Lire aussi notre article Fin de cycle au cabinet d’Élisabeth Borne
Un "tract" mobilité réalisé par Julien Dehornoy pour le candidat Macron, en février 2017, figure parmi les documents révélés par Wikileaks.
Les éminences grises de la Macronie se succèdent à la tête du cabinet d’Élisabeth Borne. Pour remplacer Julien Dehornoy, rédacteur principal du programme "transports" d’Emmanuel Macron en 2017, la ministre des Transports a choisi Guillaume Leforestier. Lui aussi avait conseillé le futur président lors de la campagne, l’alertant, sans succès, sur un enjeu qui s’avéra être le déclencheur du mouvement des gilets jaunes.
Augmenter la taxe carbone…
Début novembre 2016, alors qu'Emmanuel Macron s’apprête à annoncer sa candidature, Guillaume Leforestier, parti quelques mois auparavant du ministère de l’Écologie pour retourner au Conseil d’État, remet une note à Laurent Martel, futur conseiller "fiscalité" de l’Élysée et Matignon. Elle porte sur la taxe carbone, un sujet qu'il a suivi de près (voir l’encadré). Il l’a produite avec Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable et président du comité pour une fiscalité écologique au ministère.
Cette note, en pièce jointe de l’un des quelque 20 000 mails de la campagne d’Emmanuel Macron révélés par Wikileaks, vise à "analyse[r] les conditions dans lesquelles la trajectoire d’augmentation du prix du carbone pourrait être poursuivie avec succès".
Elle vante tout d'abord la législation produite sous le gouvernement sortant : "C’est dans ce cadre qu’il convient de s’inscrire pour poursuivre la montée en puissance" de la taxe carbone, pose-t-elle. Une trajectoire qui gagnerait à être "actualisée" (à la hausse) à la lumière des objectifs de l’accord de Paris et des engagements européens qui en découlent.
… mais pas sans en préparer les conséquences
Mais Bureau et Leforestier préviennent :
"La COP21 et la sensibilité croissante des Français aux questions environnementales n’a évidemment pas changé leur rapport à la fiscalité, fût-elle écologique […] Les effets anti-redistributifs bien connus d’une fiscalité assise sur les consommations énergétiques et la sensibilité compréhensible des Français à leurs dépenses de chauffage ou de carburant demeurent."
Et si jusqu’ici la baisse du prix du baril a permis de masquer les hausses successives de la fiscalité, il en sera bientôt autrement, puisque "prend fin le contexte de faibles prix du pétrole", souligne la note.
L’alerte est donc clairement exprimée : une augmentation de la fiscalité, ajoutée à celle du baril, provoquera des remous si elle est mal préparée. Pour la durée du mandat, les hausses successives de la taxe carbone et la convergence essence-diesel devront être "clairement assumées et accompagnées d’un discours clair sur l’usage [qui serait] fait des recettes".
Les deux conseillers préconisent d’affecter un tiers du produit "à l’accompagnement des ménages, notamment modestes". Ils évoquent plusieurs pistes, qui seront reprises, mais trop tard, par le gouvernement : généralisation du chèque énergie, renforcement des moyens consacrés à la rénovation énergétique des logements, aides à la mobilité décarbonée.
Un constat d'échec aujourd'hui unanimement partagé
Stoppé dans son élan par le surgissement des Gilets jaunes lors de l’examen du projet de loi de finances 2019, l’exécutif devra finalement renoncer à la hausse de la TICPE, qui suscitait pourtant un large consensus politique, prendre à la va-vite des mesures "pansements" et puiser dans les caisses de l'État.
Les constats d’échec se sont ensuite succédé. Dans un avis d’avril 2019, l’Ademe déplore que « moins d’un quart des recettes de la taxe carbone ait été consacré au financement de la transition et/ou à la compensation pour les ménages », "l’essentiel [ayant] été utilisé pour réduire le déficit budgétaire de l’État, ce qui a beaucoup affecté l’acceptabilité de la mesure". L’Agence va beaucoup plus loin que la note Bureau-Leforestier, puisqu'elle propose de remplacer la taxe carbone par une "contribution climat solidarité" qui soit "intégralement redistribuée" aux ménages, entreprises et collectivités. Une idée qui fait son chemin.
Des conseillers "en partie aveugles et en partie lucides"
Interrogé par Contexte, Dominique Bureau, co-rédacteur de la note adressée à l’équipe de campagne du futur président de la République, fait aujourd’hui amende honorable.
"Nous étions convaincus qu’il fallait taxer la pollution plutôt que le travail et qu’il fallait mettre l’argent [de la hausse de la taxe carbone] au service de la fiscalité globale. On avait alerté sur l’évolution du prix du pétrole, mais on n'avait pas tout mesuré. On avait sous-estimé le problème redistributif. Deux tiers de la taxe carbone sont payés par les ménages. On savait que le moment de vérité serait décisif. On a été en partie aveugles et en partie lucides…"
Il souligne un "problème d’appropriation par le politique" de la problématique qu’il avait tenté d’éclairer avec Guillaume Leforestier. Et modère son mea culpa au regard de l'inconscience de l'exécutif :
"Quand on regarde ce qui était écrit [dans la note], les messages d’alerte, ils étaient là."
Élisabeth Borne va donc désormais disposer à son côté d’un expert de la fiscalité écologique, sensibilisé qui plus est aux conséquences sociales de ses "ratés", au moment où elle doit trouver une recette pour boucler le plan de financement des infrastructures. La parole de Guillaume Leforestier pèsera sans doute davantage qu’elle n’est parvenue à le faire au début du quinquennat.
La fiscalité écologique, il connaît
Guillaume Leforestier a suivi de près le parcours de la composante climat de la TICPE, dite « taxe carbone ». Il est administrateur de la commission des Finances du Sénat lorsqu’une première tentative de création échoue, en 2010, puis conseiller budgétaire et fiscal de Ségolène Royal quand elle est introduite dans le projet de loi de finances 2014 du gouvernement Ayrault. Il devient ensuite directeur adjoint, puis directeur de cabinet de la ministre de l’Écologie (en remplacement d’Élisabeth Borne) et continue à suivre plus précisément les dossiers budgétaires et fiscaux. Il quitte ensuite le ministère pour retourner au Conseil d’État, d’où il conseilla donc le candidat Macron pour la présidentielle.