Vingt-sept « généraux » président aux destinées de l’Assemblée. Ce sont les « haut gradés » de la toute-puissante Conférence des présidents, pour reprendre la terminologie militaire employée par Jean-Jacques Urvoas et Magali Alexandre dans leur Manuel de survie à l’Assemblée nationale. Ce livre, présentant le Palais-Bourbon comme un immense champ de bataille, avait été distribué aux députés LRM élus en 2017 pour qu’ils s’initient rapidement aux rouages de la vie parlementaire.
La Conférence des présidents, centre de gravité de la Chambre basse
Cette instance détermine l’ordre du jour de l’Assemblée et arbitre les conflits politiques de la Chambre basse. Y siègent, en plus du président de l’Assemblée, les six vice-présidents, les présidents des groupes, les huit présidents des commissions permanentes, le rapporteur général de la commission des Finances, celui des Affaires sociales, ainsi que le président de la commission des Affaires européennes.
Parce qu’il intègre l’ensemble des présidents des groupes et constitue le point d’équilibre politique de l’Assemblée, cet aréopage jouit d’un poids plus important que le pouvoir que lui accordent les textes, souligne Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille. « Certaines décisions qui doivent être prises au bureau de l’Assemblée sont déjà discutées en Conférence des présidents », rapporte ce chercheur qui vient de diriger un Règlement de l’Assemblée nationale commenté, publié en mai aux éditions LGDJ.
Le bureau de l’Assemblée dispose, lui, de « tous les pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée », stipule l’article 14 du Règlement. Il fixe le règlement intérieur, nomme les responsables des services de l’Assemblée et se prononce sur le statut et le régime social des fonctionnaires de l’Assemblée.
Hormis les postes de secrétaires, les places du bureau de l’Assemblée sont rarement obtenues par des novices de l’Assemblée. La répartition des postes au bureau a provoqué le premier couac de la XVe législature. Les députés LRM ont participé au vote pour l’attribution du poste de questeur dévolu à l’opposition, élisant à la surprise générale Thierry Solère, appartenant alors aux Constructifs, plutôt qu’un membre du groupe LR, deuxième force de l’Assemblée. Les députés LRM avaient également octroyé l’ensemble des vice-présidences de l’Assemblée à des Marcheurs, suscitant l’ire de la plupart des groupes d’opposition.
Après cet incident, une réforme du Règlement d’octobre 2017 a fixé un nouveau système de répartition des postes par points afin que le bureau représente la configuration politique de l’Assemblée. L’ensemble des postes représente un total de 35,5 points distribués entre les groupes en proportion de leurs effectifs respectifs. « Il est attribué à chaque poste du bureau une valeur exprimée en points : 4 points pour la fonction de président, 2 points pour celle de vice-président, 2,5 points pour celle de questeur, 1 point pour celle de secrétaire. » Au sein du bureau de l’Assemblée, le poste de vice-président doit désormais revenir à un membre de l’opposition.
Richard Ferrand occupera-t-il encore l’hôtel de Lassay ?
Quatrième personnage de l’État, le président de l’Assemblée a le pouvoir de saisir le Conseil constitutionnel et de nommer trois de ses membres. Il est également consulté par le président de la République en cas de mise en œuvre de l’article 16 lui attribuant les « pouvoirs de crise ». Au quotidien, il a la mission, hautement stratégique, de présider la séance et de conduire les travaux de l’Assemblée. L’hôtel de Lassay est une place de choix pour veiller sur la majorité et prendre la température des rapports de force. Il est aussi incontournable pour engager et mener à son terme une réforme institutionnelle.
Comme Jean-Jacques Chaban-Delmas et Laurent Fabius, Richard Ferrand sera-t-il l’un des rares présidents à être élu au perchoir dans deux législatures différentes ? Tout dépendra de sa réélection dans le Finistère, qui n’est pas acquise, et des nouveaux équilibres politiques dans la prochaine Assemblée. Richard Ferrand, avant la présidentielle, n’écartait pas la perspective de se maintenir à ce poste. Il n’a pas été nommé ministre et celle qui aurait pu constituer une rivale de poids, Yaël Braun-Pivet, ancienne présidente de la commission des Lois, est devenue ministre des Outre-Mer dans le gouvernement Borne.
