Frontières fermées. Masques bloqués. Différences de stratégies de confinement ou de dépistages. Aux premiers jours de l’épidémie de Coronavirus, l'Union européenne a plutôt brillé par sa désunion. Un fonctionnaire de la Commission résume bien le désarroi des premiers jours de mars :
« Au début de la crise, les États insistaient pour rappeler que la santé publique, c'était leur compétence. Ils ont pris des mesures… dans tous les sens… ».
Chacun pour soi
Mais en agissant seuls, les pays provoquent des tensions avec les autres. Le lieu où se rencontrent ces tensions est le Conseil des ministres de l’UE. La réunion du 6 mars a été particulièrement tendue. Les interdictions d’export de matériels décidées par l’Allemagne et la République tchèque, ainsi que le décret de réquisition du matériel de protection pris par la France sont au cœur des discussions.
« La ministre belge a aussi critiqué le fait d’être informée par la presse de certaines mesures prises par des États membres, comme l’Italie - annulation de vols, fermetures d’écoles - un sentiment partagé par d’autres pays, comme les Pays-Bas par exemple » détaille une source européenne.
« Le manque de solidarité était sur toutes les bouches », regrette une source européenne.
Depuis, les ministres se sont réunis informellement par visioconférence à cinq reprises. Si l’Allemagne a officiellement levé ses restrictions à l’exportation de matériel de protection individuel, et que la France, sans avoir abrogé son décret, a envoyé un million de masques à l’Italie, les tensions autour des limitations aux exportations sont loin d’être terminées.
La Bulgarie et, plus récemment, la Slovaquie, ont notifié à la Commission européenne leurs décisions d’interdire l’exportation d’équipements de protection, y compris au sein du marché unique. La Hongrie a signalé le 25 mars qu’elle interdisait toute exportation de produit contenant de l’hydroxychloroquine. « Et encore, certains pays ne notifient même pas qu’ils interdisent les exportations, alors qu’ils sont obligés de le faire, c’est le cas de la Pologne par exemple », poursuit notre source européenne, bien au fait des politiques de santé.
Selon cette dernière, « même si la communication s’améliore beaucoup entre États membres, et que l’on voit enfin quelques gestes de solidarité, cela reste du chacun pour soi. La Commission, vu l’étroitesse de son mandat, fait un travail époustouflant. Elle fait tout pour que les États suivent une même ligne, mais cela ne suffit pas ».
Jan Eyckmans, du service public fédéral Belge de santé publique, explique facilement cette situation. « Tous les États ont des cas de Coronavirus et beaucoup ont des problèmes de capacité. En Belgique, nous atteignons presque le plafond. Si ça n'avait pas été le cas, nous aurions pu envoyer du matériel à l'Italie. ».
Simples outils de coordination
En effet, dans ce genre de situation, les institutions européennes n’ont pas les outils pour forcer les gouvernements à collaborer. Selon les traités actuels, l’Union peut seulement encourager la collaboration et la coordination comme pour la « surveillance des menaces transfrontalières graves, l'alerte et la lutte contre celles-ci ».
Les quelques mécanismes existants sont issus des crises précédentes. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC en anglais, NDLR), a été créé en 2004, dans la foulée du premier syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Ses missions ont été étendues en 2013.
L’agence gère le système d'alerte précoce et de réaction de l'Union européenne qui consiste en une plate-forme d'échange d'informations entre les autorités sanitaires des différents pays européens. Le travail de cette agence est donc de collecter et d'analyser les données, d'évaluer les risques et, aussi, de proposer des « lignes directrices » aux États, concernant les réponses sanitaires à suivre en cas d'épidémies.
L'ECDC, qui compte aujourd'hui 270 employés, surveille la menace épidémiologique, via un réseau qu'elle coordonne.
« L’ECDC, c’est une agence qui fait du mieux possible compte tenu de sa taille, son budget et ses compétences » estime Simona Guagliardo du think tank European Policy Center (EPC).
Dès le 10 février, l’ECDC a publié un document présentant les meilleures options « non-pharmaceutiques » pour limiter la propagation du virus. S’y trouvent des consignes, encore prudentes, au sujet des mesures de distanciation sociale, de l’interdiction de regroupements lors d’événements publics. La fermeture des écoles, et même des entreprises y est évoquée « dans des circonstances exceptionnelles ». Depuis, ECDC met régulièrement à jour des évaluations des risques et étaye ses conseils sanitaires.
Scientifiques vs. politiques
« Les lignes directrices sont peu à peu suivies. Mais au début, je pense que les États ont été surpris de la rapidité de diffusion du virus », affirme une source européenne.
À côté de l'ECDC, existe depuis 2013 un comité de sécurité sanitaire. Il est composé d'experts choisis par les États membres au sein de leurs agences sanitaires ou de leurs administrations. Leur mission est de favoriser l'échange d'informations et d'assurer la « coordination » et, éventuellement, la « planification » de la réaction des États. Y siège aussi un représentant de l'Organisation mondiale de la santé et un de l'ECDC.
Ce comité s’est réuni à onze reprises depuis le début de la crise. Des réunions qui sont surtout censées permettre de « faire le point sur les mesures prises par chaque Etat-membre », explique-t-on au ministère français de la santé.
Lors de l’échange du 10 mars, il a été souligné l’importance de mieux « partager l’information au sujet des mesures nationales ». Le 25 mars, le comité a évoqué, sur proposition de la Commission, l’idée d’envoyer des professionnels de la santé, issus de pays moins touchés par le virus, vers l’Espagne.
Enfin, le 17 mars, la Commission européenne a aussi créé un conseil scientifique - un groupe de sept experts virologues et épidémiologistes – dont la mission est, aussi, de proposer des mesures pour limiter la propagation du virus. Le groupe est présidé par Ursula von Der Leyen elle-même.
Pour Jan Eyckman du service public fédéral Belge « santé publique », tous les dispositifs prévus pour faire face à des menaces transfrontalières, « sont gérés par des scientifiques qui arrivent très bien à se mettre d'accord. C'est ensuite, au niveau politique que l'on observe des différences ». Car encore une fois, « les États membres, même s'ils se réunissent souvent, sont libres de suivre ou pas les consignes. »
Un nouvel outil : la passation conjointe de marchés
La crise du coronavirus a aussi été l’occasion d’utiliser pour la première fois des appels d'offre commun. La Commission en a lancé plusieurs au nom d'un groupe de 25 Etats. Pour Jan Eyckmans, du service public fédéral Belge « santé publique », l'appel d'offres groupé, « permet d'obtenir un bon prix vu le volume global de la commande ». Toutefois, « le problème c'est que nous n'avons aucune nouvelle quant à la date de livraison... »
Au sein de la Commission on réfléchit à de nouvelles options « comme des procédures accélérées de vérification de la conformité du matériel ».
La Commission a créé, le 19 mars, une « réserve stratégique » de matériel,. L’objectif sera donc de le distribuer là les besoins sont les plus criants. Pour l’instant cette réserve est constituée d’un budget de 50 millions d’euros… mais pas encore de matériel.