À la première écoute, la phrase a fait sursauter tout ce que le gouvernement et la Macronie comptent de spécialistes de l’écologie. « J’appelle à la pause réglementaire européenne. Maintenant, il faut qu’on exécute, il ne faut pas qu’on fasse de nouveaux changements de règles », a déclaré Emmanuel Macron le 11 mai lors de la présentation, à l’Élysée, de la « stratégie pour accélérer la réindustrialisation ».
« Ça nous a tous surpris, ce n’était pas dans les éléments de langage », soupire un fonctionnaire au ministère de la Transition écologique, pour qui ce discours « va à l’encontre de tout ce qui a été fait pendant la présidence française » du Conseil de l’UE, au premier semestre 2022. Dans Le Monde, le président de la commission de l’Environnement au Parlement européen, Pascal Canfin, a déploré « une phrase malheureuse qui ne traduit pas ce que la France fait ». Mais, au fond, que voulait dire le président français ?
De nombreux textes encore en suspens
L’Élysée a précisé que cette pause n’était en rien un « moratoire » et qu’elle ne concernerait pas les normes actuelles ou en cours de négociations. Le discours présidentiel a toutefois fait planer une ombre sur les textes législatifs annoncés dans le cadre du Pacte vert, mis en musique depuis 2019 par la Commission von der Leyen, mais qui n’ont pas encore été présentés par l’exécutif européen.
Si le volet climatique du Pacte vert est bien avancé, de nombreux textes se font encore attendre dans le domaine de l’environnement. C’est notamment le cas d’une directive-cadre sur les déchets, d’un règlement sur la pollution des sols, de la révision du règlement Reach sur les produits chimiques ou encore, d’un texte sur les microplastiques. La présentation de ces propositions législatives a d’ailleurs été reportée à de nombreuses reprises. Et, pour une raison encore inconnue, certaines de ces législations ne figurent plus dans le dernier programme en date de la Commission, un document provisoire, que Contexte a publié.
« Un message à la prochaine Commission »
« Il faut aller au bout du Green Deal, l’enjeu désormais est que cette réglementation soit véritablement appliquée », juge l’eurodéputée Valérie Hayer, reçue à l’Élysée le 12 mai, au lendemain des déclarations d’Emmanuel Macron, avec le reste de la délégation de Renaissance à Bruxelles. « C’est plutôt un message à la prochaine Commission, abonde la secrétaire d’État à l’Europe Laurence Boone, il y a une inflation législative et le sentiment qu’on n’évalue pas toujours les impacts jusqu’au bout. »
« La prochaine Commission [en 2024] doit être une commission de l’exécution, de la mise en œuvre », résume une autre source au sein de l’exécutif français. Le ministre délégué à l’Industrie, Roland Lescure, a d’ailleurs plaidé sur France Info pour une pause de « cinq ans ». Soit la durée d’un mandat à la Commission.
« Je suis étonné qu’il sorte si tôt du bois »
Si le but est bien d’influer dès à présent sur les grandes orientations du prochain exécutif, Emmanuel Macron prend nettement les devants. Les prochaines élections européennes auront lieu au printemps 2024, le futur président de la Commission – pourquoi pas Ursula von der Leyen elle-même – sortira du chapeau autour de l’été et c’est à ce moment-là seulement que l’heureux élu ébauchera son programme. En 2019, l’actuelle titulaire du poste avait présenté ses grandes priorités, dont le Pacte vert, à la mi-juillet. L’exercice est délicat, puisqu’il demande de prendre en considération les équilibres au sein du Parlement fraîchement élu, mais aussi parmi les États membres.
« Je suis étonné qu’[Emmanuel Macron] sorte si tôt du bois. C’est quand même un marqueur politique très fort à un an des élections », analyse un lobbyiste installé à Bruxelles, expert dans les politiques environnementales.
« La crise climatique ne s’arrête pas »
En réclamant une trêve normative, Emmanuel Macron pose donc de facto un premier jalon dans la campagne électorale. « Là où je rejoins le président de la République, c’est quand il dit que la prochaine Commission devra mettre en exécution ces projets », commente le vice-président de la Commission chargé du Pacte vert, Frans Timmermans, interrogé par Contexte et notre confrère allemand Table Media. « Il a complètement raison, mais il faut faire attention. Il faut aussi présenter un projet politique aux citoyens lors des élections européennes – quels électeurs vont se rendre aux urnes si on leur dit qu’on est de simples administrateurs de Bruxelles ? », ajoute l’ex-ministre néerlandais affilié aux sociaux-démocrates européens. D’autant plus que « la crise climatique ne s’arrête pas », souligne encore Frans Timmermans.
La droite européenne accorde pour sa part un bon point au président français. « Macron a raison, juge le chef de file du Parti populaire européen (PPE) à la commission de l’Environnement, Peter Liese, dans un communiqué. Ce qu’[il] dit maintenant, notre groupe le dit depuis des mois. » Le président français demeure toutefois beaucoup plus mesuré que la principale formation de droite, laquelle espère mettre en échec deux projets de règlement majeurs du Pacte vert, sur la restauration des écosystèmes naturels et les pesticides.
Ce débat qui s’engage n’est pas anodin à l’approche de la campagne des européennes, prévues au printemps 2024, qui se jouera en partie sur le bilan du quinquennat von der Leyen. Cinq années rythmées, entre autres, par le Pacte vert.