Chez nos chers voisins européens, les négociations mettent des semaines à aboutir. Voire plus. Six mois au Pays Bas. Huit semaines en Allemagne. Quatre-vingt-dix jours en Espagne. Comment le Nouveau Front populaire a-t-il réussi le tour de force de rédiger un contrat de coalition en quatre jours et trois nuits ?
Il y a tout d’abord un changement de méthode par rapport à 2022. Contrairement à il y a deux ans, les Insoumis n’ont pas tenu la plume. « Pour construire le programme de la Nupes, nous étions partis du programme de l’Union populaire, à partir duquel nous avions fait des propositions. Cette fois-ci, nous sommes partis d’une feuille blanche », rapporte Maxime Sauvage, secrétaire général du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, et l’un des négociateurs de la délégation PS.
Écarter les sujets qui fâchent
Les délais imposés par Emmanuel Macron ont finalement aidé à prioriser certains sujets. Pour que les négociations soient efficaces, les points de clivages restaient « en réserve » pour « écrire rapidement » les points d’accords, raconte Clémence Guetté, coresponsable du programme à La France insoumise.
Plutôt que de fixer une dizaine de propositions fortes, comme ils l’avaient envisagé au départ, les négociateurs ont rapidement défendu l’idée d’un programme plus étoffé pour montrer qu’ils étaient prêts à gouverner, en détaillant leurs cent premiers jours, et en détaillant 20 actes de « rupture » adoptés par décret dans les quinze premiers jours. Ce « cadencement » de l’agenda gouvernemental a un atout : écarter les sujets qui fâchent.
Le sujet du nucléaire a ainsi été renvoyé à une future « loi énergie climat » qui laissera le soin à la future Assemblée de trouver une trajectoire globale pour atteindre la neutralité carbone. « Vous ne vous mettrez pas d’accord en quatre jours sur un point aussi clivant », résume la députée européenne Aurore Lalucq, qui représentait Place publique dans ce marathon d’échanges. « De toute façon, un nouveau programme électronucléaire a déjà été inscrit dans la loi, sera lancé et va devoir s’appliquer », note le négociateur communiste Christian Picquet.
Un rapprochement sur les enjeux européens
L’Union européenne, toutefois, a suscité « d’intenses discussions ». En particulier la dernière phrase de ce contrat de coalition : « Conformément à ce que nos groupes ont voté à l’Assemblée nationale, nous refuserons, pour l’application de notre contrat de législature, le pacte budgétaire, le droit de la concurrence lorsqu’il remet en cause les services publics et nous rejetterons les traités de libre-échange. »
Un programme de « rupture », cher aux Insoumis et aux communistes, mais qui va nécessairement se confronter à l’état du rapport de force au niveau européen. Les critères du pacte de stabilité viennent d’être entérinés avec l’approbation du groupe social-démocrate européen (S&D), qui devrait à nouveau soutenir Ursula von der Leyen pour la présidence de la Commission européenne. L’Allemande s’appuierait ainsi sur une large coalition alliant droite, centre et gauche, que pourraient aussi rejoindre les écologistes…
« Lors des négociations, les lignes ont bougé quand nous avons pointé que nos quatre formations ont voté contre les contraintes austéritaires, notamment au Parlement européen », rapporte Christian Picquet.
Il est vrai que Place publique et le PS français n’ont pas approuvé, le 23 avril, les nouvelles règles budgétaires de l’Union européenne.
La position dure de LFI sur le pacte de stabilité a aussi été contrebalancée par plusieurs mesures s’attachant à soutenir « les progrès de la construction européenne », comme le formulaient le PS et Place publique dès l’entame des négociations. Citons par exemple la défense d’un « pacte européen pour le climat et l’urgence sociale », la volonté affichée de « passer au vote à la majorité qualifiée au Conseil sur les questions fiscales » ou encore « un plan de reconstruction industrielle » au niveau européen.
