Ces derniers jours, Christophe Béchu est sur tous les fronts. Et même sur celui de la crise agricole. Depuis sa reconduction au gouvernement, le 18 janvier, le portefeuille déjà vaste du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires s’est élargi à la mer et à la sûreté nucléaire. La nomination prochaine de plusieurs ministres délégués ou secrétaires d’État placés sous son autorité devrait encore asseoir sa position. Christophe Béchu marque son territoire et compte désormais exercer pleinement sa tutelle pour éviter que trop d’arbitrages ne remontent à Matignon.
Il semble loin cet été 2022 cataclysmique, au terme duquel peu donnaient cher de la peau de ce ministre, absent du terrain et des médias, alors que le pays subissait sécheresse et incendies de forêt. « Christophe a littéralement progressé. Il parle mieux d’écologie qu’il y a dix-huit mois et il se lâche davantage », commente un collègue du gouvernement. Une bonne nouvelle pour l’écologie, pour Emmanuel Macron… mais aussi pour Édouard Philippe, dont Christophe Béchu est proche ?
S’il veut être candidat en 2027, le maire du Havre sait qu’il devra porter un discours sur le climat et la transition écologique. L’action et le bilan de Christophe Béchu à l’Hôtel de Roquelaure pourraient alors servir de vitrine précieuse à l’ancien Premier ministre, parti de très loin sur ces sujets à son arrivée à Matignon en 2017. « Évidemment que c’est un grand ministère stratégique pour Édouard ! », confirme un de ses proches. Pour Christophe Béchu, la tâche n’est pas simple : mettre en œuvre la politique d’Emmanuel Macron pour aider son champion à lui succéder.
La transition, thématique clé pour Horizons
« Sur les sujets écologiques, Édouard en a souvent pris plein la gueule. Entre son passé chez Areva et ses bras de fer avec Nicolas Hulot, il a donné l’image de quelqu’un de nucléocrate, productiviste. Il y avait un malentendu », explique l’entourage de l’ex-Premier ministre. Un ancien conseiller ministériel de l’époque le confirme : « Je me faisais avoir sur beaucoup d’arbitrages. Il est physiquement hostile à l’écologie, il n’aime pas le vélo. Il a réussi à contourner tranquillement cette image », explique-t-il.
Édouard Philippe a parcouru du chemin depuis 2017. « Comme beaucoup de Français, je suis venu à ce sujet probablement trop tard. Mais pensez-vous vraiment que venir tard à un sujet nous entache d’illégitimité ou entache notre envie d’apporter des solutions ? », admettait l’ancien Premier ministre, le 9 octobre 2022, dans son discours prononcé à l’occasion du congrès fondateur d’Horizons. Depuis, la revue du parti prend soin de traiter l’enjeu environnemental à chaque numéro et y a même consacré un hors-série.
Surtout, le probable futur candidat a vite pris conscience du bénéfice à tirer d’avoir obtenu pour Horizons le portefeuille ministériel de la transition écologique – après la défaite d’Amélie de Montchalin aux élections législatives de juin 2022. Ainsi, l’un des plus proches collaborateurs d’Édouard Philippe, Clément Tonon, chargé du pôle idées du parti, a rejoint le cabinet de Christophe Béchu comme conseiller idées. « La jeune garde d’Édouard est allée dans un ministère de la transition écologique pour s’y frotter, s’y former. Et lui apporter des choses », décrypte un proche du maire du Havre. Ce dernier a d’ailleurs personnellement veillé à ce que Christophe Béchu soit renommé au même ministère selon nos informations.
La patte singulière de Béchu sur l’écologie
Son entourage en est persuadé : le ministre de la Transition écologique fait preuve d’une « patte propre ». Si sa politique se situe bien dans la continuité de « l’écologie à la française » théorisée par Jonathan Guémas, directeur de la communication d’Emmanuel Macron, elle se veut plus affirmée. Le discours présidentiel, articulé essentiellement autour du récit sur la réindustrialisation et la souveraineté, reste peu contraignant. Le ministre, lui, veut mobiliser largement l’opinion et prendre en charge un discours qui renverse davantage la table. Ce que développe Christophe Béchu lui-même dans le numéro hors-série de la revue d’Horizons consacré à l’environnement : « Ma préoccupation, c’est d’embarquer tout le monde. Et j’insiste sur le “tout le monde”. » Comme quand il a présenté le scénario le plus pessimiste, de réchauffement de la planète à plus 4 degrés, pour sensibiliser l’opinion à l’adaptation nécessaire.
Parmi ses atouts figure une fibre territoriale liée à son identité de maire, au cœur de l’ADN d’Horizons. « Un maire est habitué à savoir par où il faut faire passer les systèmes d’approvisionnement d’eau, comment tracer la nouvelle ligne de bus. [Les maires] ne sont pas le visage de la modération, mais bien plus celui de l’efficacité », détaille ce conseiller d’Édouard Philippe.
