'allonger, au nom de l'unique logique comptable des plans d'assistance qui pour être validés par les créanciers, nécessitent 8 milliards d'euros d'économies sur deux ans. Des efforts très importants à l'échelle du pays (PIB de 240 milliards), et que bien d'autres États seraient incapables de mettre eux-mêmes en place.
Ligne dure de l'eurogroupe
De leur côté, les ministres des Finances, en particulier ceux du nord de l’Europe, ont refusé jusqu'au vendredi 26 juin, d’évoquer la soutenabilité de la dette. Une demande pourtant cruciale pour Tsipras depuis le début, pour pouvoir faire valider un accord par son Parlement et sa majorité.
Orchestré par la ligne dure de l'eurogroupe, ce blocage est d'autant plus incompréhensible qu'en 2012, les ministres ont approuvé l’idée que si en 2020, le niveau d’endettement du pays restait supérieur à 124% du PIB, des mesures seraient prises pour le réduire.
Il est aujourd’hui de 180%. Difficile d’imaginer que la Grèce puisse rembourser l’équivalent de 56% de sa richesse nationale en 5 ans.
Mais, dans la logique de l'Europe du Nord, le principe d’une restructuration des créances du pays devait rester l’ultime récompense en échange des efforts demandés à Alexis Tsipras.
Jouer à qui cédera le premier
Les partenaires de la Grèce affirment désormais que la porte a été claquée au pire moment puisque le sujet arrivait enfin sur la table… Trop tard ? Ont-ils poussé leur intransigeance trop loin ?
“C’est l’histoire de l’œuf ou la poule, de qui cédera le premier sur le point qu’il juge capital”, jugeait une source européenne, jeudi 25 juin.
Or, pour franchir un pas dans une négociation, les deux parties doivent se faire suffisamment confiance pour accepter de sauter dans le vide main dans la main. Ce point n’a jamais été atteint. Tsipras a alors abattu sa dernière carte, son peuple, dans l’espoir d’obtenir un meilleur accord.
Mais, lors de sa conférence de presse, samedi 27 juin, le président de l’eurogroupe a été cinglant et mis en doute la volonté réelle du Premier ministre grec d’accepter le plan si le résultat du référendum était positif.
On dit à Bruxelles que l’UE est une “communauté de droit”. La zone euro, ensemble bien moins structuré, se contentant d'une vague coordination, repose sur la confiance. Avec les Grecs, elle a disparu.