La poussière est retombée. Le champ de bataille est clarifié. Et les acteurs bien identifiés, après le dépôt officiel des candidats qui se présenteront au suffrage le 7 juillet.
217 candidats se sont désistés, selon le décompte réalisé après le dépôt officiel des candidatures en préfecture. Résultat : le nombre de triangulaires a fortement décru. Il n’y en a plus que 89, alors qu’un match à trois était possible dans 306 circonscriptions à l’issue du premier tour.
Dans le détail, 131 candidats du Nouveau Front populaire se sont désistés, contre 73 postulants du camp présidentiel. Le RN a retiré trois candidats, dont un dans la circonscription de Naïma Moutchou (Horizons), arrivée en deuxième position derrière La France insoumise dans le Val-d’Oise.
Ces désistements en nombre, destinés à barrer la route au Rassemblement national, ont un effet mécanique : augmenter le nombre de duels. Sur les 409 recensés, 148 opposeront le RN et ses alliés au Nouveau Front populaire. Et 129 autres se joueront entre l’extrême droite et la coalition centriste. 45 verront s'affronter LR et le RN renforcé par les ciottistes.
Autre fait marquant : il ne reste plus qu’onze triangulaires ou quadrangulaires dans lesquelles l’extrême droite figure en première position. Parmi celles-ci, il n'y en a que trois où le match oppose le RN, Ensemble et le Nouveau Front populaire. Bref, les forces politiques ont bel et bien passé les consignes pour entraver la dynamique du Rassemblement national.
Le désistement républicain a fonctionné
Mais rien n’indique que ces appels à un « rassemblement des démocrates » ou à un « front républicain » soient entendus par les électeurs. Jusqu’aux dernières législatives, le barrage républicain face au RN fonctionnait encore auprès des Français. Mais, en 2022, pour la première fois, il y a eu une rupture dans cette discipline de vote, prévient le politologue Bruno Jeanbart dans L’Opinion. « Sur les 65 duels RN-Nupes au second tour, 34 ont été remportés par le candidat d’extrême droite, principalement en raison du taux de report trop faible des électeurs macronistes. Les reports de voix sont donc beaucoup plus anarchiques qu’auparavant. »
D’après un sondage OpinionWay du 30 juin cité par ce chercheur, seuls 31 % des électeurs Ensemble déclaraient qu’ils voteraient pour la gauche en cas de duel RN-NFP. En cas de duel RN-Ensemble, seuls 43 % des électeurs de gauche se disaient prêts à voter pour le candidat de la majorité présidentielle. Une enquête de Cluster 17 pour Le Grand Continent, réalisée avant le premier tour, donne des résultats similaires.
Gare, toutefois, aux conclusions hâtives : le contexte n’est pas le même qu’en juin 2022. « La question n’était pas de savoir si le RN allait accéder au pouvoir, mais qui pouvait obtenir une majorité entre Ensemble et la Nupes, ça ne favorisait pas vraiment les reports », analyse auprès de Public Sénat Mathieu Gallard, directeur d’études à Ipsos France.
Qui fera face au RN et à ses alliés ?
Sur les 190 candidats Renaissance en lice pour le second tour, 45 d’entre eux étaient en tête à l’issue du premier tour. Dans 59 circonscriptions, ils seront en duel avec l’extrême droite. Et participeront à une triangulaire dans une soixantaine de circonscriptions, dont vingt dans lesquelles ils ont terminé premiers le soir du 30 juin.
Les circonscriptions gagnables pour le parti présidentiel sont facilement identifiables. Elles se concentrent en partie dans l’Ouest parisien. Renaissance peut l’emporter dans 8 circonscriptions des Yvelines (sur 12), et rafler plus de la moitié des sièges dans les Hauts-de-Seine (7 sur 13). Il devrait aussi sauver plusieurs sortants dans l’Ouest lyonnais. L’autre axe de résistance devrait être, sans surprise, les circonscriptions des Français de l’étranger, avec une promesse de 6 à 8 victoires.
