C’est une rareté dans la vie politique européenne depuis la fin de l’épidémie de Covid. Un sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement, convoqué en urgence le 17 octobre au soir, par visioconférence. L’ordre du jour : le conflit entre Israël et le Hamas palestinien (relire notre brève). Ce sommet, Charles Michel, le président du Conseil européen l’a programmé après un déplacement d’Ursula von der Leyen en Israël (relire notre brève), sans mandat des 27, qui a provoqué le malaise dans plusieurs capitales européennes.
En amont, l’entourage de l’ancien Premier ministre belge pose l’enjeu : « Nous avons ressenti le besoin de remettre de l’ordre », assène un de ses proches. Sentence claire, mais diplomatiquement enrobée.
Un faux pas
« Elle a fait une erreur importante, ce n’est pas possible d’assimiler Hamas et Palestiniens, elle a engagé tout le collège et l’UE, elle va le payer cher », confie l’ambassadeur d’un État membre. Une initiative d’autant plus irritante pour les 27, que la politique étrangère ne fait pas partie des prérogatives de la présidente de la Commission.
« On ne peut pas faire de la politique étrangère sans prendre du recul et peser chaque mot », appuie un diplomate européen.
Un ministre d’un État membre va encore plus loin dans la critique : « Elle est folle. Ce n’est pas normal ce qu’elle a fait. Tout le monde est très énervé », commente-t-il pour Contexte. « Ce n’est pas le rôle de la Commission de faire de la politique étrangère », s’insurge-t-il.
Le règlement de comptes a lieu à huis clos. À l’issue de l’échange en visioconférence, Ursula von der Leyen ne se montre pas aux côtés de Charles Michel. Elle s’exprime, à distance depuis Strasbourg, où le Parlement européen se réunit en plénière. Lui à Bruxelles. La conférence de presse commune est succincte. Le président du Conseil reprend la déclaration des États membres, savamment pesée en amont : « Israël a le droit de se défendre, en conformité avec les règles du droit international et humanitaire. Nous réaffirmons l’importance de préserver les populations civiles, à tout moment. » La nuance sonne bien comme un rappel à l’ordre, même si Ursula von der Leyen n’est pas désavouée publiquement. Charles Michel rappelle les fondamentaux : « maintenir l’unité, la cohérence et la crédibilité de l’Union ».
Selon un responsable européen, la réunion a rempli son rôle de « recadrer la Commission ».
Sous surveillance
La présidente de la Commission est désormais sous surveillance. Un sommet UE-USA est aussi programmé le 20 octobre. Ursula von der Leyen et Charles Michel sont attendus à Washington pour rencontrer Joe Biden. Un troisième participant a été imposé au dernier moment par les États : Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, également vice-président de la Commission.
« Il fait partie de la délégation du président du Conseil », explique un responsable européen. « Les Affaires étrangères relèvent du Conseil et les affaires commerciales de la Commission », insiste-t-il. Une sorte de mise sous tutelle pour la présidente avec un rappel insistant des compétences de chaque institution.
Le renforcement du partenariat stratégique sera le plat principal des échanges à Washington. Le point de contentieux entre les deux rives de l’Atlantique portera sur la levée des tarifs douaniers punitifs imposés aux exportations d’acier et d’aluminium européens par Donald Trump en 2018. Ursula von der Leyen est soupçonnée par plusieurs capitales européennes d’être instrumentalisée par l’administration américaine, pour faire accepter aux Européens l’idée d’un accord mondial sur l’acier « vert ». Ouvert à tous les pays favorables à ce principe, ce dernier prévoit des droits de douane sur l’acier et l’aluminium des pays pollueurs, notamment la Chine.
« L’annonce de l’ouverture d’une enquête de l’UE sur l’acier chinois s’inscrit dans ce contexte et Ursula von der Leyen rêve de pouvoir annoncer un accord avec Joe Biden », confie un responsable européen.
« Rien n’est fait. Nous voulons la levée des tarifs mais dans le cadre d’une solution compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) » , insiste un haut responsable européen. « Or le projet américain ne l’est pas et, surtout, il est incompatible avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE que les États-Unis combattent », souligne-t-il.
Seule sur la ligne de départ
Ces tensions viennent bousculer une stratégie pourtant savamment mise en musique par Ursula von der Leyen. Depuis la rentrée, l’ancienne ministre de la Défense d’Angela Merkel s’est appliquée à semer les petits cailloux nécessaires pour la propulser vers sa propre reconduction à la mi-2024. Mi-septembre d’abord, en se rendant au campus de rentrée de Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, à Bordeaux. Invitée d’honneur, la présidente de la Commission européenne, y fut longuement ovationnée, après trente minutes de discours en français. Rien ne semblait alors trop beau pour celle que Stéphane Séjourné, président du groupe Renew (lire notre article), comparait même à Jacques Delors, père fondateur de l’Union européenne en préambule.
Pour obtenir un second mandat à l’issue des élections européennes de juin 2024, il faudra à Ursula von der Leyen à la fois obtenir le soutien d’une majorité des députés (vote d’approbation), mais aussi des chefs d’État et de gouvernement qui sont ceux qui peuvent la nommer.
Une romance loin de faire plaisir à tout le monde. Du côté du PPE, cette lune de miel entre Ursula von der Leyen et le parti d’Emmanuel Macron avait déjà crispé. « On comprend qu’elle a besoin de Paris pour briguer un second mandat, mais c‘est autre chose de lancer la campagne électorale de Renew », analysait un diplomate.
Agile, elle ménageait alors aussi sa propre famille, la droite européenne, seule à même de la nommer Spitzenkandidat. Lors de son discours sur l’état de l’Union, c’est bien au PPE qu’elle avait fait des clins d’œil appuyés en mettant sur le même pied protection de la nature et production agricole. Le représentant d’un État membre confiait alors à Contexte : « Le PPE a compris que si elle n’est pas candidate, il n’aura pas la présidence de la Commission ». Sa chance, c’est que personne d’autre ne s’impose dans son camp. Et malgré son récent faux pas, cela reste vrai. « La question à un million de dollars c’est toujours : qui si ce n’est pas elle ? », s’interroge un député européen conservateur.
La droite européenne désignera son Spitzenkandidat les 6 et 7 mars prochain à Bucarest, en Roumanie.