Le recyclage chimique ne laisse personne indifférent. Objet de lourds investissements et de débats réglementaires, il enthousiasme les uns et interroge les autres.
À l’échelle de l’Union européenne, la directive sur les plastiques à usage unique (SUP, en anglais) de 2019 est un tournant. Elle fixe, pour la première fois, des objectifs d’incorporation de contenu recyclé dans les bouteilles en plastique, imposant de facto un réemploi accru de ces matériaux.
Une opportunité que veulent saisir les industries qui développent des technologies de recyclage chimique, parmi lesquelles les géants de la pétrochimie (BASF, ExxonMobil, Eastman…), et d’autres recycleurs, comme Aquafil et Clariter.
La brèche ouverte, le recyclage chimique fait depuis son chemin dans les débats législatifs européens, de la législation secondaire de la directive SUP à son inclusion dans la première liste des investissements verts fixés par la taxonomie européenne. Avec un fil rouge : où se situe-t-il dans la hiérarchie des déchets, qui dicte la politique européenne en matière d’économie circulaire, et quel est son rôle par rapport au recyclage « conventionnel », mécanique ?
Le recyclage mécanique ne peut pas tout
Les plastiques existent sous de nombreuses formes et abréviations (PVC, PET, PP, HDPE, etc.). Séparés, ils peuvent être recyclés mécaniquement, mais la tâche se complique lorsqu’il s’agit de déchets plastiques mixtes.
L’argument des défenseurs du recyclage chimique est simple : le recyclage mécanique ne peut pas tout, son pendant chimique permet de remettre dans la boucle davantage de résines plastiques et a donc un rôle à jouer pour atteindre les objectifs fixés en matière de circularité. Et donc, in fine, pour réduire la pollution plastique.
« Le recyclage chimique permet de gérer la complexité des flux de déchets plastiques », plaide John Sewell, secrétaire général de Chemical Recycling Europe (représentant diverses solutions chimiques).
Une contribution reconnue et mise en avant par le gouvernement français :
« On a identifié un certain nombre de résines de plastiques où on plafonne dans notre capacité à recycler et à obtenir de forts taux de recyclage, expliquait le directeur général à la prévention des risques du ministère de la Transition écologique, Cédric Bourillet, le 13 décembre. On pense qu’il y a une opportunité, qui est le recyclage chimique, et qu’on va pouvoir dépasser le plafond de verre ».
L’approche retenue, « qui a convaincu l’interministérialité », consiste à « organiser la filière [de responsabilité élargie du producteur] » des emballages pour appeler à une « massification minimale » lors de la collecte des déchets plastiques, en vue de favoriser les investissements sur le recyclage chimique, a-t-il expliqué.
Le secteur fait partie des bénéficiaires du plan d’investissement France 2030 dévoilé par Emmanuel Macron le 12 octobre et dont une « première ébauche » a été intégrée au budget 2022. Le gouvernement a prévu à ce stade d’octroyer 500 millions d’euros au « recyclage innovant des plastiques ».
Le recyclage chimique s’est aussi retrouvé, indirectement, dans la loi climat et résilience. Le gouvernement s’est opposé à la volonté des députés de sa majorité d’interdire les emballages en polystyrène en faisant inscrire dans le texte que seuls les emballages « non recyclables » seront prohibés à partir de 2025. Les industriels se sont parallèlement engagés sur des objectifs de retraitement de ce polymère qui impliquent un développement des solutions chimiques.
« C’est comme pour l’énergie, c’est important d’avoir un mix de technologies », résumait Olivier Stemler, de la Direction générale des entreprises à Bercy, lors d’un événement organisé en octobre.
Complémentarité
À Bruxelles, la Commission prône la complémentarité des solutions mécanique et chimique.
« On souhaite toujours se tourner vers le recyclage mécanique, mais, parfois, ce n’est pas possible. Nous sommes donc en contact étroit avec l’industrie concernant le potentiel et l’acceptation, dans des conditions très strictes, du recyclage chimique », prévenait la cheffe de la Direction générale à l’environnement de la Commission européenne, Florika Fink-Hooijer, le 9 décembre.