L’autre ligne de force se situe sur la façade atlantique. Renaissance peut remporter 5 circonscriptions sur 8 dans le Finistère (1re, 4e, 5e, 3ᵉ et 7ᵉ circonscription), 2 dans le Morbihan, les Côtes-d’Armor (5ᵉ et 2e) ou la Manche. Le 7 juillet, le parti présidentiel devrait réaliser de bons résultats dans le Maine-et-Loire (4 victoires possibles) ou dans l’Aveyron (2 députés sur 3), des terres rurales plutôt dynamiques et partageant une tradition politique de droite plutôt modérée.
La coalition Ensemble résiste dans l’Ouest parisien et le long de la façade atlantique
Horizons et le MoDem vont devoir batailler
À peine 9 candidats MoDem et 8 Horizons sont arrivés en tête de leur circonscription le 30 juin. Une autre statistique annonce le reflux puissant que risquent de subir ces deux alliés d’Emmanuel Macron : si 190 candidats Renaissance sont en capacité de concourir au second tour, le MoDem n’en compte, après 13 désistements, plus que 59. Quant au parti d’Édouard Philippe, il n’en a plus que 49 pour défendre ses chances. C’est bien peu pour maintenir à flot deux groupes qui, rappelons-le, comptaient respectivement 50 et 31 députés à l’Assemblée nationale.
Bien sûr, le MoDem va profiter à plein du front anti-RN. Les désistements opérés par la gauche devraient, par exemple, permettre à Jean-Paul Mattei, président du groupe MoDem, de l’emporter dans les Pyrénées-Atlantiques. C’est aussi le cas pour Erwan Balanant (Finistère), Sandrine Josso (Loire-Atlantique) ou Richard Ramos (Loiret).
Même chose à Horizons, où les candidats seront en duel avec l’extrême droite dans 30 circonscriptions. Entre 15 et 20 sortants pourront, d’après nos calculs, s’en sortir… en cas de bons reports de voix venues de la gauche. Ce devrait être très compliqué, en revanche, pour Paul Christophe (Nord), Xavier Batut (Seine-Maritime), Stéphanie Kochert (Bas-Rhin) et pour Alexandre Vincendet (Rhône). À noter que Naïma Moutchou, en mauvaise posture, devrait finalement bénéficier du désistement du candidat soutenu par le RN, l’ex-sénateur Sébastien Meurant.
Au Nouveau Front populaire, chaque parti se concentre sur ses points forts
Les Insoumis présentent 162 candidats au second tour, alors qu’ils en soutenaient 229 au premier tour. Le taux de perte (29 %) est supérieur à celui des socialistes (130 qualifiés sur 175, 25,8 %). En plus d’avoir obtenu 19 élus au premier tour, les candidats LFI sont en duel avec l’extrême droite dans 45 circonscriptions et sont en tête dans 30 triangulaires. « Il devrait rester seulement une demi-douzaine de candidats macronistes qui se maintiennent dans une triangulaire où nous sommes mieux placés face au RN », rapportait à Contexte Paul Vannier, responsable des élections chez LFI, quelques heures avant l’heure limite de dépôt des candidatures.
Mais la mécanique de désistement n’est pas toujours en leur faveur. Dans 11 circonscriptions, des candidats de droite se sont maintenus en troisième position alors même que la gauche et le RN étaient mieux placés. Parfois, le maintien d’un candidat macroniste en troisième position facilite la victoire d’un Insoumis en évitant un report de voix vers son adversaire. C’est le cas du maintien de Loïc Signor face à Louis Boyard, dans le Val-de-Marne.
