L’été n’aura été qu’un court répit, au milieu d’une séquence de turbulences de laquelle l’Union européenne n’arrive pas à se sortir. À peine la séquence grecque achevée, que l’afflux de réfugiés a pris de l’ampleur et occupe toute l’attention.
Ainsi, pour la quatrième fois depuis janvier, un sommet extraordinaire a été organisé à Bruxelles, le 23 septembre, pour tenter d’apaiser les tensions entre dirigeants.
Une Commission qui mouille la chemise
En effet, sur les deux plus grands défis actuels, la zone euro et les réfugiés, les institutions communautaires ne peuvent avancer sans une réunion entre les chefs d'États et de gouvernements.
Dans le premier cas, cette nécessité s'explique par les implications financières qui demandent des validations nationales. Pour le second, la sensibilité de la question de l’accueil de migrants sur son sol, et les enjeux de société qui en découlent rendent le dossier explosif.
"Depuis plusieurs mois, le fonctionnement de l’UE repose sur l’organisation de Conseils européens... Il est devenu la clé de voute de notre système, et si un sujet n’est pas traité par les chefs d’État et de gouvernement, il n’existe pas", se lamente un diplomate européen.
Pourtant, dans les deux cas, la Commission européenne se montre très active et joue son rôle de moteur de l’UE. En juin, son président, Jean-Claude Juncker, s’est personnellement impliqué dans les négociations avec le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, quitte à se faire mal voir de Berlin. Sur les réfugiés, dès avril, il a proposé de répartir 40 000 personnes dans les 28. Malgré les premiers refus en provenance de l’Est, il a maintenu sa proposition.
Mais cette volonté d’implication de l’exécutif européen n’efface pas pour autant les réflexes des gouvernements qui préfèrent écarter la Commission dès que possible, comme lors du dernier round de négociations sur la Grèce à la mi-juillet, ou faire la sourde oreille à ses demandes avec la mise en place d'un mécanisme permanent de relocalisation pour les réfugiés.
Les États savaient aussi depuis longtemps que la zone euro et Schengen ne disposaient pas des structures communes pour faire face à des périodes de tensions, mais la préservation de leur souveraineté en matière de politique économique ou migratoire a primé sur une vision à long terme.
Ainsi, tout remonte au Conseil européen, une institution intergouvernementale où règne la loi du plus fort. Or, à ce jeu là, c’est l’Allemagne qui part avec un avantage sérieux. Seul Berlin dispose de l’influence et du poids politique et économique pour décider de l’axe à donner à la politique européenne.
Forcer la main à l’Est
Ce sont les réticences de plusieurs pays de l’Est à agir face à la crise des réfugiés qui ont poussé l’Allemagne, en août, à prendre l’initiative de suspendre l’application des règles d’asile, concernant les personnes en provenance de Syrie.
"Berlin a utilisé de façon très extensive une clause humanitaire, qui permet normalement au cas par cas, de ne pas renvoyer quelqu’un dans le pays par lequel il est rentré sur le territoire de l’UE", explique Yves Pascouau, du Centre des politiques européennes, un think tank bruxellois. "Derrière l’aspect humain de son choix, Berlin a agi de manière unilatérale entraînant une modification des routes migratoires et une déstabilisation de la région."
Les secousses imposées depuis Berlin ont été d'autant plus brutales que la stratégie allemande est mouvante. Après l'élan de générosité du mois d'août, le gouvernement a décidé de rétablir les contrôles à ses frontières, pour limiter l'entrée de réfugiés déjà arrivés dans l'espace Schengen.
La colère a été particulièrement forte en Slovaquie, Hongrie, République tchèque et Roumanie, les quatre pays dont les ministres de l’Intérieur ont refusé de voter les quotas de relocalisation des réfugiés.
"Les États se rendent compte qu’ils ont communautarisé des compétences, sans en mesurer les conséquences", juge le chercheur. "Surtout à l’Est, où ce sont traditionnellement des sociétés d’émigration, et qui pourraient devenir des sociétés d’immigration. Ils ont l’impression qu’on leur impose ce changement. Ces règles, ils les ont pourtant accepté en 2004 en adhérant à l’UE."
D’ordinaire, sur des sujets aussi sensibles, un accord tacite entre les gouvernements les poussent à chercher une solution de consensus pour éviter de passer par un vote. Et ce, même si les traités prévoient un scrutin à la majorité qualifiée [55% des États représentants 65% de la population].
Mais la détermination de Berlin a été si forte dans ce dossier, que son ministre de l’Intérieur a été jusqu’à menacer les récalcitrants de suspension des fonds régionaux européens. Une menace qui n'a aucune chance de se concrétiser puisque la législation européenne ne le permet pas. Mais de tels propos sont d'une rare violence politique entre Européens.
Comme avec Maastricht en 2003
L'unilatéralisme allemand a aussi été vécu au début de l’été, autour du cas grec. Samedi 11 juillet, alors que les institutions (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) jugent valables les propositions grecques pour commencer les discussions autour d'un nouveau plan d'aide, l'Allemagne rejette le texte et réclame plus de mesures contraignantes pour Athènes.
Elle est alors soutenue dans sa démarche par plusieurs pays du Nord et de l’Est (Slovaquie, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie).
"Je n'ai pas souvenir d'un tel revirement politique par rapport à un avis basé sur une expertise, avouait ce soir là, un diplomate européen. Cela me rappelle 2003, quand les Français et les Allemands ont décidé de contourner les règles du pacte de stabilité au nom de leur propre logique."
Le risque de contagion
Cet état de tension permanent au sein du Conseil européen, avec des lignes de fractures qui oscillent entre Est et Ouest ou Nord et Sud, en fonction des sujets, fait planer le risque d’une contagion des rancoeurs sur d’autres sujets.
Au soir du Conseil européen du 24 juin, alors que plusieurs pays avaient refusé de faire des concessions sur la répartition des réfugiés, l’amertume se faisait sentir.
"Il est plus que probable que l’attitude de certains sur la question des migrants aura des conséquences dans d’autres dossiers", affirmait alors une source issue d’un vieil État membre.
Au début du mois de septembre, l'Autriche et l'Allemagne ont ainsi fait comprendre au Premier ministre britannique, que sans participation du Royaume-Uni à l'accueil des réfugiés, les deux gouvernements pourraient se montrer moins coopératif sur la question de la renégociation des traités, demandée par Londres.
Lors de leur conférence de presse finale du sommet du 23 septembre, Angela Merkel, François Hollande et Jean-Claude Juncker ont tous affirmé que leurs discussions furent intéressantes et constructives. Pour sa part, un diplomate européen a résumé l'intérêt de la rencontre des chefs d'État et de gouvernement du 23 septembre à une réunion pour tenter "d'enterrer la hache de guerre".