Trois noms figurent sur l’invitation à la conférence de presse pour les trois ans du plan vélo le 14 septembre 2021 : la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, et le président de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), Olivier Schneider. Comme un symbole de la place grandissante de celui qui est à la tête de l’association pro-vélo depuis 2015. Au point que certains parlent de lui en disant « le secrétaire d’État au Vélo ».
L’évolution est fulgurante. Sous le quinquennat Hollande, les conseillers ministériels lui faisaient comprendre que personne ne connaissait la FUB et que le sujet du vélo était accessoire. Désormais, la fédération gère des millions d’euros d’aides au secteur pour le compte de l’État, via des certificats d’économies d’énergie (CEE), et est au premier rang de la photo de chaque déplacement gouvernemental concernant « la petite reine ».
Lobbying gagnant en 2017
L’ascension débute lors de la campagne présidentielle de 2017. La FUB, le Club des villes et territoires cyclables (CVTC) et des associations pro-vélo s’organisent pour la première fois pour avoir plus de poids et concentrent leurs demandes sur trois axes : avoir un budget alloué au vélo, développer une « culture vélo » dès l’école primaire et avoir une fiscalité spécifique. La stratégie est payante : ils obtiennent des accords de principe de neuf écuries présidentielles, dont celles d’Emmanuel Macron et de François Fillon.
Rebelote aux législatives, où 57 candidats finalement élus députés adhèrent à leur démarche, soit 10 % de l’hémicycle. « Il y avait un rajeunissement de l’Assemblée, beaucoup de députés primo-accédants qui n’avaient donc pas encore été formatés par le lobby automobile », relate Olivier Schneider, pour expliquer cette percée parlementaire.
Les Assises de la mobilité à l’automne 2017 marquent le véritable décollage de la FUB, qui est présente dans les six groupes de travail mis en place. À leur issue, le 13 décembre 2017, le gouvernement annonce la préparation d’un plan vélo. Il est présenté le 14 septembre 2018.
Encouragements d’Élisabeth Borne
Pour les défenseurs du vélo, le rôle d’Élisabeth Borne, à l’époque ministre des Transports, a été déterminant. « On lui doit énormément sur ce sujet, il y a un avant et un après », estime l’écologiste et président du CVTC de l’époque, Pierre Serne. L’ex-patronne de la RATP et son équipe sont très vite convaincues qu’il faut accorder de la place au dossier vélo au ministère. Rapidement, ils choisissent de faire confiance aux acteurs de la filière, en particulier à Olivier Schneider.
« On avait quelqu’un de compétent et efficace, un écologiste qui ne nous crachait pas au visage et qui était capable de faire avancer la cause. Il fallait l’encourager », se souvient un conseiller ministériel de l’époque.
Élisabeth Borne a l’occasion d’échanger régulièrement avec Olivier Schneider, à longueur de réunions. Elle n’hésite pas à lui passer directement des commandes, raconte celui-ci. Comme au printemps 2019, quelques jours avant le début de l’examen de la loi mobilités (LOM), où, au détour d’un rendez-vous, elle demande au président de la FUB : « Mais est-ce qu’on n’a pas un problème de compétences sur le vélo ? » Lorsque Olivier Schneider acquiesce, elle répond : « Eh bien vous allez me résoudre ça. »
« On aurait pu vouloir tout faire au sein de l’État, mais on a décidé de laisser de l’espace à une forêt qui ne demandait qu’à pousser plutôt que d’essayer de planter un jardin à la française », résume le même conseiller.
« Des blocages administratifs levés dès le lendemain »
La crise sanitaire a accentué le phénomène. En avril 2020, alors que la France est à l’arrêt, l’État commence à préparer la sortie du confinement.
« C’est un moment très particulier où toutes les méthodes administrativo-politiques ont disparu », se remémore Pierre Serne.
Noyé par la crise et la multitude de sujets tous plus urgents les uns que les autres, l’État doit chaque jour aller vite et ne peut pas tout gérer.
