Quel bilan faites-vous de l’action de la Haute Autorité durant votre mandat ?
Lorsque je suis arrivé à la tête de l’institution, j’ai été extrêmement impressionné par son expertise juridique et technique. Mais l’institution était repliée sur elle-même, peu mise en avant auprès des acteurs de l’écosystème. Je me suis donc attaché à mieux la valoriser en la repositionnant.
Cela a consisté à l’ouvrir et lui rendre sa légitimité auprès des pouvoirs publics, mais aussi des ayants droit avec lesquels il a fallu restaurer une relation de confiance. Tout en continuant à remplir sa mission légale de mise en œuvre de la procédure de réponse graduée, la Hadopi a cherché à proposer aux acteurs de l’exécutif et du législatif une réflexion et des pistes concrètes pour faire face aux nouveaux modes de piratage. Nous avons également essayé d’avoir une voix qui puisse être écoutée au niveau européen et international, pour promouvoir un certain modèle de régulation du numérique.
Votre collaboration avec d’autres autorités indépendantes s’est largement renforcée. Quelles leçons en tirez-vous ?
Nous sommes une autorité de régulation sectorielle, qui comporte un esprit que je qualifierais de « start-up ». Mais nous avons aussi l’ADN d’une institution publique, qui consiste à servir l’intérêt général et est commun à toutes les instances de régulation. J’ai donc souhaité ouvrir tous azimuts la Hadopi à des collaborations. Cela s’est traduit par plusieurs initiatives, et notamment des études sur les enceintes connectées et la consommation des contenus sportifs avec le CSA, une campagne de communication avec le CNC, le lancement d’un « kit du citoyen numérique » avec le défenseur des droits, la Cnil et le CSA.
Avec le CSA, ce partenariat a été très serré, puisque depuis un an, nous sommes dans une dynamique de marche vers la fusion. Nous avons mis en place une mission de préfiguration, gérée par un comité de pilotage. D’une manière plus concrète, nous menons des actions qui permettent aux équipes de travailler ensemble sur des sujets, afin de se comprendre, de se connaître et de se projeter. Aujourd’hui, par exemple, nous avons un système d’information budgétaire et comptable commun et nous recrutons des agents d’une manière commune.
Le projet de loi audiovisuel prévoyait la fusion du CSA et de la Hadopi au sein de l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. En mars 2020, l’examen du texte a été reporté sine die à cause de la crise sanitaire.
Nous sommes vraiment avancés et nous espérons un point d’arrivée proche. Nous avons l’espoir, comme l’évoque la ministre, d’une adoption au premier semestre de 2021 d’un projet de loi centré sur les dispositions antipiratage et la fusion.
Prévue par le projet de loi audiovisuel, cette fusion a été suspendue à cause de la crise sanitaire. Quelles sont les conséquences pour la Hadopi ?
Notre souhait est qu’elle puisse être reprogrammée aussi vite que possible. Sur le plan de l’intérêt général, il serait dommage de passer à côté d’une politique de lutte contre le piratage renouvelée. La puissance de frappe sera bien plus importante dans un cadre fusionné.
Quant aux agents, ils se retrouvent dans une situation où ils ne savent pas, dans une échéance de six mois ou d’un an, s’ils seront toujours à la Hadopi ou s’ils auront des missions nouvelles dans un cadre nouveau. En termes de gestion et de mobilisation des équipes, cela rend l’exercice difficile. Je quitte l’institution avec ce regret.
Comment s’assurer que les compétences de la Hadopi seront préservées au sein du nouveau régulateur ?
Quand notre collège a été saisi du projet de loi par le gouvernement, il a adhéré à la perspective de cette fusion, tout en rappelant que celle-ci devait être le gage d’une efficacité renouvelée de la lutte contre le piratage. Nous avons été très attentifs à ce que la défense du droit d’auteur figure dans les priorités des missions attribuées à l’Arcom. Nous avons aussi veillé à ce que l’ensemble des équipes puissent y trouver pas seulement un maintien de leur contrat de travail, mais la valorisation de leurs compétences et leur expertise. Enfin, et c’est le sens de la mission de préfiguration, cette alliance doit permettre à chacune des deux institutions de pouvoir transmettre à l’autre le meilleur de ce qu’elle a pu développer.
