Contexte a obtenu le rapport sur le « développement durable du commerce en ligne », élaboré par le Conseil général de l’environnement et du développement durable, France Stratégie et l’Inspection générale des finances, et le publie dans son intégralité.
En cours d’examen à l’Assemblée, le projet de loi Convention citoyenne pourrait inclure le secteur de l’e-commerce dans l’interdiction de nouvelles surfaces commerciales entraînant une artificialisation des sols, comme le réclament plusieurs députés, notamment de la majorité.
En juin 2020, Emmanuel Macron avait répondu favorablement à la proposition des membres de la Convention citoyenne pour le climat de « prendre immédiatement des mesures coercitives pour stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices d’espace ».
Couac
La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili avait alors proposé un moratoire sur les entrepôts logistiques, avant d’être contredite par Matignon. Un couac à l’origine de la saisine des corps d’inspection des ministères de la Transition écologique, des Finances et de France stratégie.
« L’adoption de ces dispositions contraignantes pour les zones commerciales en périphérie soulève plus largement la question de l’essor du e-commerce », euphémisaient alors les sept ministres (cf. ci-contre*) commanditaires.
*Économie et finances, Industrie, Logement, Numérique, PME, Transition écologique, Transports.
À lui seul, le géant américain Amazon possède déjà onze entrepôts logistiques en France et compte encore en ouvrir une dizaine.
Si l’exécutif dispose depuis de la fin février de ce rapport sur le « développement durable du commerce en ligne », il ne prévoit d’en publier que la synthèse, sans les recommandations ni les annexes, selon nos informations.
« Conditions d’acceptabilité »
Le rapport ne va pas dans le sens des 150 membres de la Convention citoyenne, mais vise bien à « garantir des conditions d’acceptabilité des entrepôts, recherchées par les commanditaires ».
Ses rédacteurs jugent que la proposition de moratoire sur l’installation des grands entrepôts du commerce en ligne « traduit une réaction de rejet devant le cumul d’effets jugés négatifs de certains modes de commerce en ligne dominants et de la logistique qui les accompagne ».
Les hauts fonctionnaires pointent l’absence d’une réflexion d’ensemble sur le commerce en ligne en France :
« Le développement durable du commerce en ligne nécessite la définition d’une stratégie globale des pouvoirs publics. »
Prépondérance d’Amazon
Or la crise sanitaire a dopé l’essor du secteur. Le chiffre d’affaires du seul commerce en ligne de biens est passé de 46 milliards d’euros en 2019 à 63 milliards d’euros en 2020. Sa part dans le commerce de détail des biens est de 13 %, en hausse de 37 % en 2020.
Le secteur compte 200 000 sites, dont seul 1 % réalise 75 % du chiffre d’affaires. À lui seul, Amazon détient 20 % de part de marché, ce qui en fait le premier acteur en France, avec un chiffre d’affaires de 5,7 milliards d’euros en 2019. Très loin devant Cdiscount (8,1 %), Veepee (3,4 %), la Fnac (2,1 %) ou Darty (2 %).
Impacts négatifs
En listant les défis à relever par le secteur – « réduire le bilan carbone du commerce en ligne, préserver une certaine diversité commerciale, maintenir la vitalité des centres-villes, contribuer au dynamisme économique et à l’emploi » –, la mission pointe en creux autant d’impacts négatifs.
Du côté du climat, l’effet négatif du e-commerce repose « sur les étapes finales d’entreposage et de distribution au consommateur ». La mission « appelle à la prudence quant aux bilans très positifs présentés par les acteurs » de la filière. Elle recommande de « privilégier les flottes décarbonées et [d’]optimiser les flux » pour la livraison du dernier kilomètre.
Un point d’autant plus prégnant que « les livraisons se font très majoritairement à domicile » (déjà 85 % avant la crise sanitaire) et que « la fréquence d’achat en ligne augmente », avec un triplement des commandes mensuelles en neuf ans.
Faible artificialisation, à relativiser
Les auteurs du rapport se penchent sur la question de l’artificialisation des sols.
« L’augmentation du nombre d’entrepôts liée au commerce en ligne contribuerait à hauteur de moins de 1 % de la consommation annuelle d’espaces naturels, agricoles et forestiers. »
L’imperméabilisation des sols liée au e-commerce est évaluée entre 80 et 90 hectares par an de 2000 à 2019, à comparer aux 20 000 hectares artificialisés chaque année en France.
Mais l’impact local peut toutefois être « significatif, notamment lorsque des entrepôts de très grande taille sont construits ». D’autant que « le flux de construction lui-même s’accélère ». En cinq ans, la quantité de surfaces d’entrepôts construites a quasi doublé, à 2,4 millions de mètres carrés en 2019, selon les chiffres du lobby de l’immobilier logistique (Afilog) cités dans le rapport. Et « la part des entrepôts dans les bâtiments à vocation économique a triplé entre 2000 et 2019, passant de 5 à 15 % ».
« Signaux de rupture préoccupants » pour l’emploi
Quant à l’emploi, le commerce en ligne a un « impact négatif » sur le commerce de détail et « positif » sur la logistique. De 3 % par an entre 1994 et 2002, la croissance du nombre de salariés du commerce de détail « n’a plus été que de 1 % entre 2002 et 2019 ».
« La moindre intensité en emploi du commerce en ligne par rapport au commerce physique a sans doute contribué à ce recul. En effet, plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée. »
Les auteurs du rapport notent de « préoccupants » « signaux de rupture ». Les pure players « adossés à des groupes multi-activités bénéficiaires, comme Amazon avec ses activités de cloud, peuvent perdre de l’argent sur la vente de détail » et mettre « leurs concurrents en difficulté ».
Ceux-ci pourraient alors, pour « reconstituer leurs marges », accélérer « l’automatisation de leurs entrepôts et de leurs magasins avec des effets potentiellement importants sur l’emploi ».
Quinze recommandations
La mission formule quinze recommandations (p. 47), parmi lesquelles « une réforme d’ensemble de la fiscalité du commerce […] au plus vite, pour améliorer la position relative du commerce physique face au commerce en ligne », en misant notamment sur la présidence française de l’UE durant le premier semestre 2022.
Elle recommande aussi d’« intégrer la logistique dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) » et, dans l’attente de leur révision, de « programmer une installation concertée des entrepôts ».
Ces deux propositions pourraient être reprises par amendement, avec d’autres, selon nos informations : garantir la conformité des produits mis sur le marché par les plateformes numériques à la réglementation sur les produits chimiques ; afficher le bilan carbone de la livraison des produits pour inciter le consommateur à moduler son délai de livraison ; délivrer la licence de transporteur à condition de respecter le calendrier de verdissement imposé par la loi sur les mobilités (art. 77) aux entreprises disposant d’un parc de plus de 100 véhicules utilitaires.