À Bruxelles, les esprits sont déjà tournés vers le prochain scrutin européen. Et pourtant, le sort d’une dizaine de législations clés découlant du volet environnement du Pacte vert n'est pas scellé. Celles-ci sont toujours entre les mains du Parlement et du Conseil de l’UE. C’est le cas des textes sur la restauration de la nature, la qualité de l’air ou les emballages. D’autres sont encore en cours d’écriture à la Commission (sur les déchets, les substances chimiques ou les sols, par exemple) et doivent être présentés d’ici fin 2023.
Pacte vert. Présenté en décembre 2019, le Pacte vert vise à rendre l’économie européenne soutenable en termes d’utilisation de ressources. En plus de l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050, des plans d’actions « biodiversité », « économie circulaire » et « zéro pollution » déclinent les ambitions (élevées) de la Commission. L’exécutif souhaite, par exemple, avoir inversé le déclin de la biodiversité en 2030 ou ramener la pollution à des niveaux qui ne soient plus nocifs pour la santé ou les écosystèmes d’ici à 2050. À partir de ces plans, seuls deux règlements ont été adoptés à ce jour, sur la déforestation et les batteries.
« Nous avons encore une montagne à gravir », a résumé le directeur adjoint de la Direction générale de l’environnement (DG Env) de la Commission européenne Patrick Child, lors d’une conférence, le 22 mars.
Un embouteillage qui laisse planer un gros doute sur l’adoption de toutes ces législations quand on sait qu’il faut a minima un an et demi entre la présentation d’une directive ou d’un règlement par l’exécutif européen et sa publication au Journal officiel.
L’heure des choix
Ce retard s’explique en partie par le temps consacré par l’exécutif à dérouler stratégies et plans d’action, en début de mandat. Des feuilles de route nécessaires pour « apporter de la clarté aux industriels, les engager dans la conversation », défend le commissaire à l’Environnement, Virginijus Sinkevičius, lors d’un entretien avec Contexte fin février. Il reconnaît néanmoins que la démarche « laisse moins de temps pour finaliser les propositions législatives ». D’autant que celles-ci ont d’abord mis sur les rails la décarbonation de l’industrie, avec la présentation du paquet climat à l’été 2021. La déclinaison des autres volets du Pacte vert (biodiversité, pollution, économie circulaire, etc.) a pris beaucoup plus de temps.
Or plus le temps passe, plus le risque augmente que les institutions aient à faire des choix entre les dossiers.
La remise en jeu d’une proposition législative. La Commission a le droit de modifier ou retirer une proposition législative tant que le Conseil de l’UE n’a pas statué dessus. C’est ce que précise la Cour de justice de l’UE dans un arrêt rendu en 2015. Le retrait d’une proposition doit être motivé auprès du Parlement et du Conseil, avec des « éléments convaincants ». Outre cette règle, rien n’empêche le Parlement ou le Conseil de laisser de côté une proposition législative. Toute législation non adoptée avant les élections 2024 peut donc être à risque si la prochaine Commission ne soutient plus la proposition mise sur la table ou si la nouvelle majorité du Parlement n’y est pas favorable.
« Il y a des discussions au sein de la Commission, mais aussi des ONG, pour évaluer ce qui a une chance d’atteindre un accord en trilogue [négociations interinstitutionnelles] et donc d’être sauvé avant leur remise en jeu avec les élections », analyse un défenseur de l’environnement basé à Bruxelles.
Personne ne sait, en effet, à quoi ressembleront le prochain exécutif et le prochain Parlement (élu au printemps 2024), ni s’ils accorderont la même importance à cette transition.
Volte-face politique
En plus du timing serré, la majorité politique qui soutenait le Pacte vert à son lancement menace de se déliter. Pandémie, guerre en Ukraine, inflation… Au cours du mandat von der Leyen, les crises se sont succédé, entraînant le report de certains textes législatifs. Mais ces événements, souvent invoqués pour justifier la réduction des ambitions, ont aussi « bon dos », juge une source parlementaire favorable au Pacte vert.
Le Parti populaire européen (PPE), initialement un allié sur le Pacte vert, demande désormais un moratoire sur plusieurs textes susceptibles, selon eux, d’accroître l’inflation, notamment alimentaire, ou d’engendrer des lourdeurs administratives pour les entreprises. Le règlement sur la restauration de la nature, par exemple, cristallise les critiques des conservateurs, qui opposent biodiversité et sécurité alimentaire. Au point qu’un grand nombre d’entre eux demandent le retrait pur et simple de la proposition de la Commission (relire notre brève).