Selon notre décompte, au moins 25 Insoumis sont quasi certains d’être élus au second tour. Les gains seront nombreux en Île-de-France, en plus des 19 élus au premier tour. D’autres sortants sont toutefois en difficulté. C’est le cas d’Alma Dufour, en Seine-Maritime, ou de la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Caroline Fiat. Elle a treize points de retard face à un RN à 45 %. Idem pour Catherine Couturier dans une triangulaire à 9,5 points derrière le RN. « Ce sont des circonscriptions où nous concentrons tous nos efforts », commente Paul Vannier, affirmant que des cars de militants sont partis depuis Paris pour rattraper ce retard.
Insoumis des villes, socialistes des champs
Quelle que soit l’issue de l’élection, les socialistes « vont revenir avec un groupe sensiblement agrandi », glisse un membre de la direction du PS. Ils sont la force la mieux placée face à l’extrême droite dans 83 circonscriptions (contre 86 pour LFI). Le PS comptera plus de députés issus des zones rurales, avec des gains attendus en Lozère, dans le Lot, dans les Hautes-Alpes, dans la partie rurale de la Haute-Garonne. En cas de front républicain puissant, il pourrait aussi remporter des sièges en Dordogne. Le groupe pourrait en outre récupérer des députés anti-Nupes dans l’Ariège, dans le Gers et dans les Pyrénées-Atlantiques.
Les socialistes vont reprendre pied dans d’anciennes places fortes, notamment en Loire-Atlantique, en Côte-d’Or ou en Gironde (6e, 7e, voire 5ᵉ circonscription), dans l’Hérault (3e), dans les Bouches-du-Rhône et à Paris, et récupérer des sièges détenus jusqu’ici par l’aile gauche de la Macronie. Dans le Nord, les socialistes comptent sur Roger Vicot et Julien Gokel. Il n’a pas été pas candidat du Nouveau Front populaire, mais ce socialiste siégeant dans la majorité municipale de Patrice Vergriete à Dunkerque devrait rejoindre le groupe PS au Palais-Bourbon.
Chez les partenaires de Place publique, on espère faire élire deux candidats : Aurélien Rousseau et Raphaël Pitti – le premier est en bien meilleure posture que le second. Les reports de voix s'annoncent compliqués pour Pascaline Lecorché, secrétaire générale du parti de Raphaël Glucksmann dans les Bouches-du-Rhône. En cas d’élection, les heureux élus devraient siéger « dans un groupe socialiste élargi », selon un cadre de Place publique.
Le groupe Écologiste compte s’élargir
Les 22 députés du groupe Écologiste « sont a priori sécurisés », estime Marie-Charlotte Garin, réélue au premier tour dans le Rhône, comme trois autres de ses camarades. Selon nos calculs, en effet, sept sortants estampillés Les Écologistes devraient l’emporter aisément. À ceci s’ajoutent au moins cinq gains très probables, dans la deuxième circonscription du Rhône, en Essonne (3ᵉ et 9ᵉ circonscriptions), ainsi que dans la troisième de Seine-et-Marne.
À Paris, il manque quatre points à Léa Balage pour l’emporter face au macroniste Stanislas Guerini, qui avait réalisé une forte remontée dans l’entre-deux-tours en 2022. Malgré un désistement en sa faveur, ce devrait être très difficile à l’ex-député européen Benoît Biteau de battre le RN en Charente-Maritime. Le retrait du candidat macroniste pourrait bénéficier à Catherine Hervieu en Côte-d’Or. Cela risque de ne pas suffire pour permettre à deux écologistes de l’emporter à Marseille (3ᵉ et 6ᵉ des Bouches-du-Rhône).
Leurs alliés de Génération.s, présents au sein du groupe à l’Assemblée nationale devraient se renforcer. Les sortants Benjamin Lucas, Sébastien Peytavie, Karim Ben Cheikh sont en bonne posture avant le 7 juillet. Sophie Taillé-Polian, elle, s’est imposée dès le premier tour. Profitant eux aussi de désistements de la Macronie, Tristan Lahais et Emmanuel Duplessy, en ballottage favorable en Ille-et-Vilaine et dans le Loiret, ont des chances d’être élus.
