Frans Timmermans vient de trouver dans sa boîte aux lettres une missive dont il se serait probablement dispensé. Surtout si près d’une échéance décisive. Elle provient de onze ministres, qui exhortent le vice-président de la Commission européenne à reprendre quasiment à zéro la « stratégie forêts », normalement programmée le 14 juillet.
C’est peu dire que la version de travail, publiée fin juin par Contexte, leur a déplu. En apparence, le texte est consensuel - il a pour ambition de faire advenir des « forêts saines, en croissance, diverses et résilientes » à l'horizon 2030. Mais, à y regarder de plus près, il est « inacceptable », fustigent le ministre français de l’Agriculture, Julien Denormandie, son homologue allemande, Julia Klöckner, et le noyau habituel des pays promouvant l’exploitation forestière, Finlande en tête.
« Fardeau administratif »
Dans cette lettre datée du 5 juillet et coordonnée par l’Autriche, les frondeurs disent leur attachement au principe de subsidiarité, qui doit selon eux prévaloir, et accusent l’exécutif d’avoir snobé les États membres durant les préparatifs. Plus fondamentalement encore, ils reprochent à la Commission européenne de voir les forêts seulement comme un sanctuaire de biodiversité à préserver et non comme un espace économique. Bref, il faut défendre « le rôle multifonctionnel » des forêts, arguent-ils, reprenant là une épithète qui leur est chère.
Les onze signataires s'opposent par ailleurs « fermement » à toute proposition législative sur la « planification et la surveillance des forêts », une idée promue par la Commission dans la version provisoire de sa stratégie. « Un tel instrument créerait un fardeau administratif sans précédent pour les États membres et les opérateurs », balaient-ils.
Ces arguments n’ont rien de surprenant : ils sont proches de ceux égrenés par les lobbys forestiers à la fin juin, après les premières fuites. Et le tandem Finlande-Autriche les a déjà rodés dans un précédent courrier commun, rédigé en mars. Mais il y a une nouveauté de taille : la France, qui s’était à l’époque contentée d’un soutien oral, a cette fois-ci formalisé son passage dans le camp finlandais en apposant sa signature – du moins celle de Julien Denormandie. Même chose pour l’Allemagne.
L’« option réelle » d’un report
Face à une telle démonstration de force, Frans Timmermans et sa présidente, Urusla von der Leyen, peuvent difficilement ignorer la demande d’un report sine die, inscrite au bas du courrier : c’est le seul moyen « d’impliquer les États membres comme il se doit », jugent les auteurs. D’autant plus que cette initiative n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une séquence de lobbying tous azimuts de la part des ONG et des industriels, mais aussi de certains eurodéputés. Avant les États, le PPE (droite), le parti le plus puissant au Parlement, a envoyé son propre courrier de doléances à Ursula von der Leyen.
Les cabinets, dont celui de Frans Timmermans, se sont donc réunis en urgence pour trouver la parade. Le report est une « option réelle », selon une source à la Commission, qui invoque le risque de perdre en route « des éléments clefs en faveur du verdissement de la stratégie », la « pression du temps » et celle de plusieurs pays, au premier rang desquels la Suède et la Finlande. La date du 14 juillet sera maintenue seulement si le texte « peut être rétabli dans sa version antérieure », soit celle publiée dans la presse. Dans le cas contraire, rien ne filtrera avant la rentrée.
S’il se confirme, ce changement de programme ne sera pas le premier : la stratégie était initialement inscrite à la date du 20 juillet sur l’agenda des commissaires, avant d’être avancée au 14 juillet, jour de présentation d’un paquet de directives et de règlements sur le climat.