Ils étaient tous là, sous les dorures de Matignon. Dirigeants des grands opérateurs du secteur, élus locaux, parlementaires, représentants d’ONG, directeurs d’établissements publics avaient été conviés le 24 février pour enfin connaître les suites données au dernier rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI). L’effet de surprise était cependant limité, Matignon ayant distillé les éléments principaux dans la presse la veille du rendez-vous (relire notre briefing). Avant le discours de la Première ministre qui devait officialiser les annonces, plusieurs participants se réjouissaient déjà. Y compris du côté des ONG, qui attendaient le gouvernement au tournant sur ses ambitions écologiques.
Sur le coup de midi, Élisabeth Borne l’a donc confirmé : 100 milliards d’euros seront investis dans le ferroviaire d’ici 2040, en plus des montants déjà prévus pour le réseau. Dans cette enveloppe, 1 milliard par an sera consacré à la régénération du réseau ferré (en sus des 2,8 milliards déjà prévus) et 500 millions annuels iront à la modernisation (jusqu’ici non financée). La somme doit aussi permettre de financer les RER métropolitains, chers à Emmanuel Macron. C’était l’annonce la plus précise de la journée. Pour le reste, de nombreuses questions restent à trancher.
Top départ pour les négociations avec les élus
Car la remise du rapport du COI (dont une version quasi définitive avait été rendue publique par Contexte mi-janvier) est davantage un point d’étape qu’un aboutissement. Le scénario dit de « planification écologique » (notre article) établi par le COI constitue désormais une « base » pour travailler avec les parties prenantes.
« C’est un point de départ et le point d’atterrissage pourra être un peu différent en fonction des discussions avec les collectivités », explique-t-on à Matignon.
Le gouvernement sait que les élus locaux batailleront certainement pour ajouter ou accélérer des projets par rapport au scénario du COI. D’autant que, conformément à la recommandation de ce dernier, l’exécutif souhaite « réinterroger chaque projet d’extension du réseau routier, […] avec objectivité et transparence ».
Élisabeth Borne a en revanche annoncé que l’État renforcerait ses « investissements pour mieux entretenir et moderniser [le] réseau routier national » existant. Sans préciser le montant envisagé.
Le devenir des nouveaux projets routiers, le calendrier des lignes à grande vitesse ou encore celui du Lyon-Turin font partie des sujets de tensions qu’il va falloir dénouer. Charge aux préfets de mener les échanges. Leurs mandats de négociation vont leur être transmis en mars, avec pour objectif d’aboutir « d’ici l’été » aux contrats de plan État-régions.
Nouveauté : ceux-ci ne devront pas se contenter des sujets d’infrastructures. « Ils devront inclure des engagements réciproques sur l’organisation des mobilités et l’offre de services que les collectivités déploieront autour de ces infrastructures », a précisé Élisabeth Borne. L’ex-ministre des Transports, qui a porté la loi d’orientation des mobilités (LOM), souhaite « relier le financement des infrastructures aux usages qui en seront faits ». Le gouvernement compte aussi « veiller à ce que l’ensemble des outils de la LOM soient mis en œuvre, en particulier la cartographie des bassins de mobilités et les contrats opérationnels de mobilité ». C’est, pour l’heure, loin d’être le cas.
L’aérien et les autoroutes dans le viseur pour financer
Pour tous ces chantiers, le gouvernement ne compte pas être le seul à payer, loin de là. Collectivités, Union européenne ou encore SNCF seront mobilisées dans les tours de table. Pour les régions, le sujet est loin d’être évident, alors que l’inflation et l’envolée des prix de l’énergie grèvent les budgets. Quelle sera la part de l’État dans l’enveloppe finale ? Pour l’instant, il ne s’avance pas. Et comment financera-t-il son apport ? Sur ce point, la Première ministre a donné quelques pistes. Elle veut « mettre à contribution les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme l’aérien, et ceux qui dégagent des profits importants, comme les sociétés d’autoroute ». Les réflexions sur ce sujet vont se poursuivre d’ici l’été, précise l’entourage d’Élisabeth Borne. L’objectif est d’aboutir d’ici la préparation du projet de loi de finances 2024, explique à Contexte un conseiller.