Au lendemain du second tour, le groupe Écologiste pourrait chercher à s’élargir. Une dirigeante de Génération.s plaide « à titre personnel » pour des discussions avec les amis de François Ruffin.
Le groupe communiste en péril
Après les défaites de Fabien Roussel (Nord), de Jean-Marc Tellier (Pas-de-Calais) et de Tematai Le Gayic (Polynésie) au premier tour, le groupe communiste est en mauvaise posture. Pierre Dharréville, dont le nom circulait pour prendre la succession d’André Chassaigne, devra réaliser un exploit pour renverser la tendance dans les Bouches-du-Rhône. Même chose pour deux autres figures de l’Assemblée : Nicolas Sansu (Cher) et Sébastien Jumel (Seine-Maritime). « Les élus communistes sont implantés dans des territoires très populaires, donc c’est plus difficile pour eux », analyse une socialiste du Nord, qui note avec tristesse la disparition des communistes dans son département comme dans le Pas-de-Calais.
Reste l’Auvergne (Yannick Monnet, André Chassaigne) et l’ex-banlieue rouge. Stéphane Peu et Elsa Faucillon ont été largement réélus au premier tour. Ils pourraient être rejoints par l’ex-socialiste Emmanuel Maurel, investi par les communistes dans le Val-d’Oise et par Soumya Bourouaha (Seine-Saint-Denis). Le groupe pourra encore s’appuyer sur les élus ultramarins. À La Réunion, Alexis Chausselet, ancien collaborateur de Karine Lebon, pourrait l’emporter mais ce candidat « divers gauche » pourrait aussi siéger au groupe des Insoumis. À moins que les frondeurs LFI, à l’instar de Clémentine Autain, qui s’est rattachée financièrement au PCF, rejoignent les communistes les plus unitaires comme Elsa Faucillon au sein du groupe.
Des percées inédites pour le RN
Avec 443 présences au second tour contre 110 en 2022, le RN et ses alliés sont les seuls à encore pouvoir espérer une majorité absolue. Le RN est en tête dans 22 triangulaires ou quadrangulaires. Autre avantage : il aura bien plus de duels face à la gauche (139 circonscriptions) que face à des candidats du bloc centriste (120), qui, en théorie, bénéficie de meilleurs reports de voix. Preuve supplémentaire de la droitisation du pays, il y aura aussi lors de ce scrutin 45 duels RN-LR.
Symbole de sa percée, le RN performe dans de nouvelles régions (lire notre brève). En Île-de-France, le Rassemblement national et ses alliés sont qualifiés au second tour dans la quasi-intégralité des circonscriptions de la grande couronne, avec une percée spectaculaire en Seine-et-Marne. Ses candidats y sont présents dans dix circonscriptions sur onze, contre quatre en 2022 – ils sont en tête dans sept d’entre elles, contre deux la fois précédente.
Les désistements et les reports de voix, parfois, ne suffiront pas. La progression du RN en nombre de voix élève encore le niveau de la marche à gravir pour les battre. Dans la circonscription du député sortant Jean-Marc Zulesi (Renaissance), le candidat RN est passé de 12 004 à 30 987 voix entre juin 2022 et juin 2024. Le président de la commission Développement durable avait pourtant bien progressé, passant de 13 166 à 18 563 voix. Mais avec la hausse de participation, cette performance se traduit par une baisse en pourcentage, passant 27,78 % à 26,73 % entre 2022 et 2024. Pour espérer s’imposer, il faudrait récupérer 100 % des 13 938 suffrages qui se sont portés sur le candidat Insoumis au premier tour et qui s'est retiré… Impossible.
Précision : les données de cet article ont été mises à jour le 4 juillet en prenant en compte les listes de candidatures officielles publiées par le ministère de l'Intérieur.