Ce 30 mars, le président de la République doit présenter le plan du gouvernement sur l’eau à Savines-le-Lac, commune sur les bords du lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes).
Il s’agit du premier déplacement du chef de l’État en région depuis deux mois – celui prévu le 29 mars autour du service national universel (SNU) à Toulon ayant été décommandé.
À la dernière minute, l’Élysée a pris la main sur le dossier de l’eau, alors que l’exécutif est enlisé dans la crise liée à la réforme des retraites. De quoi déboussoler dans les ministères.
L’élaboration de ce plan réunit en effet autour de la table, depuis plusieurs mois, les ministères de la Transition écologique, de l’Agriculture et de la Santé, sous la houlette de Matignon et son Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Sur le fond, le projet a été préparé par le ministère de la Transition écologique, qui a compétence sur le sujet et est à l’origine de son lancement à Marseille, le 29 septembre 2022.
L’éclipse de Christophe Béchu
Jusqu’au début de cette semaine, Christophe Béchu s’imagine d’ailleurs dévoiler le plan eau, maintes fois reporté depuis la fin janvier, comme il l’assure au micro de Léa Salamé sur France Inter, le 27 mars :
« J’aurai l’occasion de le présenter jeudi [30 mars]. »
Il s’y était déjà vu une première fois en janvier. Le ministère avait annoncé – un peu vite – une présentation de ce même plan lors du Carrefour des gestions locales de l’eau, le 26 janvier. Le ministre avait dû faire marche arrière, faute de visibilité médiatique liée à la réforme des retraites, mais aussi gêné par l’agenda du président de la République. Le même jour, ce dernier convoquait en effet son premier conseil de planification écologique.
Le 29 mars, le ministre de la Transition écologique était attendu au congrès de la FNSEA, à Angers, dont il fut maire, pour une intervention vers 19 h. Un timing parfait pour la presse, à l’affût du plan eau. Mais, surprise : le 28 mars, sur les coups de 21 h, Christophe Béchu publie sur Twitter quelques photos de lui sur la scène de l’auditorium de « sa » ville.
Selon la FNSEA :
« Nous avons été prévenus à la dernière minute. » Le ministre « a décalé [sa visite] en raison d’un agenda ministériel chargé ».
Agris étonnés
Plusieurs sources présentes au congrès confirment leur étonnement. Selon un poids lourd du syndicat, « Christiane [Lambert] a demandé à la salle de vite clôturer les discussions. Interloqués par cette accélération, les gens ont râlé, alors la présidente nous a expliqué que le ministre de la Transition écologique allait arriver dans les trente minutes ».
Son discours, ponctué de plaisanteries plus ou moins affectueuses à l’égard de la présidente sortante de la FNSEA et des relations du syndicat avec le ministère de la Transition écologique, n’a rien laissé percevoir sur le contenu du plan. Le ministre a seulement rappelé à l’auditoire :
« Vous savez très bien que la quantité d’eau disponible n’est pas fixée par un gouvernement. Elle n’est pas dans un programme, elle correspond aussi à ce que la nature nous donne dans un cycle. »
Chef de l’État ou FNSEA, l’heure des choix
L’organisation du ministre de l’Agriculture, elle aussi, est bousculée par la prise en main de l’Élysée. Marc Fesneau est annoncé le 30 mars à la fois aux côtés du chef de l’État pour présenter le plan eau dans les Hautes-Alpes et en clôture du congrès angevin de la FNSEA. Un choix cornélien… Après une après-midi de flottement, son cabinet confirme finalement à la presse que, « en accord avec le président de la République », le ministre de l’Agriculture ira à Angers.
L’opportunité de ce déplacement de dernière minute du chef de l’État, dans un contexte de fortes tensions liées à la réforme des retraites, interroge. Un proche du Président prévient :
« Toute tentative de diversion sera immédiatement perçue comme telle par les Français. »
L’argument de la « diversion » est balayé par plusieurs sources gouvernementales. Les administrations travaillent ensemble sur ce plan depuis trois mois. Cinq réunions interministérielles ont été organisées, et Élisabeth Borne a présidé elle-même une rencontre des ministres sur le sujet.
Et, au regard du contexte sécuritaire, difficile de prévenir deux semaines à l’avance d’un déplacement du président de la République ou de la Première ministre, insiste une source. « D’ailleurs, le gouvernement voulait initialement faire ce déplacement la semaine dernière. »
Déplacement opportun
Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État ou la cheffe du gouvernement s’imposent sur un dossier, tempère une praticienne des arcanes du pouvoir :
« La Première ministre et le président de la République ont régulièrement pris en direct les annonces fortes sur l’écologie. »
Ce fut le cas par exemple lors de l’annonce par Emmanuel Macron de la plantation d’un milliard d’arbres en France d’ici dix ans, à la suite des feux de forêt de l’été 2022.
Ou encore, dans un esprit bien plus collégial, avec le plan de sobriété énergétique, auquel l’exécutif compare régulièrement le plan eau. Dévoilée en grande pompe durant une après-midi entière, au parc des expositions de la porte de Versailles le 6 octobre, la présentation est close, après les interventions d’un aréopage de ministres et de représentants d’industrie et de fédérations professionnelles, par la Première ministre, Élisabeth Borne. Une époque où aucun 49.3 n'avait encore été dégainé.