En près de deux ans à la tête du ministère des Transports, Jean-Baptiste Djebbari est passé de jeune député prodige remarqué pour sa gestion de la réforme ferroviaire à ministre suscitant une franche hostilité d’une partie du secteur qu’il chapeaute.
Relire notre article : Jean-Baptiste Djebbari, un décollage soigneusement préparé.
Parmi la trentaine d’interlocuteurs contactés, une partie critique un ministre « hautain », « condescendant », « qui a pris la grosse tête », « qui n’accepte pas qu’on ne soit pas d’accord avec lui » ou « qui la joue solo ». À l’opposé, d’autres louent quelqu’un d’« ouvert », « courageux », « sincère », « disponible », qui « manie l’humour »…
Tweets à foison et stories Instagram
Sa communication est particulièrement source de crispations. « Son rôle, ce n’est pas d’être influenceur sur Instagram », grince un député LRM. Très présent sur les réseaux sociaux, Jean-Baptiste Djebbari multiplie les tweets et photos de ses déplacements, souvent affublé de ses fameuses Ray-Ban, que nombre d’interlocuteurs évoquent en levant les yeux au ciel, ou citant des rappeurs que les plus de 25 ans risquent de ne pas connaître. Le ministre n’hésite pas non plus à aller au clash, notamment avec les ONG comme Greenpeace.
Dans son entourage, on reconnaît une « stratégie non institutionnelle » : « Twitter et Instagram lui permettent d’atteindre un public qu’on n’atteindra pas via les médias traditionnels. Or il veut faire connaître aux jeunes ce secteur des transports qui recrute énormément. »
Grandeur et décadence des plateaux TV
Jean-Baptiste Djebbari a aussi une forte appétence pour les plateaux télés. La grève fin 2019 contre la réforme des retraites a constitué le point d’orgue de sa présence médiatique.
« Il fallait organiser la veille pour le lendemain quelque chose en salle de contrôle ou de crise pour montrer qu’il est aux manettes, avec les dirigeants à côté, se souvient un communiquant de la SNCF. Il y avait un côté revue des troupes napoléoniennes, deux minutes de prise de parole, et c’était prêt pour le 8 heures de BFM. Il avait hyper bien industrialisé le truc. »
Pieyre-Alexandre Anglade, député LRM, se souvient d’une « entrée tonitruante » au gouvernement : « Au moment des grèves il était partout. »
Mais son omniprésence a fini par lui jouer des tours. Le ministre est soupçonné par ses collègues de faire partie de ceux qui alimentent les « off » gouvernementaux dans les médias, pratique qui en hérisse plus d’un. Puis, en janvier 2021, à nouveau sur BFM, Jean-Baptiste Djebbari avance un objectif de vaccination d’ici à l’été (26 millions). Si l’histoire lui a donné raison, sa sortie déclenche les foudres d’Emmanuel Macron, et une bonne partie de la presse s’en fait l’écho. Trois mois plus tard, il s’embarque dans une polémique avec la maire écologiste de Poitiers à propos de l’aéroclub local, et va jusqu’à proposer la Légion d’honneur pour ses présidents. « Une connerie » pour bon nombre d’interlocuteurs, y compris parmi ses soutiens. Depuis, Jean-Baptiste Djebbari se fait plus discret.
