La motion de censure, rejetée à seulement neuf voix près, est-elle une « crise » qui oblige Emmanuel Macron à réfléchir « au fond et à la méthode », comme le professe son allié Jean-Paul Mattei (Modem) à la tribune de l’Assemblée ? Le président de la République, qui s’exprime ce 22 mars sur TF1 et France 2, a en tout cas pour habitude de promettre du « changement » quand il identifie un moment de rupture. D’ailleurs, les éléments de langage qui suintent des rendez-vous qu’enchaîne le Président depuis le 21 mars rappellent un air connu : pas de dissolution, ni de référendum, ni de remaniement, « il faut changer de méthode ».
Changer, changer, changer
« Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé », déclare Emmanuel Macron en décembre 2018, en pleine crise des Gilets jaunes.
En juin 2020, alors que s’achève un premier confinement, qu’on imagine alors être le dernier, il assène : « Les temps imposent de dessiner un nouveau chemin. […] Nous devons collectivement faire différemment et, vous l’avez compris, ce que j’ai commencé ce soir à esquisser, je me l’applique d’abord et avant tout à moi-même. » « Un nouveau chemin, une nouvelle méthode, un nouveau temps du quinquennat », complète-t-il le mois suivant.
Deux ans plus tard, le président de la République l’assure, au jour du second tour des législatives, le 19 juin 2022 : « Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève. Mais l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux, au service de notre pays. »
À chaque situation de crise, les Gilets jaunes, le Covid-19 et la perte de la majorité absolue à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron répond par trois promesses de changement de méthode – et jamais de changement de « cap ».
Faire participer
« Dans le cas des Gilets jaunes, comme pour le début du second quinquennat, la tactique a consisté en un dégagement par l’ouverture d’un espace de consultation démocratique : Grand Débat national puis Convention citoyenne, Conseil national de la refondation », résume Joshua Adel, président de l’agence Spin & Strategy et ancien collaborateur politique au PS.
Même analyse pour l’un de ses confrères, directeur associé dans un cabinet de conseil, qui souhaite rester anonyme : « Ça a été, je crois, le fil rouge permanent des sorties de crise : plus d’écoute et de participation à travers un outil temporaire de démocratie participative. » Pour la sortie de crise du Covid-19, qui n’avait pas une origine politique, à la différence des deux autres, Emmanuel Macron a choisi l’option du remaniement en changeant de Premier ministre.
Et maintenant ? « Le sujet, c’est comment redonner le cap et remettre de l’ordre », juge une source proche de l’Élysée. Selon cette dernière, cela passe par un remaniement ministériel, mais « reste à savoir de quelle ampleur et quand ». Le Conseil national de la refondation, actuellement dans les limbes, peut être ressuscité, estime-t-elle. Le calendrier de la réforme des institutions, promise à un horizon sans cesse repoussé, peut être accéléré, « mais [ça ne peut] pas [être] demain », ajoute-t-elle. « C’est le véhicule rêvé pour créer un débat autour d’un “machin” participatif », abonde le directeur associé. Mais à quatre ans de la fin du mandat, cela peut-il suffire ? Le schéma s’est répété deux fois : « Une petite période participative suit les tensions et après, c’est retour à la situation ante », rappelle-t-il encore.
Trouver la Chambre
« J’ai plus l’impression qu’il faut trouver une majorité dans ce Parlement et décrocher 30 députés LR, car tout autre mécanisme de démocratie participative conduira à l’inaction, ce qui est regrettable après moins d’un an de mandat. Est-ce que cela passe par Gérald Darmanin ou Gérard Larcher, je ne sais pas vous dire, mais c’est l’option que je privilégierais si j’étais conseiller politique du président de la République », analyse un ancien conseiller ministériel venu de la droite et passé dans le privé.
Joshua Adel ne voit aussi qu’une « nouvelle alliance » pour sortir de la crise. « Engloutir les composantes du macronisme dans une nouvelle alliance politique : un gouvernement d’union nationale allant du PCF à l’aile chiraquienne de LR. Sans ce changement radical de la configuration politique, tous les aménagements sur la méthode seront condamnés à une illégitimité politique », juge-t-il, car « cette stratégie de désintermédiation employée par l’Élysée depuis 2018 ne résout rien au déficit de légitimité politique de la Macronie : une base sociopolitique minoritaire (le bloc bourgeois), pas de structuration idéologique, pas d’ancrage territorial, pas de parti militant ».
Laisser pourrir
Loin de ces grandes interrogations métaphysiques, la stratégie dite « du pourrissement » est toujours une option, à entendre le proche de l’Élysée déjà cité, qui parle « d’effet loupe sur la réforme des retraites ». « Le pays est bloqué ? Non. Les gens ne parlent que de ça ? Non. Il y a des millions de casseurs ? Non », dit celui qui ne croit pas à une dégradation de la situation, au lendemain des manifestations non autorisées dans Paris, et qui rappelle « l’inflation et la crise financière ».
Laisser couler donc, plutôt que changer le cap, comme le demandait à demi-mot Laurent Marcangeli le 20 mars à la tribune de l’Assemblée nationale. Le président du groupe Horizons appelait de ses vœux une « [lutte] contre les injustices, autant que contre le sentiment d’injustice ressenti par de nombreux Français ».
Reste que selon un autre ancien conseiller ministériel passé dans le privé : « Je ne vois pas comment ils vont réussir à créer de nouvelles majorités de texte à l’avenir. Ils sont cramés. Ils ont braqué tout le monde. »