« Quand je me suis replongé dans notre programme de 2017, j’ai été étonné de constater qu’il n’y avait quasiment rien sur le numérique. » François Thiollet, membre du bureau exécutif d’Europe Écologie - Les Verts et délégué au projet du parti, le concède volontiers : « A l’époque, le sujet a beaucoup occupé La République en marche. Il était moins à la une chez nous. »
« Le programme de 2017 était une resucée du programme de 2012, car le parti n’était pas dans le même état qu’aujourd’hui, abonde l’eurodéputé David Cormand (Les Verts/ALE). On n’avait ni les ressources ni l’énergie. Et, par ailleurs, les personnes en charge n’avaient pas forcément d’appétence pour la matière. »
Une absence qui interpelle, alors que le parti s’est historiquement impliqué sur les sujets numériques. Ce fut le cas lors des lois Hadopi en 2009 et des négociations européennes sur l’Accord commercial anticontrefaçon (Acta) en 2012, où bon nombre d’écolos sont montés au créneau. « Ils ont été en pointe sur l’idéologie d’internet, confirme un lobbyiste du secteur. Ils défendaient une vision très libertaire : la licence globale, les libertés numériques, l’absence de responsabilité des intermédiaires… Mais cette idéologie idéaliste n’est plus tendance. Elle est même vue comme trop laxiste et dangereuse face aux dérives d’internet. » Pour notre lobbyiste, « les écolos voient surtout le numérique comme un facteur aggravant du changement climatique ». Et de citer en exemple l’approche des députés EDS (Écologie Démocratie Solidarité) sur la loi climat. Il insiste : « Par ailleurs, il manque des gens sur les sujets numériques ! » Un constat partagé par d’autres lobbyistes.
L’amorce d’un rebond
Pour 2022, se réinventer apparaît donc comme une priorité. « Aujourd’hui, il y a clairement un rebond », affirme François Thiollet. Au-delà de ses prises de paroles remarquées sur la 5G, le parti s’est mis au travail.
Le livre de Shoshana Zuboff, publié en octobre 2020, porte une critique de la surveillance permise par les technologies numériques. « Le capitalisme de surveillance est un concept extrêmement puissant, qui percute à la fois des questions démocratiques, sociales et écologiques », explique l’eurodéputé Vert David Cormand, qui porte le sujet au niveau européen. Et de citer, entre autres, la diffusion de l’information, « concentrée aux mains de quelques grands groupes », et l’ubérisation du travail.
« Des sujets émergent, que les écolos ont envie de porter : la question de l’impact environnemental du numérique bien sûr, mais aussi celle du « capitalisme de surveillance », issue du livre de l’universitaire américaine Shoshana Zuboff. »
En vue de la présidentielle, les militants, organisés en commissions thématiques, se sont donc emparés des sujets. Un groupe de travail sur les Gafam a aussi été créé. « Via ce GT, qu’on a redynamisé, on a mieux traité les sujets numériques », note le chef de projet, qui reconnaît « un fonctionnement assez artisanal ».
Les sujets numériques ont été abordés par les commissions Numérique et Culture, chacune composée de plusieurs groupes thématiques. Lire les notes de cadrage des groupes Médias et industries culturelles et Création artistique, publiées dès mars 2021.
Les commissions se sont beaucoup appuyées sur les élus : les sénateurs Esther Benbassa et Thomas Dossus (groupe écologiste) à Paris ; les eurodéputés David Cormand et Gwendoline Delbos-Corfield (Les Verts/ALE) à Bruxelles. « Je suis intervenu très en amont et j’ai pondu de la note », confirme David Cormand, qui siège en commission du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (Imco) au Parlement européen, celle qui s’occupe de la réforme de la responsabilité des plateformes.
Côté français, Esther Benbassa s’est mobilisée sur les libertés numériques et Thomas Dossus sur les sujets audiovisuels. À Bruxelles, David Cormand s’est investi sur les questions de concurrence et de protection des données et Gwendoline Delbos-Corfield sur la régulation des contenus, la conception des algorithmes et la question du genre. Les deux eurodéputés préparent une note spéciale sur le Digital Services Act et le Digital Markets Act, deux textes européens majeurs pour le secteur numérique.
Une plateforme collaborative, lancée par les cinq mouvements écolos (EELV, Génération. s, Cap 21, Génération écologie et le Mouvement des progressistes), a également été ouverte du 14 avril au 13 juin. « Cette initiative a permis de décloisonner un peu le travail mené en commissions et d’alimenter la réflexion », explique François Thiollet.
