« C’est le gouvernement de Michel Barnier. » Ce 24 septembre, un conseiller élyséen prend acte de la composition du nouveau gouvernement, fruit de la coalition entre le camp présidentiel et la droite républicaine. À coups d’éléments de langage, son entourage dessine un Président se mettant en retrait : « Les fils ont été coupés avec Matignon. » Désormais, « le Président préside, le gouvernement gouverne ». Fini l’interventionnisme aigu du chef de l’État dans les politiques publiques. On est prié de le croire.
Conséquence directe de cette nouvelle donne politique : la valse des conseillers à l’Élysée. Dans les couloirs du palais présidentiel, l’ambiance est maussade. Dans cette forme inédite de cohabitation avec Matignon, la quinzaine d’ex-conseillers partagés depuis 2017 entre les deux pôles de l’exécutif n’ont pas tous vocation à rester en poste. Après la dissolution, Alexis Kohler leur avait laissé deux à trois mois pour se retourner. Mais, début octobre, ils reçoivent un mail du directeur de cabinet, Patrice Faure, confirmant uniquement le maintien de trois d’entre eux : le conseiller technique énergie, Christophe Leininger, la conseillère macroéconomie et politiques publiques, Clémence Lenoir, et Mathias Ginet, conseiller agriculture.
La demi-dizaine de conseillers qui n’ont pas rejoint un nouveau cabinet ou le privé se retrouvent sur le carreau. « Soi-disant, ces licenciements seraient liés à des questions de budget. Il s’agit également de montrer qu’à l’Élysée, on fait moins de politique », explique une source. Il n’a échappé à personne qu’il y a un mois, le cabinet de l’Élysée a recruté un conseiller éducation, Gilles Halbout (ancien chef de pôle de Matignon), et a débauché un conseiller opinion chez Publicis, Olivier Alexanian.
Se résigner à voir Matignon piloter ?
Quant aux conseillers Élysée, difficile pour eux de voir Matignon prendre les commandes, après plus de sept ans de travail acharné. « On ne fait plus les RIM [réunions interministérielles] à l’Élysée, du coup, on n’a même pas les convocations, ni les pièces jointes », confiait mi-octobre à Contexte un conseiller un brin désabusé en cette période budgétaire.
« On a clairement moins de travail, on est dans d’autres logiques. Auparavant, je pilotais des RIM, c’est moi qui mettais la pression », se désole un autre collaborateur.
Tous continuent néanmoins à recevoir de nombreux visiteurs, acteurs politiques, économiques, lobbyistes.
Symbole de ce désinvestissement au sommet, la réunion du lundi autour du secrétaire général Alexis Kohler et des différents cadres de l’ancienne majorité, qui balayait les sujets importants de la semaine, a disparu.
Difficile pour autant d’imaginer qu’Emmanuel Macron ne fait plus de politique. Le premier octobre dernier, il échangeait avec une délégation d’une douzaine de députés Ensemble pour la République, toujours très remontés contre lui et sa décision de dissoudre. Emmanuel Macron tente également de peser de toutes ses forces dans la bataille qui oppose Gabriel Attal à Élisabeth Borne pour prendre la tête du parti, tâchant d’éviter que son ancien Premier ministre ne cumule la fonction de chef de groupe et de chef de parti… « Le Président sait qu’il doit laisser de la place, mais ce n’est pas son caractère », analyse un cadre Ensemble pour la République (EPR).
Des fidèles placés dans les cabinets
Pour garder la main, l’Élysée a d’abord cherché à placer ses fidèles dans les cabinets des ministres EPR. Avec un Matignon tout-puissant, la stratégie est de miser sur les contacts interpersonnels pour tenter de peser ou, a minima, d’être informé. Augustin Aoudjhane, aujourd’hui directeur de cabinet adjoint de Laurent Saint-Martin (Budget), est l’ancien conseiller fiscalité d’Emmanuel Macron, chargé des argumentaires durant la campagne présidentielle de 2022. Aurélie Vieillefosse, ex-conseillère écologie, est devenue directrice de cabinet adjointe d’Agnès Pannier-Runacher (Transition écologique).
« On discutera avec Matignon pour le suivi. Désormais, ce sont eux, à Matignon, qui ont les manettes. Heureusement, on en connaît certains », avoue un conseiller. « Ils vont aussi devoir faire ami-ami avec les directions d’administration pour avoir les informations par la bande désormais », abonde un ancien conseiller de l’exécutif.
Des ministres macronistes sur des sujets clés
Durant les discussions pour composer le casting gouvernemental, l’Élysée a également réussi à imposer des ministres de sa sensibilité pour les portefeuilles emblématiques de l’action menée depuis sept ans. Bercy, avec l’Économie, le Budget et l’Industrie ; la Transition écologique ; le Numérique, sans parler des domaines « réservés », comme les Affaires étrangères et la Défense.