Les libéraux européens (Renew), groupe clé pour construire des majorités sous ce mandat, apparaissent, eux aussi, divisés sur le sujet (relire notre brève).
Pourtant, assure Virginijus Sinkevičius, la Commission européenne, même présidée par une membre du PPE (Ursula von der Leyen), accorde toujours une priorité au Pacte vert. « Sa mise en œuvre s’est poursuivie durant le Covid, durant la guerre, même si bien sûr nous avons dû réagir et réallouer les ressources là où cela était nécessaire. »
Fatigue générale
Le commissaire se dit confiant de voir les textes sur la table aboutir avant le terme de son mandat, en mai 2024. « Nous allons avoir une fin d’année extrêmement chargée, avec beaucoup, beaucoup de trilogues », reconnaît-il.
Or c’est justement parce que tout est encore possible – mais plus pour longtemps – que la tension est à son comble à Bruxelles.
Dans les couloirs de la Commission, « tout le monde est crevé, certains même au bord du burn-out, mais personne ne sait s’ils auront le soutien politique pendant le prochain mandat pour continuer », raconte Frédérique Mongodin, responsable de la pollution marine pour l’ONG Seas at Risk.
Virginijus Sinkevičius concède que les fonctionnaires de la DG Env, « dévoués » à l’atteinte des objectifs fixés, travaillent « sans compter leurs heures ».
Surtout, la vague n’est pas passée. « Ma plus grande inquiétude, ce sont les législations secondaires », confie le commissaire à l’Environnement. À titre d’exemple, le règlement sur l’écoconception des produits – actuellement sur la table des colégislateurs – prévoit que les normes de d’écoconception soient élaborées par plusieurs dizaines d’actes délégués (relire notre article) et donc, par les fonctionnaires européens. Le Lituanien milite donc pour des postes supplémentaires : « Nous aurons clairement besoin de renforts, en particulier pour notre paquet économie circulaire », glisse-t-il.
Quelque 450 personnes travaillaient pour la DG Env en octobre 2022. À peine plus qu’en 2019, avant que la Commission ne décide de réviser la plupart de ses législations relatives à l’environnement.
Tic-tac
Alors où grappiller quelques mois dans cette course contre la montre ?
Le commissaire souffle une idée. Il juge insuffisant « le nombre de [réunions du] Conseil Environnement [qui rassemble les ministres européens de l’Environnement quatre fois par an]. Ce n’est pas assez. Car le Conseil Environnement traite aussi des sujets sur le climat, et l’agenda est rempli. Je suggère depuis un moment de faire ces réunions sur deux jours ».
Mais la décision revient à la présidence du Conseil de l’UE. Et seuls deux conseils sont prévus dans le programme de juillet à décembre préparé par Madrid qu’a publié Contexte.
Un Pacte vert après l’autre
Même si les institutions européennes parviennent à boucler le Pacte vert sur le fil, cela ne suffira pas. Le directeur adjoint de la DG Env, Patrick Child, l’admet :
« Nos progrès sont corrects, mais tellement insuffisants. Je ne pense pas que nous devrions nous faire des illusions en pensant que, même s’il y a des signes importants d’accélération, nous sommes sur la bonne voie pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, que ce soit sur le climat, contre la perte de biodiversité ou la pollution. »
Parmi les acteurs européens, beaucoup reconnaissent ainsi que la ligne d’arrivée n’est pas en cette fin de mandat. L’échéance du printemps 2024 a davantage des allures de passage de relais – sans que l’on sache qui le prendra et si l’élan sera suffisant.
« Nous ne voyons pas le Pacte vert comme un projet politique ponctuel d’Ursula von der Leyen, mais comme un engagement nécessairement pérenne. Nous avons besoin de pactes verts à chaque mandat jusqu’en 2050 », commente Patrick ten Brink, secrétaire général du Bureau européen de l’environnement, première ONG de défense de l’environnement à Bruxelles.
« La dynamique est lancée, on ne peut pas tout défaire. C’est un enjeu de signal aux industriels, aux citoyens », appuie notre source parlementaire.
Mais l’impulsion donnée est-elle assez forte ? Le Pacte vert a-t-il « mené à un basculement positif où le changement, d’abord progressif, permettrait une transformation en profondeur ? », interroge Patrick ten Brink. Là est peut-être le véritable enjeu d’héritage d’Ursula von der Leyen, de son collège, et de cette législature du Parlement.
Pour le commissaire à l’Environnement, c’est une évidence : le Pacte vert « n’est pas l’affaire d’un mandat. C’est impossible. »