Il y a quasiment cinq ans, les collaborateurs parlementaires, ces travailleurs de l’ombre de l’Assemblée nationale et du Sénat, étaient brutalement jetés en pleine lumière. Déclenchée le 25 janvier 2017, l’affaire Penelope Fillon allait faire dérailler la campagne présidentielle et placer le statut des collaborateurs au cœur de la première grande loi du quinquennat.
La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a interdit l’embauche d’assistants parlementaires issus du « premier cercle familial » du député. Mieux, elle a inscrit ce métier de collaborateur dans la loi. Son article 12 confère au « bureau de chaque assemblée » le soin de « s’assurer de la mise en œuvre d’un dialogue social entre les représentants des parlementaires employeurs et les représentants des collaborateurs parlementaires ».
Collaborateur parlementaire, une profession reconnue par la loi
Une « première avancée à ne pas nier » et une « véritable reconnaissance symbolique », ont reconnu les syndicats CFE-CGC et CFTC des collaborateurs, lors de leur audition par la mission d’évaluation de 2017, qui a rendu ses conclusions à la mi-décembre 2021. Pourtant, une certaine amertume perdure chez les représentants des assistants parlementaires qui peuplent les couloirs du Palais-Bourbon.
Leur principal regret est l’absence d’un véritable « statut des collaborateurs ».
Les choses ont progressé depuis cinq ans, rappelle-t-on à la questure de l’Assemblée. Un accord collectif, signé le 15 avril 2021, a instauré une « prime d’ancienneté dans la profession » et prévu la portabilité de ces droits en cas de changement de député employeur. Cet accord succède à celui du 21 octobre 2018, créant une fiche de poste, définissant le métier et qui peut être jointe au contrat de travail du collaborateur. Un premier accord collectif, entré en vigueur le 1ᵉʳ mars 2017, a mis en place un régime de convention annuelle de forfait jour et une indemnité de rupture contractuelle pour fin de mandat. Contexte avait documenté les débuts de ces négociations.
En revanche, « l’instauration d’une grille des salaires a échoué, après un an de négociations », déplore Simon Desmarest, de la CGT des collaborateurs, membre de l’intersyndicale (incluant aussi la CFE-CGC, la CFDT, la CFTC, SNCP-FO, Solidaires, Unsa-USCP). Il regrette également l’absence d’autres sujets dans l’accord : le paiement des heures supplémentaires, un « pack social » prévoyant une prime de repas, un CE avec des activités sociales et culturelles, une mutuelle santé commune, etc. Quant à l’enveloppe des crédits collaborateurs versés aux députés, qui a augmenté de 10 %, elle a été octroyée après le début du mandat et a été surtout utilisée pour « recruter plus de stagiaires ou des contrats courts sur des missions ponctuelles », juge le cégétiste.
L’absence d’un statut participe « à accentuer la précarité de notre métier », appuie Camille Aspar (SNCP-FO). Brayen Sooranna, de la CFDT, pointe aussi le manque d’une « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » dans une institution où 2 200 contrats prennent fin tous les cinq ans.
Un dialogue social à rééquilibrer
Le dialogue social est devenu une réalité à l’Assemblée, mais il s’appuie sur des rapports « déséquilibrés », soulignent la présidente LRM de la commission des Lois Yaël Braun-Pivet et le député LR Philippe Gosselin, rapporteurs de la mission d’évaluation sur la loi pour la confiance dans la vie politique. Les représentants des collaborateurs ne discutent pas seulement avec l’Association des députés employeurs (ADE), organisation représentant les 577 élus qui emploient les collaborateurs via un contrat de travail de droit privé. Ils doivent aussi composer avec les questeurs, qui ont la haute main sur l’organisation financière et administrative du Palais-Bourbon.
« Nous négocions avec l’ADE qui n’a pas les cordons de la bourse et doit soumettre toutes les décisions à la questure. De son côté, la questure ne représente pas l’ensemble des députés employeurs et ne peut directement négocier ces accords collectifs », déplore Simon Desmarest, de la CGT. Une « anomalie structurelle », critique le syndicat CFTC du Parlement. Ce « pouvoir quasi discrétionnaire de ratification de l’accord préalablement négocié » offert aux questeurs rend plus complexe un véritable dialogue social, abonde la CFE-CGC.
« Nous sommes des salariés de droit privé employés par les députés, travaillant dans l’équivalent de 577 TPE [très petites entreprises], pour faire tourner une institution publique qui fabrique la loi, et dans laquelle les inspecteurs du travail ne peuvent pas entrer à leur guise, en vertu de la séparation des pouvoirs », résume un collaborateur qui s’emporte contre ce qu’il considère être un « no man’s land juridique ». Simon Desmarest déplore que les syndicats n’aient pas été consultés sur les décisions prises dans le cadre du protocole sanitaire, ou même associés au CHSCT de l’Assemblée, où travaillent au quotidien près de 800 collaborateurs.
Une harmonisation des conditions de travail ne peut pas non plus se faire via le règlement de l’Assemblée. Le Conseil constitutionnel a écarté cette possibilité le 11 décembre 2014, au motif que ces dispositions, relevant du droit privé, n’étaient pas relatives au fonctionnement de l’Assemblée nationale, ni à la procédure législative, ni au contrôle du gouvernement.
Vers un dialogue social plus encadré ?
Particulièrement prudents, les députés Braun-Pivet et Gosselin ont rappelé qu’il ne leur appartenait pas d’évaluer le contenu des accords collectifs déjà signés. Ils ont néanmoins exhorté « à trouver un équilibre plus satisfaisant entre les parties prenantes au dialogue social ». Reste donc à négocier d’autres accords. Si l’ADE a acté le principe d’une négociation sur le temps de travail, les discussions n’interviendront pas avant la prochaine mandature. Maxime Torrente, pour la CFE-CGC, espère toutefois mettre à profit les conclusions du rapport d’évaluation pour pousser la « réflexion sur les moyens de parvenir à un dialogue social plus encadré, avec des réunions régulières entre députés, syndicats, administration de la questure, et un calendrier fixe ».
En l’absence de cadre juridique sur les droits des collaborateurs, l’intersyndicale a une nouvelles fois alerté, le 15 décembre, sur les dérives en matière d’embauche, de conditions salariales ou d’horaires de travail, à la suite de la diffusion d’un reportage de LCP. Dans ce même communiqué, les représentants de collaborateurs s’étonnaient également qu’aucun signalement n’ait été effectué au Procureur de la République malgré la saisine de la cellule anti-harcèlement (créée en février 2020) par 52 collaborateurs entre février 2020 et janvier 2021.