L’estocade de la médiatrice européenne a été nette et sans bavure.
Emily O’Reilly a marqué sa rentrée politique en envoyant, lundi 5 septembre, un courrier au président de la Commission européenne dans lequel elle lui demande des comptes sur la nomination, au mois de juillet, de son prédécesseur chez Goldman Sachs.
Qu'avez-vous fait ?
Monsieur Jean-Claude Juncker, qu’avez-vous fait pour vérifier que le nouveau poste de José Manuel Barroso respecte les règles éthiques ? interroge-t-elle en substance.
La réponse ne tarde pas et a la valeur d'un aveu d'inaction : le 11 septembre au soir, la médiatrice annonce que le président de l'exécutif saisit le comité d’éthique européen et va demander des détails à l'intéressé sur ses nouvelles fonctions.
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La sulfureuse banque d'investissement a été directement impliquée dans le maquillage des comptes publics grecs au début des années 2000, alors que José Manuel Barroso a été en première ligne de la gestion de la crise de la zone euro. C'est aussi lui qui a lancé la mise en place de l'union bancaire, qui concerne au premier chef les établissements financiers.
L'avis du comité sera connu dans les prochaines semaines, indique le service presse de la Commission, sans donner plus de détails pour le moment.
L’instance est composée de trois membres, dont une ancienne députée européenne socialiste, un ancien directeur général de la Commission et un ancien juge de la Cour. Sa conclusion n’a rien de contraignant et servira de base à un débat au sein du Collège des commissaires, l’équivalent du Conseil des ministres à Bruxelles. À ce moment seulement, l’exécutif pourra décider ou non de lancer une procédure judiciaire contre M. Barroso.
La grogne monte au sein de la Commission
Le dossier n’a donc pas fini d’empoisonner la vie politique de M. Juncker. Incapable jusqu’à présent d’être pro-actif sur le sujet, il a encaissé les coups.
Cas inédit, la contestation est présente jusque dans les rangs de la Commission. Un comité de fonctionnaires a lancé une pétition (140 000 signatures récoltées) contre leur ancien patron.
"Nous venons de franchir une première étape", explique un de ses membres, contacté par Contexte.
"Mais il ne faut pas relâcher la pression, c’est là que tout devient politique. Et surtout, il faut continuer à poser des questions : pourquoi n’existe-t-il pas une procédure automatique dans de telles situations, pourquoi l’avis du comité n’est-il pas public ?"
Si la base grogne, dans les hautes sphères, on ne cesse de temporiser. Quelques jours avant la saisine du comité, un haut responsable européen affirmait encore que Jean-Claude Juncker avait bien géré la situation et qu’il aurait été "compliqué" d’aller plus loin qu’une simple dénonciation publique.
Bérézina
Pour le service presse du président, la situation est proche de la Bérézina médiatique.
Son équipe a le plus grand mal à justifier ce revirement. Lundi 12 septembre, le porte-parole de la Commission, Alexandre Winterstein, a affirmé que les deux mois entre l’annonce de l’embauche de José Manuel Barroso et la décision de Jean-Claude Juncker ont constitué une période de "réflexion".
Un argument peu crédible quand on note que face aux critiques adressées par les députés depuis le 5 septembre sur un tout autre dossier, la fin des frais d'itinérance téléphonique dans l'UE, cinq jours ont été suffisants pour réagir.
Seule petite branche à laquelle se raccrocher : l’ancien président de la Commission, José Manuel Barroso, sera considéré comme un lobbyiste quelconque et traité de la même manière lors de ses éventuelles visites à la Commission européenne ou demandes de rendez-vous, insiste l'équipe de Jean-Claude Juncker. Pas forcément de quoi convaincre des opinions publiques de plus en plus sceptiques envers les institutions bruxelloises…