« D’abord, on doit préparer l’été prochain », avait lancé Emmanuel Macron lors de la présentation du plan eau le 30 mars, avant d’annoncer, parmi les 53 mesures de celui-ci, celle qui devait voir le jour en premier : une plateforme permettant de connaître, lors des épisodes de sécheresse, les restrictions des usages de l’eau à l’endroit où l’on se trouve, sur le modèle de l’appli existante pour la consommation d’électricité.
Mis en ligne le 11 juillet, alors que les deux tiers des nappes phréatiques affichent déjà des niveaux inférieurs à la normale, le site, baptisé « VigiEau », s’est fait désirer. Surtout, c’est la façon dont le portage politique de cette plateforme a évolué qui interpelle.
Sécheresse-tracker
L’histoire remonte à novembre 2022, lorsque LaRéserve.tech est créée. Ce « programme de mobilisation citoyenne » porté par Bayes Impact, est destiné à « créer des réponses rapides en temps de crise », sur le modèle de CovidTracker.
Fin janvier 2023, « on s’est “autosaisi” du problème de la sécheresse, en se rendant compte qu’il y avait un problème de communication sur les arrêtés de restriction, disponibles uniquement en PDF sur le site des préfectures », raconte le directeur et cofondateur de LaRéserve.tech, Florian Gauthier, un ingénieur passé par Etalab.
Un mois plus tard, il contacte le cabinet de la secrétaire d’État à l’Écologie, Bérangère Couillard. Qui se montre séduit. La quinzaine de contributeurs bénévoles de LaRéserve.tech, les « réservistes » – développeurs, designers, communicants… –, sont déjà à la tâche. S’ensuivent des réunions avec la direction de l’eau et de la biodiversité, et « beaucoup de validations » ministérielles.
Décision est prise d’intégrer le projet au plan eau, sur lequel le chef de l’État a pris la main à la dernière minute. Ça tombe bien, les inspections ministérielles chargées d’établir un bilan de la gestion des épisodes de sécheresse de l’été 2022 ont préconisé la mise en place d’un tel outil.
Onction présidentielle
« Chaque Français, chaque agriculteur, chaque maire, chaque chef d’entreprise [pourra] connaître les gestes adaptés de manière transparente et l’évolution de la situation pour que chacun contribue à une partie de la solution. »
Le fait qu’Emmanuel Macron, le 30 mars, endosse le plan eau et s’engage sur l’aboutissement de cet outil, fait monter d’un cran, voire deux, sa portée politique, rapportent plusieurs sources. Le chef de l’État vante alors une plateforme « mise en place par le ministère ».
Première conséquence de ce nouveau statut : Bérangère Couillard est dépossédée du portage du projet par son ministre de tutelle, Christophe Béchu.
Il est décidé dans le même temps que la plateforme doit apparaître comme un produit du ministère, « officiel », et non celui d’un collectif citoyen autonome.
« En termes d’affichage, on change de braquet », décrit un acteur.
Écriture inclusive et régime non carné
Un mois après l’annonce présidentielle, LaRéserve.tech, qui a bouclé le projet, apprend que le gouvernement travaille sur son propre site. Finies les réunions avec les ministères ; les contacts deviennent alors rares, voire inexistants.
D’autant qu’un différend de nature politique est apparu. Les réservistes ont introduit des éléments dans leur copie que l’exécutif refuse d’endosser : l’usage de l’écriture inclusive, ou encore la préconisation de « manger moins de viande bovine » parmi les « gestes à adopter » communiqués aux utilisateurs lors d’épisodes de sécheresse.
Qu’à cela ne tienne, les deux parties décident de mettre chacune en ligne leur propre version, basée sur le même modèle conçu par LaRéserve.tech.
La finalisation de la plateforme par le ministère prend plus de temps que prévu, en raison de la difficulté à « nettoyer » les données des arrêtés préfectoraux pour les ouvrir et de l’absence de réactivité de certains préfets, rapporte un conseiller.
Cornérisation
Lorsqu’il présente cette plateforme, le 11 juillet à l’hôtel de Roquelaure, Christophe Béchu prend soin de donner la parole à Florian Gauthier, l’invitant à présenter LaRéserve.tech aux journalistes. Un petit encadré, à la toute fin du dossier de presse, mentionne aussi cette « collaboration ».
Mais plusieurs réservistes s’émeuvent de n’être pas mentionnés sur la plateforme elle-même et de voir que le gouvernement semble tirer la couverture à lui. Le fait que, sur la twittosphère, émane de la petite communauté « start-up d’État » des messages sur la plateforme ignorant ses concepteurs participe au malaise.
LaRéserve.tech s’en tient donc à sa ligne en publiant, dès le lendemain, 12 juillet, son propre site, baptisé Alerte Sécheresse. Qui dispose d’une faiblesse au lancement, l’équipe n’ayant pas encore pu développer l’accès aux données que le gouvernement a ouvert à tous la veille. Le quasi-jumeau gouvernemental, lui, devrait voir boostée son audience par son implantation dans l’appli de Météo France.
Malgré la tournure des événements, Florian Gauthier dit LaRéserve.tech prête à « travailler à nouveau » avec le gouvernement et le ministère de l’Écologie. Il voit même un « point positif » à cette réinternalisation de leur bébé : LaRéserve.tech n’aura pas la lourde charge de maintenir la plateforme ministérielle et pourra consacrer son énergie à d’autres projets similaires dans sa besace, sur les feux de forêt notamment.
En attendant, cette histoire illustre les difficultés persistantes de la Macronie à placer le curseur dans son désir d’associer les initiatives citoyennes à la fabrication des politiques publiques.