David Cameron lauréat du Prix Charlemagne 2017 ? L'idée peut prêter à sourire. Elle est pourtant sérieuse.
"La campagne menée par Premier ministre britannique pour le maintien du Royaume-Uni dans l'UE mériterait d'être honorée. Son discours est l'un des plus pro-européens jamais entendu", confie un responsable européen d'ordinaire plutôt avare en compliments.
Quelle ironie de l'histoire que l'inscription du nom de David Cameron sur la liste des récipiendaires de ce prestigieux prix, créé en 1949 pour récompenser un engagement en faveur de l'unification européenne, lui qui n'a cessé de batailler pour conforter le statut particulier du Royaume-Uni, un pied dans l'UE, un pied en dehors.
Comme le lapin face au serpent
L'Union est suspendue au résultat du vote du 23 juin, "comme le lapin face au serpent", ironise un diplomate européen.
Tout le monde espère que les Britanniques accepteront de rester. À deux semaines du référendum, les sondages donnent 50-50, mais la campagne des partisans du divorce monte en puissance, jouant sur les peurs liées à l'immigration. Les Européens se sont bien gardés de s'immiscer dans le débat.
"Cela aurait été une erreur", confie un responsable britannique partisan du maintien.
Le Conseil européen du 19 février a donné à David Cameron les cartes pour faire campagne et éviter que trop de ses ministres ne rallient Boris Johnson.
Ensuite, "l'anglosphère" est entrée en jeu, ouvertement, comme le Président américain Barack Obama, ou plus discrètement, avec Singapour, Hong Kong, le Canada, l'Australie. Tous ont mis en garde contre un splendide isolement du Royaume-Uni hors de l'UE. Mais personne n'est dans la tête des électeurs britanniques.
Sortir de la léthargie
Si le oui à l'UE l'emporte, le sommet européen du 28 juin sera une fête et David Cameron sera au cœur de l'Europe.
"Il sera le dirigeant qui aura réussi à régler la “bloody question” du statut du Royaume-Uni dans l'Europe", s'enthousiasme l'un de ses proches.
La perspective de devoir le féliciter fait grincer bien des dents sur le continent, mais le soulagement d'avoir surmonté une grave crise l'emporte sur toutes les considérations.
L'Union pourra sortir de sa léthargie. Elle le fera lentement, car la France et l'Allemagne entreront en période électorale, mais la défaite des europhobes britanniques sera une douche froide pour le Front national en France et l'AfD en Allemagne.
Les partisans britanniques du maintien attendent beaucoup en cas de victoire.
"Plus clair sera le résultat, plus forte sera la position du Royaume-Uni au sein de l'UE", souligne-t-on.
"Elle confirmera une Union européenne à plusieurs vitesses et avec des destinations différentes", commente un responsable européen. Le Royaume-Uni va conforter son statut particulier, ne sera pas forcé à participer à la politique migratoire de l'UE ou au renforcement de l'Union économique et monétaire, mais il s'est engagé à ne pas bloquer la volonté de ceux de ses partenaires qui veulent aller vers une plus grande intégration, souligne-t-il.
Le spectre du divorce
Toutefois le spectre du divorce reste toujours très présent.
Tous les scénarios sont envisagés. Plus question d'être pris de court, comme en 1992, lorsque les Danois ont dit non à Maastricht, ou en 2005, lorsque les Français et les Néerlandais ont rejeté le projet de Constitution.
Si le vote des Britanniques est négatif, il y a un risque de cacophonie. Il faut éviter la multiplication des déclarations et des prises de positions, mais coordonner les réactions des 27 s'avère très difficile. Les marchés financiers vont s'affoler et la BCE devra réagir. Les temps seront ensuite très importants.
L'article 50 du traité de Lisbonne organise la séparation, mais les Britanniques doivent la demander. David Cameron doit adresser une lettre dans laquelle il demande l'activation de cette procédure. S'il ne le fait pas, rien ne se passe et l'incertitude peut durer.
La tentation pourrait être de tenter une renégociation de l'accord du 19 février et un nouveau référendum. Certains pays posent la question. Les précédents danois, français et néerlandais plaident pour cette solution, mais une majorité de gouvernements la rejettent, assure-t-on à Bruxelles.
Un fou
Le scénario noir qui voit les nouveaux dirigeants britanniques ne pas déclencher la procédure de l'article 50 et consommer la rupture en révoquant le principe de la primauté du droit de l'Union européenne est également appréhendé.
L'idée donne des cauchemars, car une telle décision provoquerait un chaos financier et économique. "Nous pensons qu'un tel scénario est très peu probable, sauf si un fou gouverne la Grande-Bretagne", confie un diplomate européen.
"L’intérêt du Royaume-Uni sera une séparation organisée", soutient-il.
La lettre demandant l'activation de l'article 50 devrait être envoyée au plus tard en octobre, estime-t-on de source informée à Bruxelles.
Deux années sont ensuite prévues pour négocier les conditions de la sortie et défaire les liens financiers, économiques et politiques vieux de 43 ans. La Grande-Bretagne perdra son commissaire et n'aura plus voix au chapitre durant cette période de transition. Les fonctionnaires européens britanniques ne seront en revanche pas pénalisés, car l'UE aura toujours besoin de leur expertise.
Le prix de la sécession
La seconde étape sera la négociation de la nouvelle relation du Royaume-Uni avec l'Union européenne et son grand marché. Aucune clémence n'est à attendre pour les "déserteurs", a averti le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Il s'agit avant tout d'éviter l'effet boule de neige en montrant le prix à payer pour la sécession.
La Grande-Bretagne deviendra un "état tiers" pour l'Union européenne et les négociations pour la nouvelle relation dureront au moins 10 ans.
Les investisseurs étrangers de "l'anglosphère" établis au Royaume-Uni ont déjà fait savoir à leurs interlocuteurs que si Londres leur plaît beaucoup, leur intérêt est avant tout le grand marché unique européen et que si le Royaume-Uni quitte l'UE, ils déplaceront leurs activités et s'installeront sur le continent, explique un responsable britannique.
Le déni du plan B
Officiellement personne ne veut croire au départ de la Grande-Bretagne et l'idée d'un plan B est récusée. Aucun dirigeant, aucun diplomate, aucun responsable ne se risque à évoquer publiquement que cette hypothèse a été envisagée et préparée.
"Le simple fait d'admettre qu'il y a un plan B signifie que l'on entérine une séparation", expliquent-ils sous couvert de l'anonymat.
Mais cette pudeur ne trompe personne. Si le Royaume-Uni quitte l'UE, ce sera un moment noir de l'histoire européenne et cette rupture va provoquer une crise.
La crainte est une série d'initiatives contre-productives, car elles accentueraient les clivages. Revenir à l'Europe des six pays fondateurs ou miser sur l’Eurozone aurait pour effet de diviser les Européens, avertit la Commission.
"Quelle que soit l'issue du référendum au Royaume-Uni, l'UE aura besoin d'un plan de relance et des contributions sont préparées en ce sens", soutiennent les représentants des États à Bruxelles.
Mais pas question de lancer une nouvelle réflexion institutionnelle. "Il faut travailler sur les questions qui intéressent les gens, la sécurité, la défense", plaide un responsable communautaire. Même si les Britanniques décident de rompre, l'Union européenne conservera sa force d'attraction.
"Avec les Écossais, l'UE continuera à 28", prédisent les oracles bruxellois.