Présidents de groupes, stratèges et maîtres du jeu
« Aucune grande décision n’est prise en l’absence de ces personnalités, aucune manœuvre n’est déclenchée sans leur aval, aucune négociation avec le camp adverse n’est entreprise sans leur assentiment, aucun poste n’est attribué sans leur approbation », résument Jean-Jacques Urvoas et Magali Alexandre. En plus de répartir les interventions des députés, les présidents de groupes ont des prérogatives propres, comme le pouvoir de convoquer une Conférence des présidents, de bénéficier d’un temps de parole étendu lors des débats, d’imposer un scrutin public, d’obtenir une suspension de séance. Ils ont le droit de créer une commission d’enquête, d’inscrire un sujet d’évaluation et de contrôle à l’ordre du jour…
Le groupe parlementaire, juridiquement distinct des partis, jouit également d’une forte autonomie politique. Ce poste, avec un tel poids politique, sera toutefois un enjeu important pour déterminer l'orientation du parti Les Républicains, qui désignera son président à l'automne. Christophe Castaner a déjà annoncé qu’il entendait, en cas de réélection, poursuivre sa fonction à la tête du groupe LRM, qui deviendra Renaissance.
Trois questeurs veillent sur la logistique
Ils tiennent les cordons de la bourse, et gèrent, par délégation du bureau, les aspects administratifs et matériels de la vie de l’Assemblée. Ils élaborent le budget de l’Assemblée. « Aucune dépense nouvelle ne peut être engagée sans leur avis préalable », précise l’article 15 du Règlement. De ce fait, ils sont aussi incontournables pour trancher les questions liées au statut et aux conditions de travail des quelque 2 000 collaborateurs parlementaires, employés directement par leur député.
L’un des trois postes de questeur est réservé à un membre de l’opposition. L’appartement de fonction qui leur est alloué, spacieux, est un lieu privilégié pour recevoir à déjeuner ou à dîner et accroître son entregent.
Les présidents de commission, au cœur du réacteur législatif
Le président de commission est un acteur clé du travail parlementaire. « Le président de chaque commission organise les travaux de celle‑ci. Son bureau a tous les pouvoirs pour régler les délibérations », rappelle le règlement de l’Assemblée nationale. Outre le président, il comprend quatre vice-présidents et quatre secrétaires, qui doivent refléter la composition de l’Assemblée.
Dans les faits, le bureau a un rôle limité face au président de commission, et il est réduit le plus souvent à une instance de consultation et de dialogue, comme l’avait décrypté Contexte. Les informations transmises aux secrétaires des commissions sont aussi partagées avec les « whips », les coordinateurs des groupes dans chacune d’entre elles. Ceci dit, être vice-président d'une commission est stratégique pour remplacer le président, en cas d'un éventuel départ.
Un président de commission a des pouvoirs larges. En plus de s’appuyer sur une équipe d’administrateurs, il peut convoquer en audition des ministres, avec lesquels il échange régulièrement, et déclencher des commissions d’enquête. Son pouvoir, comme celui des rapporteurs des textes, a été renforcé par la réforme constitutionnelle de 2008 qui fait du passage en commission une étape essentielle de la procédure législative.
Certaines commissions sont plus prestigieuses que d’autres. « On voit bien que la présidence de la commission des Lois, qui examine de très nombreux projets de loi, est souvent un tremplin politique pour ceux qui occupent cette fonction, à l’image de Yaël Braun-Pivet, aujourd’hui ministre des Outre-Mer ou de Jean-Jacques Urvoas, devenu garde des Sceaux », souligne le juriste Jean-François Kerléo.
La répartition des commissions sera un enjeu au sein de la future majorité. En 2017, La République en marche avait accordé la présidence de la commission des Affaires étrangères au groupe Modem. Il faudra peut-être en attribuer à de nouveaux alliés, en cas de majorité composite.
