De loin, le règlement sur l’espace européen des données de santé (EEDS) fait l’effet d’un texte un peu « niche », d’une excroissance à la vaste stratégie européenne pour la circulation des données dans l’UE. Ce règlement, pourtant, pourrait chambouler les us et politiques des Vingt-Sept en matière de consentement.
Le projet sur la table autorise en effet scientifiques, industriels et gouvernements à utiliser les données de santé des patients « à des fins secondaires » sans recueillir leur consentement…
Opt-out ou Opt-in : sur le terrain, qui dit quoi ?
- De l’industrie pharmaceutique à certaines associations de patients en passant par l’Agence européenne des médicaments, beaucoup poussent pour l’opt-out, de peur qu’un consentement strict ne limite la quantité de données disponibles. « Nous avons constaté qu’une majorité de patients jugent trop lourd d’être sollicité pour la moindre utilisation de leurs données, ce qui in fine nuirait à la recherche », explique Milana Trucl, conseillère politique pour le European Patient’s Forum (EPF), le lobby européen des patients.
Au-delà de la quantité, c’est aussi la qualité qui inquiète. L’opt-in, ajoute-t-elle, « pourrait affecter la représentativité des études ». « Il y a en effet un risque que seuls certains groupes spécifiques permettent le traitement de leurs données, en fonction de leur statut socioéconomique, de la maladie dont ils souffrent, de leur propension à partager des données lorsqu’ils ne sont pas malades, ce qui biaiserait les ensembles disponibles », détaille Teodora Lalova-Spinks, chercheuse postdoctorale à la KU Leuven et auteure d’une thèse sur la répartition équitable du contrôle des données et la responsabilité dans la recherche clinique. Avec l’opt-out, ce risque pourrait être réduit, « mais là encore, il faudrait très soigneusement s’assurer que les données restent aussi représentatives que possible », nuance-t-elle.
- Les organisations de patients, pour lesquelles la disponibilité de données de qualité et en quantité est primordiale, tendent davantage vers l’opt-out, mais avec quelques réserves. Eurordis, qui représente les patients atteints de maladies rares, appelle à favoriser un consentement large, mais ne voit « pas de solution unique ». L’EDF, lui, soutient que l’opt-out devrait être accompagné de mesures permettant d’améliorer la culture numérique en santé, l’accès aux outils numériques ou encore la transparence. « Le consentement ne devrait pas être considéré comme l’alpha et l’omega de la protection des données », abonde Teodora Lalova-Spinks, jugeant tout aussi important de veiller à ce que les citoyens puissent exercer les droits que leur offre le RGPD – droit d’accès, « à l’oubli », à la limitation du traitement, etc. – et être parfaitement informés de l’usage fait de leurs donnés.
- Pour les organisations de défense des libertés numériques, représentées à Bruxelles par l’EDRi, l’opt-out reste une option trop légère. Jan Penfrat, conseiller politique de l’organisation, identifie quatre risques que seul l’opt-in permettrait, selon lui, de pallier. Il craint – si l’EEDS reste trop vague sur les finalités de traitement autorisées – que les données soient traitées à des fins que les patients ne soupçonnent ni ne souhaitent. Il met en garde contre une utilisation abusive par les gouvernements, évoquant par exemple la surveillance des recours à l’avortement – dont la Pologne a pris le chemin avec son registre des grossesses. Il s’inquiète des risques de fuite de données et de chantage : l’opt-in permettrait au moins, précise-t-il, que les patients aient la main sur les données exposées. Il redoute, enfin, que l’absence d’opt-in brise le lien de confiance entre le patient et le praticien.