C’est le cas de l’Énergie, portefeuille porté par le duo Agnès Pannier-Runacher et Olga Givernet. Sur plusieurs points, note une source de l’exécutif, Matignon et l’Élysée ne sont pas totalement à l’unisson. « Ça va être de la gymnastique intellectuelle, car les conseillers ne poussent pas les mêmes choses, par exemple sur le carburant durable d’aviation (SAF) ou l’hydrogène… »
Ces différences d’approche peuvent toutefois avoir leur utilité, décrypte un lobbyiste, afin de ne pas s’adresser aux mêmes interlocuteurs dans un secteur : « Sur les énergies renouvelables, et notamment l’éolien, il faut envoyer des signaux à deux France qui se regardent en chiens de faïence. C’est un bon deal de dire que Barnier va faire l’anti-ENR, mais qu’Olga Givernet va cajoler le monde des renouvelables », note cet interlocuteur.
« Macron et la French Tech, ça marche toujours… »
C’est aussi le cas pour l’intelligence artificielle, chasse gardée du Président. Sa conseillère, Claire Vernet-Garnier, est présente aux réunions de préparation du sommet attendu pour février 2025. Un événement géré par l’Élysée depuis le début et sur lequel le Président garde la main. Il a d’ailleurs poussé à la nomination de l’ex-directrice de la mission French Tech, Clara Chappaz, comme secrétaire d’État chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique. « Le monde des start-up continue d’avoir des rendez-vous à l’Élysée, car Macron et la French Tech, ça marche toujours… Barnier, ça ne les fait pas rêver », décrypte un lobbyiste du secteur. A fortiori depuis la présentation du budget, qui sabre près de trois milliards d’aides et investissements fléchés vers l’innovation.
Choose France, rendez-vous inventé par le Président, résume à lui seul la politique d’attractivité tant vantée par l’Élysée depuis sept ans. La réunion doit avoir lieu les 17 et 18 mai prochains. Cette année, elle devra convaincre les investisseurs internationaux de continuer à choisir la France, alors qu’Emmanuel Macron leur avait vendu l’année dernière un projet de loi simplification stoppé net par la dissolution, et qu’il n’a plus de majorité pour leur assurer une stabilité fiscale déjà mise à mal par Michel Barnier.
Institutions, Nouvelle-Calédonie, outre-mer : frictions à l’horizon
C’est sur le régalien et sur les institutions que les relations risquent de se tendre entre l’Élysée et Matignon. Michel Barnier a surpris plusieurs interlocuteurs en annonçant dans sa déclaration de politique générale, à l’Assemblée nationale le 1er octobre, l’abandon du projet de loi de révision constitutionnelle sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Plusieurs sources parlent d’une tension entre l’Élysée et Matignon sur ce point, la présidence n’ayant pas apprécié la forme de l’annonce. « Avant, c’était vraiment aux mains de l’Élysée et de Gérald Darmanin. Aujourd’hui, ce n’est pas bien calé entre le PR et le PM », explique une source néo-calédonienne.
Emmanuel Macron s’est rendu deux fois sur l’île, en 2018 et 2023, et a dû gérer la construction post-accords de Nouméa. Le dossier demeure piloté à l’Élysée par le directeur de cabinet Patrice Faure et le conseiller outre-mer, François de Kerever. Mais le sujet est désormais à Matignon, aux mains de Michel Cadot (conseiller très proche de Michel Barnier) et de Frédéric Joram (conseiller outre-mer). Un fin connaisseur du dossier théorise même une gestion de long terme, qui pourrait continuer d’être celle du Président, et une gestion plus technique, interministérielle, à Matignon. Emmanuel Macron envisagerait même de réunir les acteurs politiques en novembre à Paris.
Même chose pour le dossier de l’autonomie de la Corse. Le sujet reste dans le giron du conseiller territoires de l’Élysée, Jean-Marie Caillaud, même s’il revient surtout à Catherine Vautrin (Décentralisation), qui travaillera en lien avec Simon Chassard, chef du pôle territoires à Matignon. Mais c’est Emmanuel Macron qui avait ouvert la voie à un processus d’autonomie devant l’Assemblée de Corse, en 2023.
L’idée est donc de continuer à suivre tous les dossiers et, notamment, les plus stratégiques, en attendant des jours meilleurs pour l’Élysée ? « Macron, aujourd’hui, c’est le mistigri. Il sait que beaucoup n’ont pas compris sa décision de dissoudre dans son camp, ce qui explique sa prise de champ. Il prend du recul, jusqu’au moment où on l’appellera comme recours… », explique un visiteur du soir.