Les axes de travail
Un projet commun vient d’être soumis au vote des cinq mouvements et adopté dimanche 11 juillet par Europe Écologie - Les Verts. « Il ne s’agit pas de produire un inventaire à la Prévert, mais de porter un récit sur la manière dont on veut transformer le pays », précise le chef des troupes d’EELV. Sur le numérique, sujet consensuel au sein des différents mouvements, 15 grandes mesures devraient se détacher.
Mis en ligne dans la semaine du 12 juillet, le projet écologiste sera soumis à consultation. Objectif : prioriser les différentes mesures et chiffrer les propositions. Au total, toutes thématiques confondues, plus de 300 propositions seront sur la table. Au cours de la campagne, les écologistes envisagent, comme ce fut le cas pour les Européennes, de compléter ce projet avec des livrets thématiques.
La première porte – sans surprise – sur l’impact du numérique sur le climat. Le projet devrait prôner un moratoire sur l’installation des plateformes logistiques et des data centers, une information plus précise et transparente sur la consommation énergétique, et une analyse du cycle de vie des terminaux afin de lutter contre l’obsolescence programmée. Plus largement, il devrait proposer un plan d’approvisionnement durable des métaux rares utilisés dans l’informatique.
Sur la 5G, la réflexion se poursuit. « On avait demandé un moratoire avant le rapport de l’Anses. Depuis, la technologie s’est installée. Il faut désormais ouvrir une réflexion sur les usages », explique François Thiollet, qui défend une sobriété numérique réelle, dépassant la simple incitation. Il souhaiterait que les collectivités aient les moyens de s’opposer à l’implantation d’antennes, via un vote conforme au conseil municipal.
Le projet se penche également sur la protection des libertés, thème cher aux écologistes. Il devrait préconiser l’interdiction de la publicité comportementale et du micro-ciblage, mais aussi la fin de la « censure automatisée ». « Ces dernières années, ça a été un combat difficile à mener. Il faut qu’on fasse entrer cette question dans le débat public pour contrer les approches sécuritaires », explique François Thiollet, qui défend également un moratoire sur la reconnaissance faciale.
Sur la lutte contre la haine en ligne, le projet écologiste devrait renvoyer le débat au niveau européen. « Une autorité administrative et judiciaire indépendante – par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme – pourrait être chargée de ces sujets, et être saisie un peu comme le CSA sur l’audiovisuel. L’objectif est d’obliger les Gafam à travailler de manière convergente et non selon leurs intérêts privés, qui ne visent pas le bien commun. »
Le projet devrait aussi proposer une loi européenne de démantèlement des Gafam, ainsi qu’une taxation plus ambitieuse des géants du numérique, sur une base européenne de 23 % (15 % sont envisagés aujourd’hui dans le cadre de l’accord à l’OCDE).
Enfin, la promotion d’un numérique citoyen sera en bonne place dans les propositions. Dans la lignée de leurs positions historiques, les écologistes continuent de soutenir les outils libres et prônent un « service public du numérique ». Leur projet devrait en outre plaider pour un grand plan de lutte contre l’illectronisme, couplé à une réflexion sur les usages et la dépendance aux écrans et un renforcement de la lutte contre les fake news.
Difficulté de mobiliser
Reste encore à savoir comment la candidate ou le candidat écologiste à la présidentielle abordera ces propositions, et s’il durcira ou amoindrira certaines positions. « Un programme de parti, ce sont 1 600 pages avec des petits détails dont les candidats s’empareront ou pas », rappelle Gwendoline Delbos-Corfield. Yannick Jadot n’est d’ailleurs pas totalement en phase avec son parti sur la 5G et voit dans le numérique une chance et une opportunité pour aider la transition écologique. Le maire de Grenoble Éric Piolle est au contraire sur une ligne dure.
L’eurodéputée Gwendoline Delbos-Corfield n’est pas dupe. « Aujourd’hui, il y a la reine des batailles à mener : les questions d’environnement et de climat. Cela prend presque tout l’espace disponible. Qui plus est, le numérique est en général difficile à vendre dans une campagne. » Et de conclure, à l’approche des Journées d’été d’EELV, prévues les 19, 20 et 21 août : « Il est temps que l’on mobilise davantage les militants sur ces sujets. »