Fin du suspens. Les positions de la rapporteure Therese Comodini Cachia (PPE) sur la directive droit d’auteur sont enfin connues. Pendant tout le processus de rédaction de son rapport, elle a mis un point d’honneur à rester neutre, ne laissant aucunement deviner la direction que prenaient ses travaux.
Therese Comodini Cachia est rapporteure pour la commission des Affaires juridiques.
Son projet de rapport, que Contexte s'est procuré, s'écarte des propositions de la Commission européenne sur les aspects les plus controversés : les droits voisins pour les éditeurs (article 11) et le "value gap" (article 13). L'exposé des motifs.
Disparition des droits voisins et priorité à l’accès aux contenus
Lors d’une conférence sur les droits voisins, organisée fin février au Parlement européen, Therese Comodini Cachia a expliqué que sa priorité était l’accès aux contenus pour les utilisateurs. « Les discussions avec mes collègues se focalisent sur une chose : essayer de comprendre si la proposition de la Commission va rendre l’accès aux contenus plus facile ou plus difficile », a-t-elle déclaré.
L'eurodéputée a manifestement jugé que la création de droits voisins pour les éditeurs entraînerait une limitation d'accès aux contenus. Elle a remplacé ces droits par un droit à "défendre en leur nom propre les droits des auteurs et à chercher des recours". En clair, les éditeurs de presse pourront attaquer les plateformes en justice s’ils estiment que leurs contenus ont été utilisés de façon abusive.
Dans son projet d’avis pour la commission du Marché intérieur, Catherie Stihler (S&D) a également supprimé ce droit, mais sans le remplacer par d’autres dispositions.
Therese Comodini Cachia a aussi clarifié le statut des hyperliens :
"Cette protection ne s’étend pas […] aux systèmes d’indexation comme les hyperliens."
"Le partage à but non lucratif des informations et des opinions est important dans les sociétés démocratiques modernes", précise-t-elle également dans son rapport.
L’impossibilité pour les particuliers de partager des hyperliens sous peine d’être sous le coup d’une violation du droit d’auteur est l’une des principales craintes soulevées par la création d'un droit voisin pour les éditeurs. À tel point que des eurodéputés transpartisans ont lancé une campagne baptisée Save the Link.
L’eurodéputée Julia Reda (Pirates en Allemagne, Verts au Parlement), opposante de la première heure à la création de ce droit, s’est réjouie de sa disparition :
C’est Günther Oettinger, l’ancien commissaire au Numérique passé au Budget, qui a poussé l’intégration des droits voisins dans la proposition de la Commission. Certains observateurs bruxellois y voient la main du géant allemand de la presse, Axel Springer.
"Nous savons maintenant qu’aucune des controversées pièces maîtresses de la proposition de réforme du droit d’auteur ne jouit d’un soutien majoritaire au sein du Parlement européen. Maintenant qu’Oettinger est parti, le Parlement semble avoir le bon équilibre pour rejeter son héritage."
Sans surprise, un groupe de représentants des éditeurs européens a fustigé le projet de rapport.
Une moindre responsabilité pour les plateformes
La rapporteure a également éliminé quelques-unes des dispositions de la Commission européenne concernant le filtrage obligatoire des contenus par les plateformes, en précisant que de telles mesures ne doivent en aucun cas compromettre les exceptions au droit d’auteur. Cet article vise à réduire "le value gap", c'est-à-dire l'écart entre les revenus de la publicité touchés par les plateformes grâce aux contenus publiés et ceux qu’elles versent aux ayants droit.
Elle a par exemple supprimé du controversé considérant 38 la description faite par l’exécutif européen d’un "rôle actif" d’une plateforme. Dans le texte d’origine, ce "rôle actif" est décrit, entre autres, comme "l’optimisation de la présentation des contenus téléchargés". Ce qui faisait automatiquement tomber YouTube ou DailyMotion sous le coup du texte.
C’est cette qualification de "rôle actif" qui fait tomber la plateforme sous le coup du champ d’application du texte.
Therese Comodini Cachia a aussi supprimé la mention de mise en place "de technologies efficaces" de reconnaissance de contenus. La Commission voulait que les plateformes s’inspirent de Content ID, le logiciel de YouTube.
Depuis qu’il a été présenté, le texte a souvent été accusé d’être contraire à la directive e-commerce, qui limite la responsabilité des plateformes. Afin d’assurer une cohérence juridique, Therese Comodini Cachia propose de préciser que ces dispositions visent à "compléter" le régime de responsabilité prévu par la directive.
La Maltaise estime par ailleurs que la responsabilité de reconnaissance de contenus violant le droit d’auteur est partagée avec les ayants droit :
"La mise en place de telles mesures nécessite une identification correcte des œuvres par les ayants droit."
Défense collective pour les auteurs et les interprètes
Le projet de rapport affirme un droit pour les auteurs et les interprètes à "une rémunération équitable pour l’exploitation de leurs travaux", en plus de la possibilité, prévue par la Commission européenne, de demander une rémunération supplémentaire en cas de succès de l’œuvre exploitée. Par ailleurs, elle précise que cette demande peut se faire par "les organisations représentatives" des auteurs et des interprètes.
Par ailleurs, elle propose que les différends puissent être gérés de façon collective, par les organisations représentatives, ce qui rappelle les amendements déposés par le rapporteur pour avis de la commission Culture Marc Joulaud (PPE).
Cependant, point de "droit inaliénable à la rémunération", pourtant demandé par les ayants droit de l'audiovisuel.
Légère ouverture du text and data mining (TDM)
Concernant le text and data mining (TDM), Therese Comodini Cachia ne va pas jusqu’à l’autoriser à des fins lucratives. Cependant, elle élargit un peu les possibilités d’utilisation de cette exception :
"Les organisations de recherche doivent aussi pouvoir bénéficier de cette exception lorsqu’elles se lancent dans des partenariats public/privé."
Par ailleurs, elle propose de permettre la rétention des ensembles de données utilisés "de la finalisation du processus de TDM", notamment pour pouvoir vérifier les résultats des recherches.
Le texte sera débattu en commission des Affaires juridiques les 22 et 23 mars.