Il ne montre pas autant sa figure que Guillaume Rozier sur les réseaux sociaux, mais il n’en joue pas moins un rôle crucial dans la lutte contre le Covid. À 32 ans, Charles-Pierre Astolfi a chapeauté la mise en place des systèmes d’information de la vaccination, ceux qui permettent de s’assurer que les doses arrivent au bon endroit en temps voulu.
Une mission de plus pour un jeune homme hors norme au sens statistique du terme. De ceux dont on se dit qu’il faut les suivre. Évacuons d’emblée la question. Le premier qualificatif qui vient dans la bouche de celles et ceux qui l’ont croisé, c’est « brillant ». Tapez son nom sur un moteur de recherche et vous tomberez vite sur un article du Monde de 2015 intitulé « la difficulté d’être surdoué ». Une sorte de premier portrait, pas très joyeux, qui revient sur une scolarité qui n’a rien eu d’évident.
Avec ses quatre ans d’avance, Charles-Pierre Astolfi est un surdoué catégorie « ++ » – on dit « très haut potentiel intellectuel » aujourd’hui –, qui a enchaîné douze années d’études supérieures, « comme une longue quête de sens » résume Le Monde. Sur son CV, Normale Sup et les Mines, et au bout du chemin la carrière de haut fonctionnaire, comme ingénieur des mines.
« Il a une intelligence technique et sociale »
« Quand il est arrivé à l’Anssi, on lui a donné le sobriquet de « M. 2048 » : on avait tous lu le portrait du Monde, où il expliquait qu’il jouait à ce jeu de puzzle tout en suivant des cours, se souvient Félix Aimé, un de ses anciens collègues à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. On s’est très vite rendu compte que c’était une fusée, qui met son intelligence au service du collectif. » Charles-Pierre Astolfi y avait atterri en 2015, à la direction opérationnelle, celle chargée de « jouer les pompiers ».
Un sentiment partagé par les personnes qui ont travaillé avec lui par la suite. « Il a une intelligence technique et sociale », estime Félix Aimé, qui enchaîne les superlatifs quand il se remémore le passage du jeune homme :
« C’est phénoménal d’avoir quelqu’un comme lui dans une structure. Il a révolutionné des fonctionnements, des gens qui ne se parlaient pas se sont mis à travailler ensemble. Il est reparti et c’est redevenu comme avant. »
Ancienne présidente du CNNum, Salwa Toko abonde dans ce sens. Après l’Anssi, Charles-Pierre Astolfi est devenu secrétaire général de cet organe consultatif du gouvernement en 2018. Vidée d’une grande partie de ses équipes après une retentissante explosion en plein vol, la structure est alors donnée pour morte. « Il a reconstruit le CNNum, se souvient Salwa Toko. Il a recruté des rapporteurs, des stagiaires… » Et le Conseil de renaître de ses cendres après un an de remise en route, enchaînant les rapports et les avis, pas toujours aimables avec le gouvernement.
Fin 2017, l’entrepreneure Marie Ekeland avait été nommée présidente du CNNum. Une fonction qu’elle a occupée peu de temps. Face à la volonté du gouvernement de faire sortir du collège la militante antiracisme Rokhaya Diallo, Marie Ekeland avait donné sa démission, entraînant presque tout le reste du collège à sa suite. Six mois plus tard, le secrétaire d’État au Numérique Mounir Mahjoubi nommera enfin la nouvelle mouture, avec Salwa Toko à sa tête.
Une personne qui l’a croisé au CNNum salue aussi ses « capacités de management : il sait faire monter en capacité une équipe ».
La gestion de crise ? Apparemment, pour cela aussi il a assuré, là où bien des organisations se sont crashées sur le tarmac des visioconférences et de l’école à la maison. « Tout avait été anticipé en voyant la situation en Italie, il est hyper efficace », se remémore Vincent Toubiana, qui l’a secondé comme secrétaire général adjoint du CNNum.
