Elle ne devait pas avoir lieu. La sixième réunion du comité intergouvernemental de négociation (CIN) sur le traité plastiques – officiellement, la seconde partie de la cinquième réunion, nom de code « CIN5.2 » – démarrera à Genève le 5 août. Cela fait huit mois que les négociateurs des quelque 175 pays engagés dans cette négociation lancée en 2022 se sont quittés en Corée du Sud sans avoir réussi à tenir leur engagement : parvenir en deux ans à un accord sur un traité international contre la pollution plastique. Un calendrier que de nombreux négociateurs reconnaissent, a posteriori, comme peu réaliste.
Après l’échec, il a fallu rebondir, d’abord au niveau logistique et financier, en trouvant un nouveau lieu de négociation et une date, puis, surtout, garder le « momentum », consolider les coalitions qui ont émergé à Busan, faire avancer les pourparlers sur la base du projet de texte resté sur la table. Ainsi, avant de rejoindre le palais des Nations unies à Genève pour dix jours, les négociateurs se sont retrouvés à Oslo, à Nice et plus récemment à Nairobi, sous différents formats, pour poursuivre leurs échanges et se donner les moyens de trouver un accord au bord du lac Léman.
Détours par Oslo, Nice et Nairobi
En mars, la Norvège a accueilli une dizaine de pays pour des discussions informelles, parmi lesquels la Chine, le Brésil, la France, le Japon, l’Indonésie, la Colombie et l’UE. L’idée de cette rencontre était, dans un premier temps, de rassembler plusieurs représentants du bloc dit « ambitieux », puis de « socialiser » avec les plus réticents, raconte un négociateur. Ces discussions ont porté sur les sujets les plus sensibles du traité, comme le modèle de financement et la limitation de la production de plastiques. Souvent en duo, certains pays ont travaillé à des propositions, comme le Chili et le Royaume-Uni sur l’article relatif à la conception des produits.
Un peu plus tard, en juin à Nice, à l’occasion de la conférence des Nations unies sur l’océan, 96 pays ont réitéré leur engagement en faveur d’un traité ambitieux, avec cinq conditions. Une manière de faire vivre la coalition d’une centaine de pays (européens, africains, États insulaires, sud-américains, asiatiques) qui avait émergé à Busan.
Les pays signataires veulent que le traité fixe un objectif global de réduction de la production et de la consommation de plastiques ; une liste de produits plastiques et substances dangereuses à proscrire ; des mesures contraignantes sur la phase de conception ; un mécanisme financier ambitieux et un traité flexible pour le faire évoluer dans le temps.
Puis à Nairobi, début juillet, les chefs de délégation réunis autour du secrétariat et du président du CIN, l’Équatorien Luis Vayas Valdivieso, ont préparé le rendez-vous suisse. Les résultats de ces négociations informelles ont été présentés, pour nourrir la réflexion des uns et des autres avant Genève. Plusieurs participants font part de « discussions constructives » qui ont permis de renforcer la « compréhension mutuelle » entre les pays. Ils ont le sentiment d’arriver à Genève mieux préparés et mieux équipés pour plonger réellement dans la négociation, alors qu’à Busan, la réunion s’est souvent limitée à une série de déclarations et de prises de position.
Avec la Chine, sans les États-Unis ?
Pour autant, l’opposition claire qui s’était cristallisée à Busan, entre d’un côté une centaine de pays en faveur d’un traité qui couvre tout le cycle de vie des plastiques, pour inverser la tendance à la hausse de la production, et de l’autre, un petit groupe de pays producteurs de plastiques qui veulent limiter le traité à des mesures de gestion des déchets, reste d’actualité.
« On arrive à Genève en sachant qu’un certain nombre de pays producteurs vont travailler à ce qu’il n’y ait pas de traité […] ou en faire un traité de gestion des déchets plastiques. […] C’est un peu décourageant d’avoir en face de nous des pays qui veulent reprendre la discussion de zéro en nous ramenant sur la conversation “qu’est-ce qu’un plastique” ou “quel est le périmètre du mandat de négociation” », raconte une source diplomatique présente à Nairobi.
Ce groupe réfractaire, autoproclamé « like-minded » (partageant les mêmes idées) et dont la liste de pays n’a pas été formalisée, est mené par l’Arabie saoudite, l’Iran et la Russie, et compte parmi ses rangs plusieurs économies du Golfe, largement dépendantes de la production de pétrole – dont le plastique est l’un des débouchés – comme Bahreïn ou le Koweït. D’autres gravitent autour, sans s’y associer pleinement, comme l’Irak, la Chine ou l’Inde.
Pour trouver un compromis, plusieurs négociateurs européens misent sur une discipline de groupe limitée au sein des « like-minded ».
Interrogé par Contexte, le négociateur irakien, Luay Almukhtar, ne se montre pas opposé à un texte qui couvre la production de plastiques, mais tout dépend du vocabulaire. Il rappelle ainsi que la résolution des Nations unies qui établit le mandat de négociation du CIN « mentionne clairement » la nécessité d’atteindre des « niveaux de consommation et de production de plastiques durables ».
Pour notre interlocuteur, « ces termes sont clairs. Nous parlons de durabilité, de consommation, de production et de produits plastiques. Si on insère le terme de « polymères », ça change la signification, puisqu’il s’agit alors de la matière première » et, in fine, des énergies fossiles utilisées pour produire du plastique. L’une des options du texte sur la table porte bien sur la production « de polymères plastiques primaires » (art. 6).
Outre ces nuances internes, les négociateurs de la coalition pour un traité ambitieux (HAC) placent aussi leurs espoirs dans les grandes économies émergentes pour créer des ponts avec les « like-minded ». Ils sont plusieurs à souligner que le gouvernement chinois se veut constructif et continue à défendre le multilatéralisme, que l’Inde est déterminée à lutter contre la pollution plastique dont elle est particulièrement victime, et que le Brésil est très actif dans les arcanes internationaux en vue de la COP30 sur le climat qu’il accueillera en fin d’année. Tous souhaitent un accord.
Et puis, il y a les États-Unis. L’équipe de négociation n’a pas changé entre l’administration Biden et l’administration Trump.
Mais désormais « ils se positionnent complètement comme les like-minded, ils sont prêts à discuter de tout l’aval mais refusent l’idée de limiter la production. Par contre ce qui est intéressant, c’est que sur les financements, ils se détachent du groupe car ils veulent élargir la base des donateurs […] à de grands émergents comme la Chine », commente la source diplomatique citée plus haut.
Si la politique de Donald Trump n’est pas favorable aux accords multilatéraux et encore moins à l’environnement, plusieurs interlocuteurs estiment que si les intérêts économiques des États-Unis sont touchés, Washington ne restera pas en retrait et usera de son influence pour limiter les progrès.
Plusieurs scénarios, plusieurs stratégies
Dans ce contexte, au sein du cabinet de la ministre de l’écologie française, Agnès Pannier-Runacher, on se prépare à trois scénarios. Celui d’un accord par consensus (donc à l’unanimité), celui d’un accord sur la base d’un vote, et l’absence d’accord. Dans ce dernier cas, il pourrait alors y avoir un CIN5.3 ou bien il faudra « revenir vers l’assemblée des Nations unies sur l’environnement [qui a voté le mandat de négociation, ndlr], car le mandat a déjà été un peu dépassé », explique un membre du cabinet.
Tous nos interlocuteurs, négociateurs et observateurs, s’accordent à dire que parvenir à un accord ambitieux et consensuel à Genève sera difficile. Les pays préparent donc plusieurs stratégies et les confrontent au sein des groupes régionaux, comme l’UE, qui doit parler d’une seule voix à l’ONU.
Pour maintenir l’ambition défendue par la grande majorité des pays, « certaines voix se lèvent pour dire que si on n’y arrive pas par consensus, il faut peut-être réfléchir à la possibilité d’un vote sur le traité », souligne une source diplomatique française. Le recours à un vote, aussi prôné par la société civile, a déjà envenimé les négociations et reste sensible dans les instances onusiennes, où le consensus est toujours privilégié (relire notre article). La France y semble plus ouverte qu’auparavant, mais d’autres pays restent réticents à franchir le cap, y voyant une forme d’aveu des limites des Nations unies et du multilatéralisme.
Mais si cet accord n’est pas possible à Genève, le serait-il six mois plus tard ? Plusieurs négociateurs doutent d’une évolution positive au fil du temps et craignent plutôt que le contexte géopolitique soit de moins en moins propice à un accord. C’est « notre dernière chance », prévient l’ambassadrice des Palaos, Ilana Seid, qui préside l’Alliance des petits états insulaires en développement.
Dès lors, certaines voix au sein du camp des « ambitieux » se projettent sur un accord a minima, pour poser les bases. Mais celles-ci doivent être « solides » et, surtout, garantir que le traité sera renforcé au fil du temps, au gré des COP (conférences des parties). L’un des sujets clés à résoudre porte sur la procédure pour la prise de décision au sein des COP. Là encore, la règle du consensus n’est pas… consensuelle. De nombreux pays veulent pouvoir recourir à un vote pour éviter de donner un droit de veto à chaque pays pour chaque décision.
Le rôle du président et l’arrivée des ministres
Pour parvenir à un accord, négociateurs et observateurs comptent sur le président et son équipe et sur la venue, en fin de partie, de plus de soixante-dix ministres de toutes les régions du monde. Ces derniers n’avaient pas été conviés à Busan. Or, leur implication est désormais jugée nécessaire pour bousculer les lignes et trouver un accord. « C’est important pour le processus, pour les concessions », commente un diplomate. Agnès Pannier-Runacher arrivera ainsi à Genève le 11 au soir. La commissaire européenne Jessika Roswall sera elle aussi présente.
À Busan, la méthode de travail impulsée par le président Luis Vayas Valdivieso avait été critiquée en fin de session. Beaucoup de négociateurs avaient alors appelé à des formats de négociation plus flexibles, plus informels, et à des décisions plus fortes pour éviter que les pourparlers s’enlisent.
« Le but d’un président est de réduire progressivement les crochets dans le texte [tout ce qui est entre crochets n’est pas agréé, ndlr], donc il faut aller dans ce sens-là. On a besoin d’un président fort qui nous conduise vers un accord », commente le cabinet de la ministre française.
Plusieurs diplomates ayant participé à la réunion à Nairobi, début juillet, ont observé un changement positif en ce sens.
« Clairement, le président a tiré les leçons de Busan. Je l’ai senti plus déterminé à trancher quand il faut, mieux préparé. Il anticipe tous les scénarios, dont ceux de blocage, et a déjà réfléchi à la manière de les surmonter. Je suis plus optimiste quant à la capacité de la présidence à avoir plus d’efficacité dans la gestion des échéances », anticipe une source diplomatique.
À ce stade, le président n’a donné le programme que des quatre premiers jours, ménageant de la souplesse pour la suite. Il souhaite limiter à 1 h 30 la plénière d’ouverture et ainsi éviter de tomber dans une longue série de prises de position générale par les pays, qui ralentit la dynamique. Si le timing prévu est tenu, les négociateurs rejoindront rapidement les « groupes de contact » thématiques pour entrer dans le vif du sujet et voir lequel des scénarios s’affirme pour cet hypothétique traité plastiques international.