La transition vers une économie circulaire a elle aussi droit à ses « paquets législatifs » européens. Deux sont à l’agenda de ce premier semestre 2022. Si la Commission s’en tient à ce calendrier, le premier acte interviendra le 30 mars, le second avant la trêve estivale, le 20 juillet.
À l’affiche du paquet printanier : l’initiative sur les produits durables (SPI, pour « sustainable products initiative »), une stratégie sur les textiles, la révision du règlement sur les produits de construction et une directive sur le rôle des consommateurs dans la transition écologique. Un quartet, à défaut du quintet initialement annoncé, le règlement sur les allégations environnementales étant reporté à juillet.
À quelques semaines de leur adoption, l’enjeu pour l’exécutif est de mettre en harmonie ces différents instruments législatifs chargés d’organiser la transition vers une économie circulaire.
Une chorale de DG
Et à la Commission, ce ne sont pas moins de cinq directions générales qui doivent accorder leurs violons pour que la note finale sonne juste et fort. En chef d’orchestre, la DG Environnement donne le la.
L’initiative sur les produits durables est le fruit d’une task force constituée avec les DG du Marché intérieur (Grow) et de l’Énergie (Ener), deux services associés depuis plusieurs années sur la mise en œuvre des règles d’écoconception et d’étiquetage énergétique, dont la SPI se sera inspirée.
Les petites mains de la DG Connect (Réseaux de communication et technologies) sont aussi à l’œuvre pour créer les contours du futur passeport digital. Ce QR code renvoyant vers une série de données sur un produit et sa chaîne de valeur doit être mis en œuvre par la SPI.
Les DG Envi et Grow travaillent aussi de concert sur la stratégie textiles, et la seconde est cheffe de file sur les produits de construction. En soliste, la DG Justice & Consommateurs a la main sur le volet consommation de ce paquet législatif.
La SPI pour ancrer les grands principes
À quoi s’attendre le 30 mars ? Joaquim Nunes de Almeida, directeur et responsable de la SPI à la DG Grow, a livré quelques éléments de réponse, début février.
« Ce que vous verrez en mars n’affectera aucun produit concrètement, mais définira un cadre pour ce qui pourrait être fait à l’égard de tout produit dans les années à venir. »
L’initiative sur les produits durables prendra la forme d’une nouvelle directive établissant un « plan législatif » qui annoncera et gravera dans le marbre les intentions de la Commission, à savoir « réglementer la durabilité environnementale et sociale sur une très large gamme de produits ».
« Puisque environ 80 % de l’impact environnemental d’un produit peut être déterminé pendant sa conception, la SPI sera fortement axée sur la manière dont les produits sont conçus en s’appuyant sur le succès de la directive actuelle », a expliqué Joaquim Nunes de Almeida.
L’option un temps envisagée d’une simple révision de la directive existante sur l’écoconception, qui fixe des règles relatives à l’efficacité énergétique des produits, n’a finalement pas été retenue par l’exécutif. « On a essayé d’en repousser les limites, avec notre service juridique, mais nous sommes arrivés à un point où il faut aller plus loin », explique le représentant de la DG Grow.
Elle sera donc remplacée par une nouvelle directive qui couvrira un panel de produits plus large et introduira de nouvelles mesures sur la recyclabilité et l’incorporation de matière recyclée, la préparation au réemploi, la présence de substances chimiques nocives, ou la mesure et la réduction des empreintes carbone et environnementale.
La Commission s’inspire largement du règlement sur les batteries, érigé en poisson pilote de cette nouvelle approche qui vise à couvrir tout le cycle de vie d’un produit dans un unique texte législatif (voir notre article). « On essaye d’étendre [ce] modèle […] à tous les produits », résume Joaquim Nunes de Almeida.
À un détail près : la méthode législative.
Des actes délégués par produit
Après avoir fixé les grands principes dans la SPI, la Commission veut les décliner par la voie de la législation secondaire, avec des actes délégués par produit ou groupe de produits, et non par un règlement comme pour les batteries.