La mise en place des systèmes d’information de la vaccination, au prix d’une vie de moine pendant plusieurs semaines, se passera également bien, comme l’explique David Sainati, directeur de projets à la Direction du numérique en santé :
« Il l’a fait avec brio, en respectant les délais. Je pensais à lui quand j’étais à Noël en famille. Il n’a pas lâché. S’il partait, ce serait une perte incommensurable pour nous. »
« La pression est inhérente à plusieurs des fonctions que j’ai occupées. Finalement je me retrouve dans ce rythme, je peux avoir une tendance à m’ennuyer sinon », analyse Charles-Pierre Astolfi.
Politique ou politique ?
Avec un tel parcours, on l’imagine volontiers monter haut, dans des sphères où il faut parfois frayer avec le politique, au prix de quelques contorsions. Là encore, on cherche la petite bête, en vain.
Pour la personne qui a échangé avec lui du temps du CNNum, « le duo avec Salwa Toko fonctionnait très bien. Sur les prises de position politiques, il n’était pas moteur, il venait en soutien des membres, il a le respect de la fonction ».
« Naturellement parce qu’il est brillant, on lui prête une ambition, poursuit David Sainati. Il est passionné, avide d’en savoir plus. Mais pas sûr qu’il soit avide de pouvoir. »
Pour le député Jean-Michel Mis (LRM), membre du CNNum, Charles-Pierre Astolfi est bien politique, au sens étymologique du terme :
« Il a une très bonne connaissance des écosystèmes, du rôle des différents acteurs institutionnels ou privés. »
Ce que ne dément pas l’intéressé, qui y voit un paramètre, certes peut-être regrettable, mais qu’il faut intégrer :
« Si tu ne comprends pas, tu seras limité. Qui sont tes ennemis, tes alliés ? Un collègue, un ministre, l’administration ? »
S’il n’a jamais été encarté, il assume aussi avoir en tête de passer par un cabinet :
« Le cabinet, ça ne fait jamais de mal pour évoluer dans la fonction publique. »
Lignes rouges
Pour autant, il a ses critères. À commencer par sa motivation, avec ce cerveau à nourrir en permanence. Il a d’ailleurs refusé de devenir directeur de cabinet de Guillaume Poupard, le DG de l’Anssi. « Je voulais voir ailleurs, quitte à revenir plus tard dans ces métiers », justifie celui qui fonctionne par cycle de deux ou trois ans. Certains argueront au passage que c’est une limite à sa capacité à refondre en profondeur les structures.
Il y a aussi des secteurs qui le rebutent, comme l’armement, le ministère de l’Intérieur ou les activités qui polluent. Quant à travailler à la mise en œuvre de la Hadopi, il hausse les épaules.
Il faut dire qu’il a découvert internet aux temps épiques de la loi Davdsi et de la Loppsi dans les années 2000, deux textes honnis par les défenseurs des libertés publiques, observant les débuts de La Quadrature du net. « Tous les gens que je lisais à l’époque étaient contre », se souvient-il.
La loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information de 2001 a transposé la directive de 2004 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) de 2011 comprenait des mesures pour lutter contre la cybercriminalité.
Si son opinion a évolué depuis, cette initiation lui aura fait prendre conscience du rôle des institutions et fait naître une passion pour le lien entre numérique et société, un sujet qui se décline à l’infini. À l’heure du changement climatique, c’est l’environnement qui le motiverait le plus. Pas forcément dans le public, ni dans l’élaboration théorique, mais plutôt dans « la mise en œuvre ».
Pas trop la fibre communicante
Finalement, un seul obstacle semble se dresser sur sa route, estime la personne qui l’a croisé au CNNum :
« Il se met en retrait, il a un manque de fibre communicante pour incarner une vision à l’extérieur. »
Mais sur ce point encore, d’autres nuancent, à l’image de Salwa Toko :
« Il semble effacé, mais sait très bien ce qu’il veut. » Et elle le voit même travailler sur des projets d’envergure sur la structure d’internet, à l’image d’un Tim Berners-Lee.
Pour son ancien collègue de l’Anssi Félix Aimé, ses qualités s’imposent d’elles-mêmes :
« Tout le monde le reconnaît en tant que tel, pas sûr que ça le desserve… »
En attendant la rentrée, il s’est mis en pause cet été. Salwa Toko conclut, comme un écho au portrait du Monde :
« Fondamentalement, il se cherche encore, et cela ne passe pas que par le travail. Il a besoin de s’éclipser parfois… »