En réalité, socialistes et Insoumis sont « plutôt alignés » sur les enjeux européens, tempère le député Hadrien Clouet, coresponsable de l’espace programme de La France insoumise. « C’est sur les moyens d’atteindre ces objectifs que nous divergeons. » Dans une course à Matignon, ajoute le député Insoumis, les sujets européens sont moins prégnants : « C’est différent lors d’une élection présidentielle. En 2022, elle intervenait en pleine présidence française de l’Union. Cela nécessitait des programmes particuliers. »
Maxime Sauvage livre une autre analyse : « La campagne des européennes a été tendue, c’est vrai, mais paradoxalement, les programmes de chaque formation se sont rapprochés. » Pour preuve, la défense du protectionnisme au niveau européen, figurant dans le programme du Nouveau Front populaire, a été intégrée au logiciel socialiste. L’idée a été défendue par Raphaël Glucksmann durant la campagne des européennes. Les socialistes français ont pris leur distance avec le libéralisme des années Hollande, appuie le négociateur communiste, Christian Picquet. Autre évolution notable, selon lui : « La question de la souveraineté industrielle de la France et de l’Europe, sa réindustrialisation, est aussi entrée dans le patrimoine commun de l’ensemble des organisations de gauche. »
Deux ans ensemble à l’Assemblée, ça pèse
De nouveaux sujets ont émergé. La proposition de « réguler l’installation des médecins dans les déserts médicaux », par exemple, n’apparaissait pas dans le programme de la Nupes en juin 2022. Les Insoumis ne s’étaient pas montrés très sensibles au sujet à l’époque, glisse un socialiste. « Si elle n’y figurait pas, c’est que personne ne l’avait proposée », nuance Hadrien Clouet (LFI). Cette fois-ci, elle a été validée en « huit secondes ».
C’est le résultat de mois de travaux menés à l’Assemblée nationale dans le cadre du groupe de travail sur les déserts médicaux de Guillaume Garot (PS), qui a permis à cette proposition d’être largement dans les débats parlementaires. Des amendements communs avaient ainsi été soutenus par les quatre groupes lors de la discussion de la proposition de loi Valletoux, en 2023. C’est désormais « un argument de campagne » contre le RN, selon une source LFI.
D’après nos informations, la nationalisation du géant de l’industrie pharmaceutique française Sanofi a été sérieusement envisagée lors de ces quatre jours de négociations. Revendication de longue date de LFI et du PCF, cette mesure, qui a de quoi inquiéter le laboratoire français, n’a finalement pas été retenue dans la version finale du programme. « Trop cher et inefficace », ont estimé les négociateurs. Résultat, c’est finalement la création d’un « pôle public du médicament » qui figure dans le programme… Cette idée, présente dans le programme de la Nupes en 2022, a été promue par la sénatrice Laurence Cohen (CRCE) dans une proposition de loi issue du travail d’une commission d’enquête. Rejetée par le Sénat en 2020, elle avait été reprise par les députés Insoumis dans un texte déposé en janvier 2024. Là encore, le travail parlementaire a payé.
La Nupes a enfanté le Nouveau Front populaire
La Nupes a explosé, mais tous ceux qui ont été élus sous sa bannière n’ont jamais cessé de se côtoyer à l’Assemblée. « Depuis deux ans, on se connaît mieux. On voit bien les amendements que portent les uns et les autres », insiste la députée Clémence Guetté, l’autre négociatrice chez LFI. Défendre un texte permet aussi de pointer les positions de chacun, parfois de convaincre. La députée Insoumise a réussi à glisser dans le programme un moratoire sur les mégabassines après avoir obtenu l’appui des alliés de la Nupes en commission, lors de l’examen d’une proposition de loi qu’elle avait déposée sur le sujet.
Ce n’est pas le seul exemple. Le refus de la privatisation des barrages hydroélectriques, également présent dans le programme, est indissociable du travail parlementaire mené par Marie-Noëlle Battistel, témoigne Maxime Sauvage, secrétaire général du groupe socialiste. Cette fonction, qui fut aussi occupée par Clémence Guetté chez les Insoumis, est idéale pour connaître le barycentre de la gauche. Boris Vallaud et Cyrielle Chatelain, qui président les groupes socialiste et écologiste et ont activement participé aux négociations, sont aussi bien placés pour maîtriser les idées de chacun.
Se connaître est décisif, appuie Christian Picquet. « Négocier avec Place publique n’est pas aisé car je les connais peu. C’est au contraire très facile avec Yannick Jadot, que je connais depuis le temps où je pilotais la coalition contre la première guerre du Golfe. Je sais très bien jusqu’où il peut aller », souligne le vieux routier de la place du Colonel-Fabien. « Et chez les communistes, on sait très bien négocier avec les socialistes… », blague l’ancien trotskiste.