Autour de Pâques 2020, Élisabeth Borne a vent du concept de « coronapistes », ces aménagements temporaires créés pour favoriser le vélo pendant la pandémie. Dans les heures qui suivent, elle contacte Pierre Serne et lui demande si le Club des villes cyclables peut s’occuper du dossier et faire remonter les obstacles d’ici à la fin du confinement, un mois plus tard, afin de déployer ces pistes.
Dans la foulée, Pierre Serne présente les coronapistes à des journalistes et indique qu’il va rendre compte des blocages à la ministre. La presse titre alors sur la « mission » officielle confiée à l’écologiste. Il s’en excuse immédiatement auprès d’Élisabeth Borne. Elle ne s’en émeut pas. « Elle nous a dit “vous les associations, vous savez ce qu’il faut faire, vous avez les contacts et si c’est l’État qui fait, ça va prendre des mois. Donc, occupez-vous-en et nous, on vous couvre légalement en prenant les décrets nécessaires” », raconte Pierre Serne. « C’était incroyable, on avait des blocages qui étaient levés dès le lendemain sur un simple SMS d’Élisabeth Borne », poursuit-il. Le régime d’état d’urgence alors en vigueur permet d’aller vite : « on s’est appuyé dessus », explique l’ex-président du Club.
La FUB sur tous les fronts
Olivier Schneider vit une expérience similaire. Interrogé par une journaliste sur l’opportunité d’instaurer une aide à l’achat pour le vélo afin d’en favoriser l’utilisation au moment du déconfinement, le président de la FUB répond du tac au tac qu’une aide à la réparation serait plus adaptée. Il ne faudra pas deux jours à Élisabeth Borne pour le contacter et lui demander : « C’est une bonne idée, pouvez-vous me faire un chiffrage ? » Le chèque réparation de 50 euros naît rapidement et c’est la FUB qui porte le dispositif, via un programme CEE.
C’est loin d’être le premier programme CEE que gère la fédération pour le compte de l’État, via des conventions. Au fil du quinquennat, elle a en effet récupéré la gestion de programmes sur le stationnement vélo, sur la formation à l’expertise vélo, sur l’accompagnement des employeurs et sur la logistique à vélo, qui représentent plusieurs dizaines de millions d’euros de financements. Début 2021, elle ajoute une corde à son arc avec le programme Génération vélo pour l’apprentissage de la bicyclette (21 millions d’euros). La FUB s’occupe aussi de l’Apic, qui est responsable du fichier national d’identification des vélos, et d’organiser l’événement « Mai à vélo ».
Avec le chèque réparation, la fédération est désormais sous le feu des projecteurs, la mesure bénéficiant d’une vaste campagne de communication de l’État et se révélant être un succès.
« La période de la LOM a préparé le terrain puisqu’on coconstruisait beaucoup avec les associations et ça se passait bien », explique une source du ministère des Transports. Depuis, même après le changement de gouvernement à l’été 2020, il n’y a pas eu de « retour de balancier », constate Pierre Serne.
Rester dans son rôle
« C’est une preuve de confiance », se félicite Olivier Schneider. Mais ce développement suscite aussi des remous. Le président de l’association reconnaît qu’il y a « beaucoup de questionnements internes sur le rôle de la FUB », mais considère qu’il s’agit de « débats sains », alors que l’organisation est passée de 3 salariés à 60 salariés en six ans. Elle décide néanmoins de ne pas prendre en charge de nouveaux programmes pour le moment.
Pierre Serne incite à la vigilance :
« Il faut faire attention à ne pas se faire embarquer, nous ne sommes pas des porte-parole du gouvernement et nous n’avons pas de délégation de service public de la politique vélo, il faut que chacun soit bien dans son rôle. »
Reste qu’au crépuscule du quinquennat, du côté du ministère comme des associations, on estime que le travail commun mené depuis 2017 est une réussite et que le partenariat s’est avéré « gagnant-gagnant ». Pour Olivier Schneider, c’est un « rêve éveillé ».
Au ministère, on considère que « c’est une bonne évolution de la pratique de l’administration, vers un fonctionnement beaucoup plus partenarial et beaucoup moins vertical ». L’avenir dira si ce changement de méthode sera conservé lors du prochain quinquennat et s’il fera des émules dans d’autres secteurs.