Le recours au recyclage chimique serait ainsi envisagé « lorsque le recyclage mécanique n’est pas possible, mais aussi lorsqu’il existe un audit très clair sur les technologies ».
Et ces dernières sont nombreuses.
Des technologies très variées
Pyrolyse, gazéification, dépolymérisation, dissolution, traitement hydrothermal… Tous les débats sur le recyclage chimique tournent autour de ces procédés, qui sont à des stades de développement inégaux.
« Il faut les distinguer les unes des autres, car elles ont un coût environnemental différent, se comportent différemment et ciblent des plastiques différents, commente Theresa Kjell, de l’ONG ChemSec. Certaines peuvent être une bonne solution, mais il n’y a pas de “potion magique” ».
La pyrolyse, telle que pratiquée par des entreprises de pétrochimie comme BASF ou Dow, et qui consiste en la décomposition (« craquage ») des polymères par la chaleur, est la plus décriée. Elle est en effet fortement consommatrice d’énergie, produit un mélange d’hydrocarbures liquides et génère un faible volume de matière recyclée.
Ce qui n’échappe pas à la Commission. « On ne peut pas considérer que les carburants ou l’énergie créés [par un processus de traitement chimique] soient comptabilisés dans les objectifs de recyclage, c’est évident », reconnaît Florika Fink-Hooijer.
L’entreprise Clariter utilise elle aussi la pyrolyse, mais veut se distinguer de la pétrochimie.
« Nous ne produisons pas de nouveaux plastiques, nous ne produisons pas de carburants, nous fabriquons des cires, des solvants et des huiles » à partir des déchets plastiques, explique son directeur du développement commercial, Jasper Munier.
Le groupe italien Aquafil a choisi un autre chemin : la dépolymérisation. « On casse le polymère en monomères, on les purifie, et on les repolymérise à nouveau, schématise Mattia Comotto, chef de projet économie circulaire et développement durable. La beauté de cette technologie est qu’on peut l’utiliser à l’infini, sans dégrader la qualité du matériau régénéré. »
Mais aucune de ces technologies n’est opérationnelle à grande échelle, ce qui interroge sur leur maturité et le rôle qu’elles peuvent effectivement jouer dans la transition vers une économie circulaire.
« La chimie n’est jamais facile ni rapide. C’est un défi. Mais quelle est l’alternative ? réagit Daria Fraczak, chimiste et directrice scientifique de Clariter. S’il est possible de traiter les déchets avec une solution mécanique, faites-le. C’est mieux pour l’environnement. Mais ce n’est pas possible pour tous les déchets, sinon on le ferait déjà .»
Vers une révision de la hiérarchie des déchets ?
Chez Chemical Recycling Europe, John Sewell refuse de comparer ces technologies. « Ça ne fait pas sens, car elles ne visent pas les mêmes polymères ». La dépolymérisation s’attaque notamment au polyéthylène (PET), quand la pyrolyse cible les polyoléfines.
Il appelle à clarifier la définition européenne du recyclage, tout en conservant « assez de latitude » afin que chaque solution chimique y trouve sa place.
À l’inverse, l’ONG Zero Waste Europe propose une classification stricte des techniques existantes. Elle recommande d’amender la hiérarchie des déchets, établie par la directive-cadre de 2008, pour distinguer la « valorisation chimique » (à laquelle correspondent, selon elle, pyrolyse et gazéification) du recyclage chimique.
Les débats autour du rôle de ces solutions chimiques dans l’économie circulaire ne font que commencer. La révision prochaine de la directive sur les emballages, prévue pour 2022, en sera une autre étape importante, puisque la Commission prévoit d’introduire des objectifs de recyclage pour les emballages en plastique.
Mais son apogée interviendra l’année suivante, en 2023, avec la très attendue révision de la législation cadre sur les déchets, source de toutes les définitions qui façonnent l’économie circulaire.