La Commission garde ainsi la main sur la préparation des textes, transmis au Parlement européen et aux États membres, qui ont deux mois pour s’y opposer, mais ne pourront pas les amender eux-mêmes. En l’absence d’objection, l’acte est adopté et entre en vigueur. Chaque proposition sera appuyée d’une étude d’impact spécifique.
L’objectif de l’exécutif européen est d’« être en mesure d’agir plus rapidement et de manière plus décisive », explique Joaquim Nunes de Almeida.
Et surtout, de ne pas répéter le même schéma que le règlement sur les batteries, qui passe par une procédure législative dite « ordinaire », où Parlement et Conseil peuvent amender la proposition comme bon leur semble avant de se retrouver autour d’une table pour négocier le texte final. Ce qui prend beaucoup plus de temps. Les trilogues (cette phase de négociations interinstitutionnelles) sur la proposition de décembre 2020 ne débuteront pas avant avril 2022, au plus tôt.
Objets de spéculations à quelques semaines du verdict, la liste des produits dans le viseur de la Commission, ainsi que l’échéancier envisagé pour les actes délégués seront détaillés dans un programme de travail, publié sous l’initiative SPI, le 30 mars. Textiles, produits électroniques, meubles et bâtiments figurent parmi les favoris.
« Beaucoup de législations »
La méthode retenue par la Commission annonce une charge de travail titanesque pour ses propres services, déjà à la peine pour la mise en œuvre et la révision régulière des normes actuelles d’écoconception ou pour l’élaboration des nombreux actes de législation secondaire prévus par la directive sur les plastiques à usage unique de 2019. Le manque de ressources allouées à ces chantiers au sein de l’exécutif est souvent pointé du doigt par les ONG environnementales et les industriels.
« Ça peut sembler être beaucoup de législations, admet le directeur, mais […] il vaut mieux avoir une législation qui a du sens dans un secteur spécifique plutôt qu’un texte de loi horizontal qui peut signifier tout et rien selon ce qu’un juge ou un agent administratif peut penser. »
Une partition incomplète
Le Jour J, le 30 mars, fabricants et commerçants de vêtements auront les yeux partagés entre la SPI et la stratégie sur les textiles, qui doivent se renvoyer la balle. La communication sur les textiles, non contraignante, fixera le cap pour une industrie qui ne fait à ce jour l’objet d’aucune législation spécifique au niveau européen. Ce que la Commission veut rectifier en annonçant de futures mesures déclinées à la fois par la SPI (et un futur acte délégué consacré aux textiles), et d’autres législations, comme celle sur les déchets, qui doit être révisée en 2023.
Même perspective pour le secteur du bâtiment, qui sera concerné par la SPI et par la révision du règlement sur les produits de construction, que la Commission veut mettre à l’heure du Green Deal.
Bruxelles agira aussi sur le volet de la consommation. D’une pierre deux coups, par le biais d’une directive, l’exécutif en amendera deux autres qui portent sur les pratiques commerciales déloyales et les droits des consommateurs. Objectif : freiner le greenwashing et agir contre l’obsolescence programmée des produits.
Ainsi, après avoir ancré, dans la SPI, les règles qui doivent faire des produits durables la norme dans l’UE, la Commission veut que les consommateurs aient toutes les informations nécessaires pour s’en assurer. La boucle serait alors bouclée.
Ou presque. Une pièce centrale de ce puzzle législatif manquera à l’appel, le 30 mars : le futur règlement sur les allégations vertes, reporté à juillet. Un texte pourtant complémentaire de l’action de la Commission contre le greenwashing et qui doit ériger une méthode de calcul de la performance environnementale des produits, indispensable pour mettre en œuvre la SPI.
« Ce sera difficile d’avoir une vision complète de toutes les nouvelles règles de l’UE sur le greenwashing si elles sont publiées dans deux propositions distinctes à plusieurs mois d’intervalle », s’inquiète Patrycja Gautier, au nom du Bureau européen des unions de consommateurs.
Le concert bruxellois sur l’économie circulaire n’est donc pas à l’abri de quelques fausses notes.