Efficacité et territorialisation. « Christophe doit valider la méthode Horizons. C’est une très belle nouvelle qu’il ait été re-nommé car cela prendra du temps », explique ce proche d’Édouard Philippe. Ça tombe bien, c’est à lui qu’Élisabeth Borne a confié la responsabilité de la territorialisation de la planification écologique, c’est-à-dire sa mise en œuvre concrète. « Les COP régionales correspondent bien à la vision de Béchu. S’ils s’approprient les objectifs, les acteurs vont plus facilement les mettre en place », explique la garde rapprochée du ministre.
Adaptation, ZAN, eau, consigne : ses dossiers, des objets politiques ultra-identifiés mais risqués
Malgré l’optimisme affiché par son entourage, ce ministère reste celui de « l’impossible », formule bien connue de Robert Poujade, premier ministre de l’environnement. Qu’importe ! Pour incarner sa singularité, Christophe Béchu a identifié plusieurs objets de choix, ultrasensibles politiquement, qu’il a voulu tourner à son avantage. Quitte à devoir batailler durement et, parfois, à revoir les ambitions à la baisse.
Après un an de discussions autour de la mise en place du zéro artificialisation nette (ZAN), l’atterrissage a eu lieu en juillet 2023. S’il réussit à maintenir l’esprit de l’objectif, il doit lâcher du lest sur les documents de planification régionale. « Christophe Béchu donne l’impression d’être convaincu d’un régime assez draconien, mais, dans nos séances de travail, il avait souvent un sourire. Il sait bien, en tant qu’élu local, que tout n’est pas aussi simple dans la mise en œuvre », explique le sénateur LR Laurent Somon, membre de la Délégation aux collectivités territoriales qui a négocié avec lui.
Sur l’eau, sujet identifié comme « bombe politique à venir des prochaines années », le ministre s’est fait voler la vedette par le président de la République. Pire, Christophe Béchu a essuyé un net revers sur la réforme des redevances, après que la FNSEA a obtenu le report de la hausse qu’auraient dû payer les agriculteurs dans le projet de budget 2024. « Le ministre de la Transition écologique est vraiment parti la fleur au fusil », rapporte un membre du gouvernement.
Fiscalité : Béchu orthogonal à Philippe ?
Est-ce pour muscler sa réflexion ? Christophe Béchu s’est entouré depuis peu d’un groupe de jeunes adhérents d’Horizons. La fiscalité verte est d’ailleurs une thématique fortement mise en avant par les Jeunes Horizons et explique en partie la position de Christophe Béchu sur l’ISF vert. Le ministre avait en effet suscité un émoi dans la majorité, quand, après la publication du rapport Pisani-Ferry Mahfouz proposant la création d’un « ISF vert », il avait réagi en disant qu’il n’y avait « aucun tabou ». Horizons ne veut pas dévoiler ses réflexions en cours sur le sujet, mais plusieurs cadres confirment que sur ce point, Béchu n’est pas tout à fait aligné. « Édouard Philippe est un grand brûlé de la politique fiscale environnementale », rappelle, dans un sourire, l’un de ses conseillers. « Dans le débat entre dirigisme ou main invisible autorégulant le marché, il fait plutôt confiance à la seconde », ajoute ce conseiller de Béchu.
Un activisme qui ne laisse pas indifférent
Parce qu’il est visible, Christophe Béchu irrite. Bruno Le Maire est publiquement monté au créneau contre lui, le 15 novembre, lors de la sortie de la campagne publicitaire de l’Ademe appelant à la sobriété à la veille du Black Friday. Une initiative validée par le ministre de la Transition écologique (lire la brève Envi). Si Christophe Béchu a reconnu une « maladresse » sur France Inter après la sortie de Bruno Le Maire, admettant qu’il aurait mieux valu ne cibler que les plateformes de vente sur internet, et non les petits commerces, il a ensuite cranté une position dans une tribune dans Le Monde le 23 novembre sur le nécessaire changement de modèle.
Un discours qu’Emmanuel Macron n’a précisément jamais tenu. Cette position avait été actée bien en amont par le parti, selon Marine Cazard, membre du bureau politique et cheffe du pôle Jeunes Horizons. « La tribune, c’est une discussion qu’on a depuis plusieurs mois », explique-t-elle. « C’est une réflexion qu’on avait il y a quelques mois encore au cours d’un dîner avec Édouard Philippe », explique un autre cadre d’Horizons.
Une forme de rivalité s’est également instaurée entre Christophe Béchu et Antoine Pellion, patron du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), rattaché à Matignon. Tous deux décrivent officiellement « de bonnes relations de travail ». Christophe Béchu considère que désormais, c’est lui qui doit incarner la phase politique, après la phase « techno » du SGPE, pour élaborer ses projections territoire par territoire. Antoine Pellion entend bien, également, piloter leur mise en œuvre sur le terrain. Il n’est d’ailleurs jamais très loin des COP régionales.
Du côté de l’opposition, une figure politique semble jalouser la popularité montante de Béchu. En novembre, lors du dernier congrès de l’Association des maires de France (AMF), les élus ont spontanément applaudi le ministre de la Transition écologique pour sa gestion du ZAN. Interrompu en plein discours de clôture, le président de l’AMF David Lisnard, qui rêve d’une candidature en 2027, n’a pas manqué de railler le ministre et son fan-club.