Alors que la rumeur de remaniement imminent du gouvernement plane, l’avenir de Marc Fesneau à la tête du ministère de l’Agriculture devient hypothétique. Quand il est arrivé dans le gouvernement d’Élisabeth Borne, en mai 2022, personne n’a été surpris tant son nom avait circulé. Figure du MoDem, l'élu du Loir-et-Cher, le voulait dur comme fer, ce ministère.
Mais le monde agricole a eu vite fait de le trouver trop tiède, pas assez incisif, pour défendre les dossiers en interministériel. Selon la description d’une des figures de la FNSEA :
« C’est un mec sympa et agréable. Marc Fesneau rêvait de ce ministère, mais c’est une maison difficile à gérer, et il a du mal à arbitrer. »
Au Salon de l’agriculture, en février 2023, un directeur de fédération végétale décrivait à Contexte les tensions croissantes avec la profession : « Beaucoup de responsables professionnels ne le trouvent pas à la hauteur des enjeux et n’ont pas l’impression d’être défendus. »
Le poids de l’écologie
Mais tout ne serait pas qu’une question d’homme. Cette faiblesse de Marc Fesneau et de son cabinet est « à l’image de l’évolution de l’agriculture », lente, frileuse, peu ambitieuse, charrie un haut fonctionnaire du ministère.
L’écologie a pris, au moins en façade, une si grande envergure dans les politiques publiques qu’il n’est plus possible pour quelque ministre que ce soit d’avancer en silo pour trancher ses dossiers. Cette même source résume :
« Cette indolence cache plutôt la difficulté de faire évoluer des dossiers agricoles qui sont devenus accessoires aux sujets écologiques. »
L’agriculture doit justifier des efforts qu’elle consentira pour s’embarquer dans la transition. Et non plus l’inverse. En somme, le ministère fait ce qu’il peut, ballotté entre une nécessaire remise en question du modèle agricole et un aride lobbying des filières, peu enclines à bouleverser leurs habitudes.
La pression du MTE… et du SGPE
Les tensions que les sujets écologiques provoquent dans le triangle formé entre le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (Masa), celui de la Transition écologique (MTE) et Matignon ne datent pas d’hier. Mais de l’avis de ceux qui les côtoient, une bascule s’est opérée. Un pilier de la filière viande bovine souligne :
« Avant, nous étions presque sûrs que l’Agriculture gagnerait les arbitrages en interministériel. Aujourd’hui, ils sont moins en faveur des agriculteurs. »
Ces derniers mois, au sein de la profession agricole, plusieurs dirigeants expliquent avoir eu davantage de rendez-vous au MTE qu’au Masa. « C’est un effet de la planification écologique », analyse l’un d’eux. Les enjeux sont donc plutôt du côté de Christophe Béchu et de ses ministres délégués et, à Matignon, au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). « Bien que le Masa pilote les échanges, c’est à eux que la profession va devoir rendre leurs copies, notamment sur la décarbonation des filières », assurent deux sources interprofessionnelles.
À l’inverse, certains sujets, jusqu’alors plutôt à la main de l’Écologie, ont été réinvestis par le Masa, défend un proche de Marc Fesneau. Ce dernier avait décidé dès sa nomination de reprendre la main sur les dossiers pour lesquels « le ministère n’avait plus de pensée propre… », comme l’eau, la prédation (loup, ours) ou la forêt. Des arbitrages ont d’ailleurs été obtenus, souligne cette source, « y compris sur les sujets qui sont passionnels avec le MTE ».
« Héritier des emmerdes »
La trace laissée par son prédécesseur Julien Denormandie fait aussi de l’ombre à Marc Fesneau. « Il faut dire que c’est difficile de passer après lui », répète le fan-club de l’ex-ministre – constitué plutôt de parlementaires et d’acteurs du syndicat majoritaire, beaucoup moins d’ONG.
Fan-club : La « force » et le « courage » de Julien Denormandie avaient été salués par la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, lors de l’assemblée générale de son syndicat en mars 2022. Les députés de la quasi-totalité des groupes avaient loué son action au ministère lors d’une audition en commission des Affaires économiques en janvier 2022.
Pourtant, « ce n’est pas comme si son bilan était si exceptionnel… », raille un proche d’Élisabeth Borne. Et de rappeler que l’ère Denormandie court de 2020 à 2022, précisément l’époque du « quoi qu’il en coûte », ce soutien à n’importe quel prix de l’économie face au choc provoqué par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine :
« La situation est plus facile pour un ministre quand c’est “open bar” à Bercy. »
Même si le ministère de l’Agriculture est plutôt bien loti pour 2024 grâce aux 7 milliards annoncés pour la planification écologique, Marc Fesneau évolue dans un gouvernement contraint de couper dans la dépense publique.
Contrairement à nombre de ses collègues, il est « l’héritier des emmerdes », abonde un dirigeant d’interprofession. Certes, Julien Denormandie a fait avancer la réforme de la PAC, ou l’assurance récolte. Mais ce n’est pas lui qui a dû faire atterrir les dossiers.