Des navigateurs et chercheurs le voyaient raccroché au ministère de l’Écologie. Annick Girardin l’imaginait amarré à un grand ministère des Territoires. C’est finalement la vision des acteurs de l’économie maritime que le premier gouvernement du nouveau quinquennat Macron a adoptée : un ministère de la Mer, certes réduit à un secrétariat d’État, mais directement rattaché à la Première ministre.
De quoi, selon la filière, placer la Mer au cœur de la planification écologique. Et porter au plus haut niveau les enjeux qu’elle recouvre – jugés par nature interministériels.
Mais cette place inédite – qui chamboule de nouveau l’organisation d’un portefeuille confié à une inconnue du secteur, la députée de Guadeloupe Justine Benin – permettra-t-elle vraiment de gagner des arbitrages ?
Des compétences encore très partagées
« C’est un mythe de croire que quand on est rattaché au Premier ministre, on gagne forcément les arbitrages… Sur le plan d’investissement France 2030 par exemple, Bercy a beaucoup pesé. Les RIM [réunions interministérielles], c’est toujours les mêmes mécanismes, avec un ministère des Finances surpuissant », tacle un proche d’Annick Girardin.
L’entourage de la ministre sortante appelait plutôt à ce que la Mer soit enfin traitée comme un territoire à part. Et à part entière. Elle restera finalement entre les mains de plusieurs ministères, a appris Contexte.
Le décret d’attributions de Justine Benin, en cours de préparation et qui attendait encore l’arbitrage d’Élisabeth Borne le 25 mai, est « très proche » du texte qui avait fixé le champ de compétences de la ministre de plein exercice en 2020, selon une source dans l’administration.
« La seule particularité, c’est qu’on écrit que la secrétaire d’État exerce ses missions “par délégation de la Première ministre” », précise cette même source.
Le nouveau secrétariat d’État comptera donc toujours la pêche, la planification de l’espace en mer, ou encore la formation des marins dans ses compétences propres. Il conservera des compétences partagées avec les ministères de l'Agriculture et de l'Écologie sur l’aquaculture, la « gestion durables des enjeux maritimes », les ports et même le transport maritime, qui est pourtant tombé dans le giron quasi exclusif du ministère de la Mer lorsque l’ex-direction des Affaires maritimes s’est détachée de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), en mars 2022. Enfin, le secrétariat d'État de Justine Benin sera associé – sans pouvoir décisionnaire – sur la recherche et l’éolien en mer.
La DG Ampa reste sous co-tutelle. Selon nos informations, la nouvelle direction générale des Affaires maritimes, de la Pêche et de l’Aquaculture restera sous l’autorité conjointe du ministère de l’Agriculture et du secrétariat d’État à la Mer.
Sa capacité à s’imposer face aux autres ministères reste donc un grand point d’interrogation. « Il y a un calage à mettre en place avec les autres ministères », reconnaît notre source à l’administration. « La position par rapport au ministère de l’Écologie, au ministère de l’Agriculture et à celui de l’Énergie… ça peut être très compliqué », glisse une autre, qui se dit « mitigée » sur la nouvelle organisation. Au cours du dernier quinquennat, des armateurs ou les tenants d’une vision avant tout environnementale de l’océan ont parfois déploré que ce partage de compétences limite l’action de l'ancien ministère de la Mer aux questions de licences de pêche, dans le contexte du Brexit.
Un éclatement de l’écologie qui inquiète certains syndicats. Malgré la tutelle de la Première ministre, la séparation en deux ministères des politiques énergétiques et écologiques inquiète des syndicats comme le SNE-FSU. Le choix de rétrograder la politique maritime d’un ministère à un secrétariat d’État est tout aussi décrié. C’est un « revirement incompréhensible », pour Gwenaëlle Lhuillière, de la CFDT. Une redistribution des cartes qui fait craindre à Laurent Janvier, représentant FO, « un éclatement du pôle ministériel pour mieux préparer un mini-ministère de l’Environnement ». La brève de Contexte Environnement.