Pour le secteur aérien, le débat sur la taxe dite « Chirac » (sur les billets d’avion) pourrait être relancé. En 2019, le gouvernement avait déjà activé ce levier pour financer une partie de la loi mobilités. Le président d’Aéroports de Paris s’est d’ailleurs récemment dit favorable à une hausse des billets d’avion, note une source ministérielle. Sauf que l’idée était plutôt de financer la décarbonation de l’aviation…
Pour les autoroutes, les enjeux sont aussi juridiques. Les contrats actuels de concessions arrivent à échéance à partir de 2031 (relire notre article). Le gouvernement souhaite-t-il anticiper leur fin pour reprendre la main ? L’entourage de Clément Beaune ne l’exclut pas totalement. Sinon, un conseiller évoque la piste d’une taxation, mais sur laquelle il faut encore plancher.
La mise à contribution des poids lourds, un temps envisagée lors des discussions sur la loi mobilités, n’est en revanche plus autant mise en avant. Même si l’instauration d’écotaxes régionales, comme le souhaite le Grand-Est, peut constituer une source de financement.
La Première ministre veut aussi « imaginer des ressources complémentaires, car une meilleure desserte, c’est d’abord un soutien pour l’attractivité et le développement économique ». Le modèle du Grand Paris Express, avec ses taxes affectées, inspire.
Besoin législatif pour faire évoluer la SGP
La Société du Grand Paris va d’ailleurs être mobilisée pour les projets de RER métropolitains. Elle les copilotera, en lien avec la SNCF, SNCF Réseau étant propriétaire du réseau ferré national. Là encore, dès mars, des discussions vont être lancées avec les exécutifs locaux concernés pour déterminer le calendrier, les modalités opérationnelles et de financement pour les nouveaux projets de RER métropolitains. Il faudra donc élargir les missions de la SGP. Pour cela, des évolutions législatives sont indispensables, explique-t-on côté cabinets ministériels.
Le type de véhicule n’est pas encore tranché par le gouvernement. Mais, selon nos informations, les députés Renaissance envisagent de porter le sujet via une proposition de loi. Le périmètre du texte et ses modalités restent à définir, mais plusieurs parlementaires y travaillent ensemble, en particulier David Valence, président du COI, et Jean-Marc Zulesi, président de la commission du Développement durable.
Y aura-t-il d’autres chantiers législatifs ? Là encore, le gouvernement donne rendez-vous à l’été. Lorsque les négociations sur les montants à engager, leur clé de répartition et les calendriers seront arrivées à leur terme, la programmation des infrastructures sera finalisée. Et à cette occasion, le gouvernement dira comment il compte la porter. Les membres du COI, eux, ont réaffirmé leur souhait d’une loi de programmation. Mais d’autres hypothèses existent (relire notre article). Toutes ces questions devront trouver leur réponse d’ici l’été, au moment de la formalisation du chantier de la planification écologique, dont les transports sont un maillon essentiel, puisqu’ils forment le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre.
En attendant ces nombreux arbitrages, Jean-Pierre Farandou avait le sourire, lui qui plaidait pour une enveloppe de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire sur quinze ans. Clément Beaune et son équipe pouvaient également se réjouir : ils ont réussi à obtenir le cadrage qu’ils défendaient depuis de nombreuses semaines face à Bercy, avec l’appui de Christophe Béchu. Que Matignon soit piloté par une ancienne ministre des Transports a pu aider, mais la tâche est loin d’avoir été aisée pour autant, confie-t-on au ministère des Transports. Il va maintenant falloir s’atteler aux modalités, qui sont tout sauf un détail si le gouvernement veut crédibiliser ce « plan d’avenir pour les transports ».