Qui a dit, « nous sommes les premiers au monde à prendre des mesures aussi claires », après l’adoption d’un projet de loi pour mettre un terme à la mise à mort des poussins mâles ? Il s’agit de la ministre allemande de l’Agriculture Julia Klöckner, le 20 mai dernier, devant les députés du Bundestag. Le texte avait été validé dès janvier par le gouvernement de la chancelière Angela Merkel (relire notre brève).
Deux mois plus tard, dans une interview accordée au Parisien, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie déclare, lui, que « la France est le premier pays au monde, avec l’Allemagne, à mettre fin au broyage et au gazage des poussins mâles ». L’interdiction prendra la forme d’un décret, qui imposera aux couvoirs d’avoir des équipements permettant d’identifier le sexe du poussin dans l’œuf (sexage in ovo) opérationnels courant 2022 (relire notre brève).
Échéances électorales
Alors qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier ? « Plutôt les Allemands car leur calendrier électoral est un peu plus avancé que le nôtre », plaisante le président d’Inaporc (interprofession porcine), Guillaume Roué. Certes, il n’est pas acteur de la filière poules pondeuses, mais sa production aussi est embarquée dans les annonces du gouvernement sur le bien-être animal (arrêt de la castration des porcelets, relire notre article). Il guette donc aussi ce que font les Allemands.
Le calendrier n’a pas échappé non plus à la CFA (Confédération française d’aviculture) qui, dans un communiqué du 19 juillet, dénonce une prise de décision hâtive « non dénuée de calcul politique ». Contacté par Contexte, le directeur du syndicat Yann Nédelec confirme qu’il s’agit bien d’un sous-entendu relatif à la présidentielle. Parmi les professionnels plutôt satisfaits du mouvement engagé par le gouvernement, le cofondateur de Poulehouse*, Fabien Sauleman, admet aussi qu’il n’y croyait pas. « Mais en même temps, c’est logique, il y a la présidentielle qui approche. »
*Poulehouse : entreprise de production d’œufs créée en 2017, qui évite la mise à mort des volailles réformées et élève des poules issues d’œufs sexés.
La France dans le sillage de l’Allemagne
En filière poules pondeuses, les mâles sont systématiquement éliminés par broyage ou par gazage. Ils sont inutiles pour la production d’œufs, et ne sont pas assez charnus pour produire de la viande. Interdire cette pratique, c’est épargner quelque 50 millions d’animaux par an en France, selon le ministère de l’Agriculture.
Comme le rappelait une source professionnelle à Contexte début juillet (relire notre brève), la France et l’Allemagne s’étaient lancées ensemble dans ce combat en octobre 2019, lors d’une visite à Berlin de Didier Guillaume, alors ministre de l’Agriculture (relire notre brève). Le gouvernement français s’est ensuite engagé dès janvier 2020 à mettre fin à l’élimination des mâles issus de souches pondeuses d’ici à 2022.
Des ralentissements dans la recherche
Avec la pandémie, les priorités de Paris ont bougé, l’alliance s’est étiolée, et les Allemands ont pris de l’avance. Ils sont d’ailleurs à ce stade les seuls à pouvoir proposer des méthodes de sexage in ovo stables industriellement. En France, le projet de Tronico, entreprise vendéenne aidée à hauteur de 4,3 millions d’euros, à l’époque de Stéphane Le Foll, a jeté l’éponge pour travailler au développement d’un test pour dépister le Covid-19.
Selon la directrice de CIWF France Léopoldine Charbonneaux, l’Allemagne est moteur, et la France suit. Elle assure qu’entre le premier séminaire franco-allemand organisé en janvier 2020 et celui du 16 juillet 2021 (relire nos brèves ici et là), le ministère de l’Agriculture n’a jamais évoqué le sujet. Cela, malgré les relances de l’ONG. Finalement, la veille d’un Conseil des ministres européens de l’Agriculture pendant lequel les Vingt-Sept doivent se prononcer sur l’initiative citoyenne européenne « End the cage age », Julien Denormandie décide de sortir du bois. Il a porté le sujet au niveau européen, conjointement avec l’Allemagne (relire notre brève).
L’Allemagne mieux-disante que la France
In fine, les deux pays ont un objectif commun. Mais selon plusieurs sources, dont Léopoldine Charbonneau et Fabien Sauleman, l’Allemagne est plus ambitieuse que la France pour y arriver. D’abord, le gouvernement allemand s’est positionné sur une limite à terme de l’âge de l’embryon. « Les scientifiques ne savent pas encore dire si l’embryon ressent la douleur entre le septième et le quatorzième jour », explique Léopoldine Charbonneau. Dans le doute, le texte allemand prévoit d’aller plus loin dans la réglementation, et d’interdire à partir de 2024 la destruction de l’œuf au-delà du sixième jour d’incubation. Cela, après la remise d’une étude de faisabilité au printemps 2023, qui doit rassurer les acteurs de la filière.
Côté français, « ça n’a pas été pris en compte », a assuré Fabien Sauleman, qui craint par conséquent que les professionnels ne s’engouffrent tous dans le système développé par le groupe allemand ATT, spécialiste de l’accouvage, efficace sur des œufs à J + 13. Il est moins cher que celui développé par la start-up germano-néerlandaise Seleggt, efficace à J + 9. De fait, le cabinet de Julien Denormandie a confirmé le 19 juillet lors d’un échange avec la presse que les entreprises d’accouvage restaient libres de choisir leur méthode. D’autres entreprises pourraient d’ailleurs bientôt être en mesure de proposer d’autres solutions, éligibles aux aides.
Un temps d’avance sur l’élevage des mâles
Une source ministérielle souligne aussi que les Allemands se dirigent vers des stratégies d’adaptation plus diversifiées, et que la filière bio a, par exemple, opté en majorité pour l’élevage des poussins mâles. Une méthode que la France n’a pas balayée, a assuré l’entourage de Julien Denormandie, mais qui nécessite une « une réflexion interfilière pour positionner ce type d’élevage sur le marché ». Développer une filière coquelet ne se fera pas du jour au lendemain, puisque la génétique d’aujourd’hui donne des mâles très peu charnus. De plus, elle entre en concurrence avec la volaille de chair, et exige donc une évaluation des débouchés économiques.