Pas de ministère, pas de Conseil des ministres
À défaut de périmètre élargi, plusieurs acteurs et élus spécialistes du secteur espéraient au moins voir débarquer une figure politique capable de « taper du poing sur la table » en réunion interministérielle. La nomination de la députée guadeloupéenne, qu’ils connaissent peu ou pas du tout, les a laissés un peu perplexes.
« Au départ, on disait aussi d’Annick Girardin qu’elle n’était pas au même niveau qu’un ministre de l’Économie. Mais ce qui fait la différence, c’est la volonté d’aller jusqu’au bout et la maîtrise des dossiers », tempère un responsable dans l’administration. « Finalement, avec Annick Girardin, le secteur s’est senti représenté », assure-t-il.
Élue divers gauche apparentée Modem, Justine Benin se montre « très intéressée » par les dossiers qui lui sont actuellement présentés, affirme-t-il aussi. Reste qu’elle se trouve sur un siège éjectable : la nouvelle secrétaire d’État, qui se représente aux législatives de juin, aura fort à faire pour être réélue au regard du bon score des Insoumis dans sa circonscription au premier tour de la présidentielle (53 % des suffrages pour Jean-Luc Mélenchon). À tel point que l’administration n’exclut pas de nouveaux revirements concernant le portefeuille de la Mer après les législatives (et le probable retour d’un ministère délégué aux Transports).
La nouvelle configuration a surtout un défaut de taille, concède un haut responsable : en tant que secrétaire d’État, Justine Benin n’aura plus accès au Conseil des ministres. « Donc elle ne sera plus en contact direct avec le président de la République. » Un détail qui peut faire la différence : certains élus racontent que le vent a parfois tourné sur des dossiers techniques, embourbés depuis longtemps, après qu’ils avaient été portés à l’oreille d’Emmanuel Macron.
Une administration à consolider
La plupart des acteurs politiques et économiques interrogés par Contexte espèrent par ailleurs que le secrétariat d’État pourra s’appuyer sur une direction générale « forte ». Lors de la création de la DG Ampa, Annick Girardin n’avait pas réussi à emporter la biodiversité ou les ports, jalousement gardés par ses anciens homologues Bérangère Abba (Biodiversité) et Jean-Baptiste Djebbari (Transports). « J’espère que le travail se poursuivra sur la DG Ampa pour en faire une “vraie DG Mer” », confiait à Contexte un proche de l’ancienne ministre, à la veille de la nomination de sa successeure.
« Il ne faut pas faire de refonte administrative trop souvent. On vient de créer la DG Ampa. L’enjeu est de la consolider. La politique de la mer est interministérielle. Vous n’aurez jamais l’intégralité du spectre dans une seule direction », temporise néanmoins l’administration, qui a déjà connu des vagues avec les agents concernés par la dernière restructuration.
L’un des enjeux serait plutôt la construction d’un nouveau rapport entre la DG Ampa et le Secrétariat général de la mer, qui coordonne depuis sa création en 1995 les travaux gouvernementaux concernant la mer auprès de Matignon. Son poids n’inquiète pas l’administration de l’ancien ministère de la Mer, mais celle-ci espère conserver son propre rôle d’animation des politiques maritimes. Le Secrétaire général de la mer a également une fonction de « conseiller mer » auprès du Premier ministre. « Normalement, c’est désormais le secrétaire d’État qui sera en capacité de le faire », souffle-t-on dans les rangs de Justine Benin.
D’anciens conseillers en passe d’être promus à la tête du cabinet
La composition de l’équipe de Justine Benin n’était pas encore totalement figée, le 25 mai. Selon nos informations, plusieurs anciens conseillers d’Annick Girardin devraient néanmoins monter en grade à ses côtés. Bruno Frachon, jusque-là conseiller industrie et relance, est pressenti pour devenir son directeur de cabinet. Il remplacerait François Lambert, qui a déjà rejoint l’Inspection générale des affaires maritimes, selon son compte LinkedIn. Le conseiller pêche Gonzague de Moncuit pourrait, lui, être nommé directeur adjoint de cabinet, à la place de Thomas Pailloux. Enfin, Justine Benin aurait déjà choisi son chef de cabinet : Alphonse Corone, qui était jusque-là chef de cabinet adjoint de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili.