C’est un perpétuel recommencement. Chaque année les pouvoirs publics calibrent les financements qui seront nécessaires aux établissements de santé pour fonctionner. Et les chiffres annoncés provoquent parfois déception, colère, voire grève.
C’est le cas cette année. Le gouvernement a annoncé fin mars que les tarifs dont bénéficieront les cliniques augmenteront de 0,3 % en 2024. Contre + 4,3 % pour ceux des hôpitaux publics et des établissements privés à but non lucratif. Une « discrimination » aux yeux de la Fédération de l’hospitalisation privée, qui a appelé à la grève à compter du 3 juin.
Ces chiffres qui concentrent toute l’attention, ce sont les « tarifs hospitaliers ». C’est principalement grâce à eux que sont financées les activités pratiquées dans les services de médecine, de chirurgie, d’obstétrique et d’odontologie (MCOO), soit la majorité de celles réalisées en établissements de santé. Le dispositif de financement de ces tarifs constitue le cœur du réacteur ; dans le secteur hospitalier, il est connu sous le nom de « tarification à l’activité », ou T2A.
Mais, de fait, les tarifs hospitaliers ne financent pas l’ensemble des soins pratiqués dans les hôpitaux et cliniques. Surtout, leur fixation n’est que l’une des dernières étapes du long processus qui vise à déterminer, chaque année, les financements de l’Assurance maladie à destination des établissements de santé.
Par souci de lisibilité, cet article n’aborde pas les autres sources de financement des établissements de santé – comme le remboursement des complémentaires ou le reste à charge des patients –, d’une ampleur bien moindre que celui de l’Assurance maladie.
Rembobinons !
Tout commence par la préparation de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Dans ce texte est fixé tous les ans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie pour l’année à venir, ou Ondam. Par exemple, pour une année « N », le gouvernement tient compte des montants dépensés l’année précédente dans les différents secteurs de soins – dont les établissements – et de la croissance attendue de l’activité pour l’année en question. Il s’appuie notamment sur les données que l’administration lui remonte.
À cette prévision, il ajoute les nouvelles mesures qu’il souhaite financer – ainsi la dernière LFSS a fixé les conditions de rémunération des professionnels intervenant dans le cadre de la généralisation des campagnes de vaccination contre le papillomavirus. Et il retranche les mesures d’économies qu’il prévoit – par exemple, avec des actions sur la pertinence des soins. Le projet de loi est ensuite discuté, amendé et voté au Parlement, figeant l’Ondam.
C’est alors que le travail technique commence : il faut ventiler les montants votés afin de financer les différentes composantes du système de santé, au travers de plusieurs sous-objectifs. Pour expliquer cette ventilation, Contexte s’est appuyé sur les chiffres de l’Ondam exécuté pour 2021, soit le dernier disposant de données complètes et accessibles.
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Casse-tête
La particularité de l’Ondam est qu’il ne s’agit pas d’un budget fixe, à l’instar des budgets votés dans les projets de loi de finances (PLF), mais bien d’un objectif de dépenses arrêté par les pouvoirs publics et appliqué aux dépenses de l’Assurance maladie.
Cet Ondam est lui-même composé d’enveloppes dites « ouvertes » et d’autres dites « fermées ». Parmi les premières, on retrouve par exemple les remboursements de l’Assurance maladie pour les consultations des médecins : en effet, ces remboursements ne s’arrêtent pas en cours d’année sous prétexte d’une absence de budget. Parmi les secondes, on retrouve certaines enveloppes du sous-objectif « établissements de santé » et de l’intégralité du Fonds d’intervention régional (FIR), comme l’explique le Sénat dans un rapport sur l’hôpital de 2022.
Ces deux sous-objectifs – établissements de santé et FIR – constituent les deux jambes du financement par l’Assurance maladie des établissements qui pratiquent des activités de MCOO.
Le premier se découpe encore en une série d’enveloppes aux noms pittoresques : liste en sus, GHS, Ifaq, Migac… Le second, qui pèse moins de 3 % des dépenses allouées à ces établissements, est géré par les agences régionales de santé (ARS). Une estimation quasi à la louche : dans un rapport de 2023, la Cour des comptes observe que la Direction de la Sécurité sociale ne dispose pas « du montant précis du FIR attribué exclusivement aux établissements de santé en raison des missions transversales qui leur sont attribuées »… Dans d’autres travaux de 2020, la Cour des comptes déplore que la distinction entre les Migac et les FIR soit « peu claire ».
Pendant la crise sanitaire du Covid-19, le calcul de la tarification à l’activité a été perturbé par divers dispositifs de garantie de financement des établissements de santé. Trois ans plus tard, en 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé, lors de son discours de vœux aux soignants, vouloir faire évoluer le financement des établissements. Son leitmotiv : casser la course à la rentabilité de certaines activités et « mieux soutenir les enjeux de santé publique », comme le précisait à l’époque son ministre de la Santé, François Braun.
Après les réformes du financement de la psychiatrie, des urgences et des soins médicaux et de réadaptation, c’est donc au tour des activités de MCOO. La LFSS 2024 en a posé les jalons, avec de premières évolutions effectives prévues dès janvier 2025.
Migac ? Ifaq ? Fir ?
Vous pensez à des pathologies ? Vous êtes au bon endroit. Ces obscurs acronymes cachent en réalité ce que dépense la Sécurité sociale pour faire vivre les établissements de santé. Explications de texte.
La « part tarifs ». Dans cette « part tarifs », se trouvent à la fois ce que l’on appelle les « tarifs hospitaliers » et d’autres financements, comme ceux des actes et consultations externes (ACE, définis, eux, dans les conventions avec les professionnels de santé).
Les « tarifs hospitaliers » sont le cœur du réacteur. Chaque année, le gouvernement publie un arrêté qui les fixe pour les établissements publics comme privés. Ces tarifs répondent au sigle de GHS, pour groupement homogène de séjour, et prennent la forme de codes tarifaires. Il s’agit en fait d’une base de calcul pour le remboursement de l’Assurance maladie.
Afin de caractériser économiquement tous les passages à l’hôpital des patients, il existait ainsi en 2022 plus de 3 600 GHS – ou codes tarifaires – pour le secteur public et tout autant pour le secteur privé à but lucratif. Les GHS des cliniques privées sont moins élevés que ceux du public, car les honoraires des praticiens – libéraux – ne sont pas inclus dans ces groupements.
C’est ainsi que chaque structure va bénéficier de financements en fonction de son activité, ce qui s’appelle la tarification à l’activité (ou T2A) – du moins au sens strict du terme par opposition à son emploi parfois plus large pour désigner l’ensemble des dépenses affectées au champ MCOO.
À noter que le financement par les complémentaires ou par le patient lui-même des soins hospitaliers relève d’autres dispositifs. Et pas plus simples : ainsi le ticket modérateur (reste à charge après prise en charge par l’Assurance maladie) est, lui, calculé… sur une autre base de remboursement que les GHS.
L’arrêté tarifs, applicable dès le 1er mars. Chaque année, un arrêté fixant les tarifs des GHS est publié au Journal officiel. Il embarque également d’autres fixations de prix, telles que les tarifs pour l’hospitalisation à domicile ou encore de certains forfaits (prélèvements d’organes, sécurité et environnement hospitalier, etc.).
Cette mécanique pourrait laisser à penser que l’enveloppe allouée à la « part tarifs » est « ouverte », à l’instar des remboursements des consultations des médecins. Si la Direction de la Sécurité sociale (DSS) la considère comme telle, ce n’est pas le cas de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dans ses travaux de 2022. Cette dernière souligne que le sous-objectif « Ondam des établissements de santé » fait l’objet de mécanismes de régulation de la dépense. Autrement dit, pour respecter cet objectif, l’État se laisse une marge de sécurité. En effet, les tarifs hospitaliers, lorsqu’ils sont fixés, se voient minorés d’un « coefficient prudentiel ». Avec l’application de cette minoration, les pouvoirs publics mettent en réserve des crédits. À la fin de l’année, selon l’état des dépenses au regard de l’Ondam établissements de santé, ces crédits peuvent être restitués, ou retenus, intégralement ou partiellement. En 2023, ils ont été totalement restitués.
Ces grands ensembles budgétaires ne sont pas à diviser par le nombre d’établissements de santé pour connaître leur niveau de financement individuel : les financements sont disparates en fonction des secteurs, publics ou privés. « En 2019, la tarification à l’activité représentait 81,2 % des recettes d’Assurance maladie des établissements de santé privés, 69,2 % dans les établissements privés non lucratifs et 59,2 % dans les établissements publics », rappelle ainsi la Cour des comptes.
La « liste en sus ». Dans la plupart des cas, les médicaments et dispositifs médicaux utilisés dans les établissements de santé publics ou privés sont eux aussi financés au travers des groupements homogènes de séjour (GHS), vus ci-dessus. Mais il existe des exceptions pour certains produits de santé – dispositifs médicaux ou spécialités pharmaceutiques – innovants et coûteux. Ces produits de santé sont alors pris en charge en sus des tarifs hospitaliers, d’où le nom de l’enveloppe grâce à laquelle ils sont financés : la « liste en sus ». Ce dispositif a été créé en 2005 et est depuis régulièrement actualisé.
L’évolution financière de cette enveloppe est très dynamique : dans son rapport de 2022, la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) a observé que les dépenses de liste en sus ont augmenté de 3,5 % par an entre 2019 et 2021 – après prise en compte de différents mécanismes liés à la régulation des dépenses de médicaments, que sont la clause de sauvegarde et les remises.
Les forfaits annuels, dont l’Ifaq. La principale enveloppe de ce financement est le dispositif d’incitation du financement à la qualité de soins (0,388 Md€ pour le MCOO en 2021). Généralisé en 2016 et révisé en 2019, il « introduit une part de financement à la qualité dans le financement des établissements de santé, grâce à une dotation versée aux établissements en fonction des résultats obtenus aux indicateurs de mesures de la qualité et de la sécurité des soins », souligne le ministère de la Santé. En 2023, les résultats de certification produits par la Haute Autorité de santé (HAS) ou encore les atteintes des objectifs du programme Hôpital numérique ouvert sur son environnement (Hop’en), tels que l’alimentation du dossier médical partagé (DMP), faisaient partie des paramètres pris en compte.
Les « dotations urgences ». Les structures de médecine d’urgence – qui regroupent à la fois les services d’urgence hospitaliers et les structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) – ont fait l’objet d’une réforme de leur financement en 2021. Avec pour objectif de faire passer le financement de ces structures d’un « système de tarification largement forfaitaire et dépendant principalement du volume de passages » à « un mode de financement mixte ». Ce dernier est composé d’une dotation « populationnelle », visant à prendre en compte « les caractéristiques de la population, des territoires », comme l’état de santé de cette population, et d’une dotation à la qualité. En 2021, ce sont donc 2,62 Mds€ qui ont été délégués aux établissements de santé dans le cadre de cette réforme. Ces crédits sont mentionnés dans les différentes circulaires de la campagne tarifaire et budgétaire, qui sont égrenées par l’administration tout au long de l’année.
Trois circulaires budgétaires pour des milliards d’euros. Les circulaires de la campagne tarifaire et budgétaire jalonnent les délégations de crédits aux établissements de santé. Traditionnellement, trois (parfois quatre) circulaires sont publiées chaque année. La première, signée au printemps, délègue la plus grande partie des crédits (26 Mds€ en 2021). Ces circulaires permettent de répartir régionalement les missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation (Migac) et de financer des mesures nouvelles. Certains de ces crédits ne sont pas reconductibles.
Migac MCOO. Ce nouvel acronyme pittoresque rassemble les financements versés aux établissements dans le cadre des missions d’intérêt général (MIG) et des aides à la contractualisation (AC), dites « Migac » donc. Dans les missions d’intérêt général, sont par exemple financées les missions d’enseignement de recherche, de rôle de référence et d’innovation (Merri), les centres experts de la maladie de Parkinson ou encore les consultations hospitalières d’addictologie. La liste des MIG (108 en 2022 dont 94 relèvent du champ MCO) et la répartition des dotations par région sont fixées annuellement par arrêtés. En 2021, environ 5 Mds€ ont été alloués aux MIG.
De leur côté, les aides à la contractualisation (AC) sont définies dans une circulaire de 2011 comme « la marge de manœuvre laissée aux agences régionales de santé afin de répondre à des orientations ou des problématiques régionales, non prises en compte par les autres sources de financement ». Dans les faits, elles servent par exemple à financer le développement d’activités ou l’investissement des établissements. Au total, environ 7 Mds€ ont été dépensés en 2021.
Pour Mig et AC, il faut donc compter un total d’un peu plus de 12 Mds€. À noter qu’en 2021, les Migac ont été mobilisés pour financer le coût de la crise sanitaire liée au Covid-19, d’où la forte augmentation de l’enveloppe par rapport à la période d’avant-crise.
La dotation Migac est déléguée par les circulaires de la campagne tarifaire et budgétaire annuelles citées plus haut. Cette dotation a été créée lors de la réforme instituant la T2A en 2004 pour couvrir « certaines charges, notamment liées à des missions de service public difficilement individualisables par patient et à l’effort d’investissement », rappelle la Cour des comptes en 2020.
Le FIR « établissements de santé ». Créé en 2012, le Fonds d’intervention régional permet aux agences régionales de santé (ARS) de financer des actions et expérimentations. Il s’agit d’un sous-objectif de l’Ondam à part entière. Au total, 4,3 Mds€ ont été dépensés à ce titre en 2021, mais seule une part a été affectée aux établissements de santé. Dans un rapport de 2023, la Cour des comptes expliquait ne pas disposer « du montant précis du FIR attribué exclusivement aux établissements de santé en raison des missions transversales qui leur sont attribuées »…
Selon la Direction de la Sécurité sociale (DSS), citée par la Cour, la part destinée aux établissements de santé en 2021 devait se situer entre 60 % et 80 % du montant total du FIR. Soit environ 2,6 Mds€. Évidemment, il n’est donc pas possible de retracer la part de ce montant délégué uniquement aux établissements de santé autorisés en MCOO.
Dans d’autres travaux de 2020, la Cour des comptes déplore que la distinction entre les Migac (voir ci-dessus) et les FIR soit « peu claire ». Pour rappel, l’enveloppe embarque, depuis 2022, le Fonds de modernisation pour l’investissement en santé (FMIS, ex-FMESPP, initialement rattaché au sous-objectif établissements de santé), qui sert à remettre à niveau les investissements courants – équipements, installations techniques et rénovations légères.
À noter. Certains financements pourraient être considérés, par extrapolation, comme finançant les établissements de santé pour des activités de MCOO. C’est le cas du sous-objectif « soins de ville » de l’Ondam, qui finance par exemple les honoraires des médecins libéraux des cliniques privées ou encore les prescriptions délivrées aux patients par les établissements de soins au moment de la sortie.