Ministre VRP
Au point que certains se demandent où est passé le ministre. L’élu de Haute-Vienne a aussi pris l’habitude de ne pas être là où il est attendu. Absent au Conseil des ministres des transports à Bruxelles le 3 juin à cause d’un déplacement en Tunisie, il n’a pas pu être au banc pour défendre l’intégralité du titre sur les mobilités du projet de loi Convention citoyenne au Sénat, quelques jours plus tard, en raison d’une visite en Pologne. Un choix assumé, explique l’entourage du ministre :
« Au Conseil, on savait que les choses allaient se faire, on avait préparé en amont. En Tunisie, il pouvait apporter quelque chose. »
Car Jean-Baptiste Djebbari accorde une grande place à l’international : « Il pense qu’on a des fleurons français qui méritent qu’on se batte. À son arrivée, il a demandé qu’on identifie où on pouvait exporter. Il va négocier et cela a permis de signer des contrats à plusieurs reprises. Il n’a pas le don d’ubiquité, alors il priorise. »
Foi en la technologie
Autre sujet de prédilection : l’innovation. Un créneau « plutôt malin » selon plusieurs sources, alors que la loi mobilités et la réforme ferroviaire étaient déjà votées à son arrivée. Jean-Baptiste Djebbari a hérité des crises – réforme des retraites et covid –, pendant lesquelles il a mouillé la chemise. Alors que la situation commence à se normaliser, le ministre veut imprimer sa marque sur les transports de demain et parle dès qu’il le peut d’avions « verts » et de trains légers.
« Il pense que le salut viendra de la technologie », déplore Sarah Fayolle chargée des dossiers transports chez Greenpeace. Député LRM missionné sur le véhicule autonome, Damien Pichereau apprécie au contraire que Jean-Baptiste Djebbari se soit saisi du dossier innovation « à bras-le-corps » : « c’était nécessaire si on ne veut pas se faire doubler ». Le ministre a d’ailleurs décidé de lancer une Agence pour l’innovation dans les transports au printemps. Pas encore opérationnelle, elle suscite du scepticisme et fait tiquer de nombreux interlocuteurs qui n’avaient pas été prévenus, dont Bercy. « Une maladresse », plaide-t-on au ministère.
Ce tropisme pour l’innovation se retrouve y compris dans son cabinet : Jean-Baptiste Djebbari a recruté un conseiller prospective (Alexandre Bensimhon) et un conseiller innovation (Paul Caubert), auxquels s’ajoute Cédric Bozonnat, qui a dans son portefeuille les nouvelles mobilités. Mais il n’a pas de conseiller budgétaire.
« Sauvé » par son cabinet
Entre les plateaux et les négociations de contrat, Jean-Baptiste Djebbari n’a plus beaucoup de temps pour les dossiers plus classiques. Ce que beaucoup déplorent.
Pour les plus critiques, le ministre « ne travaille que sur ce qui l’intéresse ou peut le servir ». Ferroviaire et aérien – ses deux marottes – mis à part, acteurs privés, députés et représentants des collectivités sont nombreux à expliquer qu’ils ont des échanges minimes voire inexistants avec Jean-Baptiste Djebbari et discutent uniquement avec son cabinet, voire avec son administration, la DGITM.
« On a peut-être été mal habitué par Élisabeth Borne, qui recevait elle-même tout le monde régulièrement », reconnaît un acteur du transport routier. Même chose du côté de l’administration où on évoque une faible présence du ministre aux réunions, alors qu’Élisabeth Borne était « tout le temps sur [leur] dos ». Plusieurs sources ajoutent :
« Heureusement, il a un bon cabinet, c’est ce qui le sauve. »
Son directeur adjoint, Florian Weyer, cumule les louanges. Cédric Bozonat est également apprécié, tout comme Claire Le Deuff, conseillère parlementaire. Elle a pourtant fort à faire, tant les relations entre Jean-Baptiste Djebbari et une partie des députés LRM sont mauvaises, en particulier au sein de la commission du Développement durable, dont le ministre est pourtant issu.
Désamour à l’Assemblée
« Il s’est mis à dos beaucoup de députés marqués transports quand il est devenu ministre, il ne les a pas bien traités. C’était une erreur, il aurait dû s’en faire des alliés. Mais il ne laisse pas de place aux autres », critique un conseiller de la majorité à l’Assemblée.
« Ce n’est pas non plus facile de passer après Élisabeth Borne qui avait une aura », souligne Damien Pichereau. Des députés comme des sources dans l’administration reprochent au ministre un manque d’investissement au Parlement. Un macroniste, cinglant, raconte avoir davantage croisé Jean-Baptiste Djebbari à Roland-Garros ou au stade de rugby.
