"Une proposition de la Commission européenne n'est pas la loi, mais est là pour être discutée et améliorée, j'espère."
Klaus-Dieter Borchardt, directeur du marché intérieur de l'énergie de la Commission européenne, a voulu se montrer à l'écoute devant un parterre de représentants français du secteur, réunis le 28 mars chez le régulateur de l'énergie, lors d'une "rencontre-débat" inédite. Il s'agissait, pour le haut fonctionnaire et son équipe, de leur deuxième rendez-vous de la journée, après avoir rencontré l'Uniden et avant un rendez-vous avec la DGEC.
Déplafonner les prix, "un réel danger"
La suppression du plafonnement des prix sur le marché de gros "est la seule chose qui m'a fait peur dans la présentation de ce paquet", a affirmé le président de la CRE, Jean-François Carenco, pour qui la Commission pourrait "être accusée par ceux qui ne croient pas à l'Europe de favoriser les prix à 9 000 €/MWh".
"Et comme vous êtes honnête, M. Borchardt, vous ne direz pas “non”, vous direz “oui, mais”. Et là, c'est ravageur !"
Le haut fonctionnaire s'est dit "conscient" de ce risque politique et d'un argument qui pourrait être utilisé non seulement par les eurosceptiques/phobes, mais aussi par "tous les politiciens de chaque État" éventuellement attaqués sur ce point dans la presse.
La suppression du plafonnement des prix "est un réel danger" politique, même s'ils ne "sont pas répercutés directement sur la facture du consommateur". Un haut niveau de prix donnera "une incitation à produire plus, et le marché va s'équilibrer", a-t-il réagi.
D'autant que, faute de pouvoir garantir d'avoir "assez d'heures avec des prix suffisamment élevées pour que les investissements puissent s'amortir", la Commission européenne a accepté les mécanismes de capacité, "après une longue discussion interne".
"On ne joue pas avec les black-out ou la sécurité d'approvisionnement."
De la rente de congestion
Le haut fonctionnaire s'est dit ouvert à la discussion sur les usages possibles des recettes résultant de l’allocation de capacités d'interconnexion. Le projet de refonte du règlement sur le marché intérieur de l'électricité prévoit (art. 17) qu'elles soient utilisées exclusivement pour de nouvelles capacités d'interconnexion, quand le texte actuel pose qu'elles peuvent être utilisées pour réduire le tarif de transport.
"Ne risque-t-on pas de glisser vers du surinvestissement et de construire de nouvelles interconnexions dont le coût sera porté par le consommateur et la valeur sera moindre pour la collectivité ?", s'est interrogée Domitille Bonnefoi, directrice adjointe des réseaux de la CRE.
"Un grand nombre d'États membres ont utilisé cette rente exclusivement pour réduire les tarifs, mais pas pour les réseaux", a répondu Klaus-Dieter Borchardt.
Avant "d'admettre qu'il faut peut-être avoir un peu de souplesse ici, car on ne peut pas passer à un surinvestissement dans les réseaux pour les États membres bons élèves en termes d'interconnexion".
Le projet de la Commission est "peut-être maximaliste". "Il est idiot d'investir pour dépenser. Devons-nous définir un usage alternatif de cet argent ? Spontanément, je dirais non. Il faut peut-être laisser cela au régulateur."
Transitions professionnelles
Là encore "consciente" du risque de "facture sociale très très élevée" liée à la future fermeture de mines ou de centrales à charbon, la Commission prépare "un papier de concept" pour "créer en juin une plateforme où seront invitées toutes les régions concernées pour disposer d'un cadre de discussions" liées aux transitions professionnelles, a annoncé Klaus-Dieter Borchardt.
Seront créés des groupes de travail sur les technologies. "Pour nous, il n'est pas absolument nécessaire de tout fermer." Avec le captage et stockage du carbone, "on peut continuer à utiliser le charbon, pas nécessairement pour la production électrique, mais chimique, de minéraux, de fioul…"
Le haut fonctionnaire a plaidé pour "un fonds central" en lieu et place des "sept ou huit fonds actuels qui peuvent actuellement intervenir pour aider les régions", de manière "compliquée".
La perspective d'un "fonds pour la transition" liée aux objectifs de décarbonation est déjà sur le métier "avec les Polonais, les Tchèques et les Allemands".
Marché européen du carbone
Interrogé par Luc Poyer, président d'Uniper France, sur l'opportunité de prix nationaux du carbone en plus du marché européen du carbone, le haut fonctionnaire a soutenu du bout des lèvres, suscitant les rires de l'assistance, la réforme en cours de l'ETS. Verbatim :
"La Commission… qu'est-ce que je peux dire… la Commission doit croire à sa proposition d'amélioration de l'ETS. Donc, en bon fonctionnaire, je pense ça. On croit que, une fois adopté, le nouveau système ETS va fonctionner. Voilà. On ne va pas se lancer maintenant dans des alternatives, car cela désavouera complètement notre proposition."
Surréglementation énergétique
Arrivé "depuis quatre ans" dans le secteur de l'énergie après avoir officié à la DG agriculture de la Commission, Klaus-Dieter Borchardt s'est dit "étonné de voir comme on règle tout en détail".
"Dans l'agriculture, il y a de la surréglementation, c'est vrai, mais ce n'est rien par rapport aux codes de réseau."
Il réagissait aux critiques de l'assistance de la volonté de surencadrer le secteur avec le paquet d'hiver.
"J'ai été étonné de voir que l'on donne la plume à ceux qui appliquent" la réglementation. "C'est normal qu'ils règlent tout en détail. Il faut une réglementation robuste."