La Hadopi a été très proactive sur les questions européennes…
Nous avons suivi de très près les négociations sur la directive droit d’auteur, et plus particulièrement sur l’article 17. Dans le cadre de sa mise en œuvre, nous nous sommes tout de suite intéressés aux outils technologiques de reconnaissance de contenus proposés par les plateformes. Comment s’assurer de leur efficacité dans le respect des droits des utilisateurs ? Nous avons produit, avec le CSPLA [Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, ndlr] et le CNC, deux rapports sur le sujet, dont l’un vient d’être publié.
Nous espérons que ces réflexions pourront éclairer la Commission européenne dans la mise au point de ses lignes directrices. Nous allons nous rendre à la représentation permanente pour présenter ces travaux aux eurodéputés et échanger avec la Commission. Nous espérons pouvoir utilement les convaincre qu’il faut en rester à une traduction rigoureuse de ce qui a été voté. Nous sommes très soucieux du maintien des équilibres qui avaient été trouvés. Sinon, nous risquons d’être dans une forme qui n’assure pas la protection du droit d’auteur.
En France, nous sommes dans la dernière ligne droite pour transposer le texte : l’ordonnance de transposition est imminente. Ce serait donc bien que nous soyons en cohérence. En tout cas, nous sommes prêts à le mettre en œuvre, comme la loi le prévoit.
La loi Dadue désigne la Hadopi comme l’instance de régulation chargée de la mise en œuvre de l’article 17 de la directive droit d’auteur. À ce titre, l’institution devra évaluer les technologies de reconnaissance de contenus. Elle est également l’instance de recours pour les utilisateurs qui estiment qu’un contenu mis en ligne a été retiré de manière abusive.
Quelle est votre approche de la régulation du numérique ?
J’ai pu constater, lors de mon mandat, une écoute plus réactive et sensibilisée aux questions de piratage de la part du gouvernement et du président de la République. Nous avons pu travailler de façon plus collaborative et nourrir l’élaboration du projet de loi avec nos propositions.
L’évolution des mentalités nous a aussi aidés. L’idéal d’un internet totalement non régulé, qui avait alimenté les polémiques autour de la création de la Hadopi en 2009, est aujourd’hui mis à mal par certains contenus circulant sur internet (contenus terroristes, pédopornographiques, haineux…), qui montrent qu’on ne peut pas laisser la régulation du monde numérique aux seules plateformes. La régulation doit être réinsérée dans un cadre démocratique et public.
Nous sommes à un moment charnière à la fois au niveau européen avec le Digital Services Act, et au niveau français, où l’on recherche les points d’équilibre sur l’articulation entre le rôle du juge et celui des autorités, sur une régulation qui doit sans doute reposer davantage sur du droit souple, et qui doit peut-être être plus transversale que sectorielle… Il faut des régulateurs experts pour faire face aux nouvelles technologies et à la puissance de ces acteurs. Nous devons développer des compétences numériques si nous voulons être dans une régulation de qualité.
L’impact de la crise sur le piratage
La Hadopi a lancé, lors du premier confinement, un baromètre des usages licites et illicites sur internet, qui a montré un accroissement de la consommation légale, mais aussi une hausse du piratage. « Un constat désolant, alors que nous observions une tendance à la baisse depuis trois ans », souligne le président de la Hadopi. Par ailleurs, l’institution a évalué le manque à gagner lié au piratage audiovisuel et dans le secteur sportif pour l’année 2019. Le résultat est constant à près d’un milliard d’euros. « Cela représente à peu près ce que le plan de relance prévoit pour le secteur », note Denis Rapone.