Pas de subventions publiques ni d’agrément de l’État sans la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». C’est le nouveau deal entre le gouvernement et les associations. Le principe a été inscrit dans la loi séparatisme du 24 août 2021, et son application précisée par un décret publié le 1ᵉʳ janvier.
Désormais, les 300 000 associations concernées (voir l’étude d’impact) devront s’engager officiellement et publiquement à « respecter les lois de la République ». Entre autres, elles ne doivent ni « entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ».
Le Mouvement associatif s’est mobilisé face aux risques que fait peser, selon lui, ce dispositif sur la « liberté d’action associative, y compris dans sa dimension d’alerte, d’interpellation et de contestation ».
Tout dépendra de la « sagesse » des ONG
Parmi les associations les plus remontées, plusieurs veillent à la protection de l’environnement, comme Greenpeace, Les Amis de la Terre et France Nature Environnement (FNE). Leurs modes d’action incluant la désobéissance civile, la participation à des zones à défendre (ZAD) ou l’intrusion dans des zones sécurisées, elles sont particulièrement exposées à des risques de sanctions au vu du décret, estiment-elles.
Et ce, d’autant qu’elles ressentent une « défiance » du gouvernement à leur encontre. « On remarque un contrôle social qui se renforce de manière indéniable depuis deux ans, avec un vrai climat de suspicion », souligne Clara Gonzales, juriste chez Greenpeace. En témoignent les nombreuses passes d’armes entre cette dernière ONG et le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari.
Malgré plusieurs modifications, le contrat d’engagement républicain confie « à l’administration un pouvoir d’interprétation et de sanction très large », analyse Jérôme de Graefe, juriste chez FNE, qui renvoie à l’avis du Haut Conseil à la vie associative.
D’autant qu’une disposition « surprise » introduite par le décret stipule que le contrat engage non seulement l’organisation et ses dirigeants, mais aussi ses salariés, ses membres et ses bénévoles.
« Imaginez la responsabilité qui pèse sur une association comme FNE, qui compte 3 500 associations membres représentant 895 000 personnes ! », souligne Bénédicte Hermelin, la directrice générale de FNE.
Un risque d’« autocensure »
Pour le gouvernement, pas d’inquiétude à avoir si les associations sont « sages » – une expression employée par le ministre de l’Intérieur*. « Militer, manifester, mener des actions de conviction, c’est oui, mais enfreindre la loi, c’est non ! », résumait la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, lors de l’examen du projet de loi en février 2021.
*« Sages par rapport à la République ! », avait précisé Gérald Darmanin à l’Assemblée, le 5 février 2021.
Mais les associations s’interrogent : quid des comportements individuels lors des manifestations ou des posts incontrôlables sur les réseaux sociaux ? Au ministère de l’Intérieur, on précise à Contexte : si une action est illégale ou dérape sans désolidarisation de l’association organisatrice, les sanctions pourront tomber, avec une analyse au cas par cas.
« Il faudra redoubler de vigilance sur les impacts de nos actions, avec un risque d’autocensure », en conclut Jérôme Graefe.
Des sanctions qui pèsent sur les moyens d’action
Ces menaces de sanctions suscitent l’inquiétude d’une diminution du poids des associations dans la vie démocratique. 61 % d’entre elles comptent sur des subventions publiques, déjà en baisse, pour assurer leurs missions. Celles-ci représentent, par exemple, 60 % des ressources annuelles de FNE. Et seulement 15 % pour Les Amis de la Terre, mais leur suppression « mettrait l’association en difficulté », précise son coordinateur général, Frédéric Amiel.
Les ONG craignent aussi la perte de l’agrément national qui les autorise à participer aux instances consultatives sur les politiques environnementales – au Conseil national de la transition écologique, notamment. Une cinquantaine d’associations environnementales sont actuellement agréées, et représentées dans plus de 10 000 commissions nationales ou locales.
Cet agrément leur permet également de porter plus facilement des actions en justice. Or les actions judiciaires sont de « plus en plus le terrain des batailles environnementales », souligne Frédéric Amiel. FNE l’utilise depuis longtemps avec quelque 200 recours chaque année, flirtant avec les 90 % de succès (en 2019). Mais Les Amis de la Terre, Notre Affaire à tous ou Greenpeace engagent elles aussi désormais régulièrement des procédures contre l’État ou des multinationales pour les contraindre à appliquer les lois environnementales.
« La perte de notre agrément pèserait sur ce que l’on considère aujourd’hui comme un gros levier d’action, mais aussi sur notre crédibilité », souligne Laura Monnier, juriste de Greenpeace.
Pour dénoncer le dispositif, des ONG environnementales préparent avec d’autres associations des recours devant le Conseil d’État et la Commission européenne, et évoquent également une action qui leur sera spécifique. « Il y a deux poids, deux mesures, car les syndicats comme la FNSEA ne sont pas concernés par le contrat », s’indigne Bénédicte Hermelin. Pour certaines associations, telle Les Amis de la Terre, qui doit renouveler son agrément cette année, la question de la signature même du contrat va se poser. Un bras de fer avec l’exécutif n’est pas à exclure.