La déflagration est immense. L'écho du choc résonne encore. Le Royaume-Uni va quitter l’Union européenne, ses citoyens l'ont décidé à 51,9 %. Politiquement, le revers est sans précédent pour les tenants de l’unification du continent. Les populistes et les extrêmes de tous bords réclament la tenue de référendums similaires dans leurs pays. Le FN de Marine Le Pen en France, le PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas – même si ce n'est constitutionnellement pas possible dans ce pays – pour ne citer que les plus puissants.
Le retour de l’Europe protection
Les capitales ont essayé d'anticiper cette nouvelle crise et discutent, depuis le début de 2016, d’une possible nouvelle initiative forte post 23 juin.
Un temps évoqué, le renforcement de la zone euro est aujourd’hui remis à plus tard. Les divergences entre Français et Allemands sont trop importantes. La France n’a pas encore ramené son déficit sous la barre des 3 %, l’Allemagne freine des quatre fers sur l’approfondissement de l’union bancaire, et la question d’éventuelles sanctions contre l’Espagne et le Portugal n’est pas encore tranchée.
« Et personne n’a envie de la nouvelle camisole que pourrait proposer Berlin », lâche un diplomate européen à Bruxelles.
C’est donc ailleurs que les Européens ont cherché de possibles convergences de vues. En ces temps de conflit en Ukraine, de menace russe persistante et de guerre en Irak et en Syrie, c’est vers la défense que les regards se tournent.
"Pour sortir l’UE d’une possible désagrégation lente, il faut se tourner vers les questions liées à la sécurité, pour protéger les citoyens qui sont inquiets", explique une autre source diplomatique. "Dans le monde tel qu’il devient, et avec des Américains de moins en moins présents, il faut que nous nous organisions."
30 % de crédits en moins
Dans le domaine de la défense, l’UE n’a presque aucune compétence. Le militaire reste l’apanage des États et malgré les divagations de la presse britannique, la création d’une armée commune est à des années-lumière.
"Nous devons commencer par combler nos lacunes et, parmi elles, il y a la question des investissements", poursuit notre interlocuteur.
Selon un rapport de la Commission européenne, les crédits alloués à la recherche dans le domaine militaire ont été réduits de 30 % depuis 2006. C’est là que Bruxelles pourrait entrer en scène et apporter une plus-value.
Depuis quelques semaines, la Commission racle les fonds de tiroir de ses budgets pour trouver une trentaine de millions d’euros et lancer ce qu’elle appelle "une action préparatoire". Il s’agit d’une expérimentation sur trois ans (soit 90 millions) pour financer les recherches des industriels du secteur. Ce serait une première dans l’histoire de l’UE.
"Avec l’idée de faire monter en puissance les ressources allouées lors du prochain cadre budgétaire qui sera négocié après 2020", précise le diplomate. La somme de 3,5 milliards d’euros sur sept ans est évoquée comme une piste sérieuse. Avec un tel montant, les industriels européens pourraient être tentés de multiplier les coopérations aussi bien dans la recherche que dans le développement de nouveaux véhicules, drones ou autres.
Révolution mentale à la Commission
Mais pour que cette ébauche de stratégie soit complète, de nombreuses questions restent encore à trancher. À qui reviendra la propriété intellectuelle des projets financés ? Quelles entreprises sont éligibles ?
Les cadres actuels comme ceux des programmes de recherche Horizon 2020 apparaissent bien trop larges. Les PME israéliennes peuvent par exemple y souscrire. De même, les résultats des recherches sont en partie partagés. L’enjeu des questions militaires va forcer la Commission à revoir son schéma de pensée.
"Il y a un débat autour de la notion d’autonomie stratégique", explique une source européenne. "Cela veut dire être indépendant sur le plan technologique, développer nos propres capacités, rien à voir avec l’idée d’un marché unique ouvert."
L’action préparatoire pourrait être lancée dans les prochaines semaines. Un livre blanc sur les capacités et les besoins (à 10 ou 15 ans) doit suivre avant la publication d’un plan d’action au mois de décembre.
Des mécanismes de solidarité
D’autres pistes sont aussi en réflexion dans les capitales, comme celle de revoir les ressources militaires mises en commun et la manière de décider de les utiliser ou non. Des "Battlegroups", une force de 1 500 hommes composée de soldats de trois pays différents qui changent tous les six mois, existent. Ils n’ont encore jamais été utilisés.
"Certains États sont toujours réticents à participer activement à des opérations. Dans ce cas, un mécanisme de péréquation financière pourrait permettre d’ajuster la solidarité", explique notre diplomate.
Berlin et Paris en discutent activement. Longtemps réticente à aborder les questions de défense, l’Allemagne a fait évoluer son discours depuis la crise ukrainienne.
Dans le même temps, la France se plaint de supporter la majorité du coût de la sécurité des Européens lorsqu’elle intervient en Afrique. Après le déclenchement de la guerre au Mali, François Hollande avait demandé un soutien à ses partenaires, sans grand succès.
La définition d’objectifs clairs, pour chaque pays, en termes d’investissement dans la défense, pourrait aussi être une option, un peu comme l’UE le fait déjà pour ses politiques économique ou budgétaire.
"Les chefs d’État et de gouvernement pourraient se retrouver en septembre pour en discuter", glisse-t-il.