Une lutte pour les places parfois féroce
Au sein des groupes, la lutte pour les postes est parfois rude. Lors du renouvellement de ces derniers à mi-mandat au sein du groupe LRM, en 2019, des boucles Telegram ont fleuri pour faire du lobbying et promouvoir certains députés. Candidate à la présidence des Affaires culturelles, la députée Céline Calvez avait choisi d’offrir un marque-page à son effigie, rapporte Le Figaro. Sabine Thillaye, attachée à la présidence des Affaires européennes, avait décidé de ne pas remettre en jeu son poste au motif que les règles fixées par son groupe en début de mandat ne s’appliquaient pas, selon les textes, à une commission qui n’est pas permanente…
Plusieurs députés novices, arrivés à l’Assemblée en 2017, ont raconté au chercheur Étienne Ollion, auteur du livre « Les candidats. Novices et professionnels en politique », comment une petite minorité avait réussi à faire « main basse sur toutes les fonctions et les missions, même les plus minimes », parce qu’ils étaient d’anciens auxiliaires politiques et connaissaient parfaitement le règlement de l’Assemblée, les postes, les rapports qui comptent et savaient « jouer de leur réseau de relations ». Un bizutage un peu violent, comme l’avait raconté Contexte.
Un « ministre bis » à la commission des Finances
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, elle revient obligatoirement à un membre de l’opposition. La perspective de voir un Insoumis occuper cette fonction stratégique inquiète les Marcheurs, dont certains envisagent de favoriser un autre membre de l’opposition, PS ou LR, comme le rapportait Le Figaro.
« Avec la commission des Lois, c’est la commission la plus puissante. Un président qui joue pleinement son rôle peut être un ministre bis », confiait à Libération la députée socialiste Valérie Rabault, rapporteure générale du budget entre 2014 et 2017. Et pour cause : la commission des Finances et son président contrôlent la recevabilité financière de l’ensemble des amendements déposés par les députés, y compris dans les autres commissions. Le président bénéficie, dans le cadre de sa mission de contrôle, du droit d’obtenir communication de tous les documents, « le contrôle sur pièces », auprès de Bercy.
Un pouvoir à relativiser. Car c’est en réalité une dyarchie qui règne au sein de la commission des Finances, entre le président de la commission et le rapporteur général du budget, chargé d’étudier l’ensemble des textes budgétaires qui détermine une grande partie des politiques publiques. « Il y a une répartition des tâches entre le président appartenant à l’opposition, d’où la grande indépendance à l’égard du gouvernement, et le rapporteur général appartenant à la majorité et qui joue un rôle central dans la discussion de la loi de finances, acte majeur de la politique gouvernementale », selon Pierre Avril, cité dans le Manuel de survie à l’Assemblée nationale.
Organes extraparlementaires mal identifiés
Les groupes d’études et d’amitiés ne sont pas sous les feux des projecteurs. Ils ont, a priori, peu d'importance : ils n’interviennent à aucun moment dans la procédure législative. Ces instances de dialogue et de veille technique sont toutefois une manière d’entretenir un réseau avec des parties prenantes, d’obtenir des idées d’amendements, et de permettre aux élus de se spécialiser. Se construire un domaine privilégié d’action est le moyen le plus sûr, pour les « fantassins de l’Assemblée », de se faire un nom. « Leur solidité sur certains sujets leur a permis d’être rapidement désignés, soit comme rapporteurs d’un texte quand ils siègent dans la majorité, soit comme orateurs principaux quand ils sont dans l’opposition », notent Jean-Jacques Urvoas et Magali Alexandre.
Par ailleurs, de nombreux députés représentent l’Assemblée dans une multitude d’organes extraparlementaires, parfois au sein d’institutions prestigieuses. Trois députés siègent par exemple au conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et des consignations. Deux d’entre eux sont au conseil d’administration de la Cnil. Idem pour les grandes entreprises publiques de l’audiovisuel ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme…
Les élus de base du Palais-Bourbon bénéficient de tous les outils offerts aux députés pour déterminer la politique de la nation et contrôler les gouvernements. « Leurs pouvoirs sont très importants s’ils ont la volonté de les utiliser pleinement », rappelle Jean-François Kerléo, curieux de voir les effets d’une opposition musclée sur l’attitude des députés de la majorité.