Lucide sur cette fracture, l’entourage du ministre argue néanmoins de sa présence a une quinzaine d’auditions et débats thématiques en 2020. Mais une proche collaboratrice reconnaît que Jean-Baptiste Djebbari n’est pas porté sur la « câlinothérapie » parlementaire : « Il aime voir les gens seulement s’il a quelque chose à apporter ou des réponses à donner. Il ne prendra pas un café juste comme ça. Il a besoin que le rendez-vous produise un bilan. »
« Il travaille avec des PowerPoint, des camemberts, c’est le genre de ministre qui veut aller droit au but, et vite », confirme un acteur du fret ferroviaire. Quitte parfois à laisser de côté les usages et à oublier d’entretenir un réseau de soutiens.
Au Sénat, les échanges sont pourtant bien meilleurs. Le sénateur LRM Frédéric Marchand assure que Jean-Baptiste Djebbari fait l’unanimité dans son groupe. Tandis que Didier Mandelli, coordinateur LR de la commission du Développement durable, vante une « très bonne relation », avec quelqu’un de « pragmatique et investi ».
Forcer les arbitrages
Les positions sont aussi clivées au sein du gouvernement, expliquent plusieurs sources. Bercy ne fait clairement pas partie de son fan-club. Jean-Baptiste Djebbari a fait plusieurs sorties sans attendre les arbitrages. Les trains de nuit en constituent le meilleur exemple. En janvier 2021, il déclare au Parisien qu’il ambitionne de rouvrir dix lignes. Six mois plus tard, une source gouvernementale confirme que rien n’était arbitré et qu’encore à présent les échanges interministériels se poursuivent.
Une autre source, qui œuvrait sous le mandat d’Édouard Philippe, se souvient d’une tactique semblable sur les petites lignes ferroviaires :
« Il a fait son coup en douce avec Centre-Val de Loire et Grand Est pour signer les premiers protocoles, et a mis le reste du gouvernement, y compris Matignon, devant le fait accompli. »
Ce côté franc-tireur est peu apprécié dans les autres ministères, mais applaudi par ceux qui ne supportent plus de se faire contrer par Bercy.
Des annonces, mais quels financements ?
Cette même source enfonce le clou :
« En réalité, il ne résout pas les sujets, se moque des problèmes d’argent public. Il annonce, gagne du temps, puis refile les emmerdes aux autres ou à son successeur. C’est finalement une forme de talent. »
Pour le président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), Bruno Gazeau, le succès de cette stratégie reste à confirmer : « On a beaucoup d’annonces, mais on n’a pas toujours les montants financiers en face. »
Pour juger de la réussite du ministre, beaucoup attendent de voir ce qui sera inscrit au dernier budget du quinquennat, en particulier sur les investissements. Pour faire son bilan, le tant attendu contrat de performance de SNCF Réseau ou les suites données au rapport Duron sur le financement des transports publics seront aussi scrutés.
Et après ? L’entourage de Jean-Baptiste Djebbari reste flou sur ses envies pour l’avenir, et lui-même ne s’exprime pas sur le sujet. Tous nos interlocuteurs s’accordent sur la capacité du ministre à allier technique et politique et sur sa très grande ambition, mais divergent sur les postes qui pourraient le satisfaire. À une époque, il a envisagé la mairie de Limoges ou la tête de la Nouvelle-Aquitaine, avant de se déballonner.
En cas de remaniement, certains l’imaginent intéressé par d’autres maroquins ministériels : le commerce, l’industrie ou le porte-parolat. D’autres le verraient bien intégrer le dispositif de campagne d’Emmanuel Macron pour 2022. Mais beaucoup s’attendent à ce qu’il retourne dans le privé :
« Il sait que ce qu’il engrange en ce moment vaudra de l’or pour la suite et qu’il aura une vie après la politique, analyse un représentant du transport public. Comme d’autres macronistes, il reste un consultant dans sa tête. »