Comment qualifier la crise que nous vivons ?
Pour la plupart des gens, il s’agit d’une crise sanitaire. Or, nous avons là un cas exemplaire de crise environnementale. Cette autolimitation illustre de façon brutale, violente et très coûteuse la destruction des écosystèmes en cours.
Le virus a pour origine une espèce de chauve-souris particulière, dont l’habitat a été détruit, et qui s’est rapprochée des habitats humains.
Un écosystème riche s’équilibre. Plus vous détruirez d’espèces, moins il y aura de refuges possibles pour les pathogènes, alors contraints de circuler. Parmi les maladies infectieuses, 60 % sont des zoonoses. Beaucoup remontent au Néolithique et à l’émergence de l’élevage. Désormais, pour les maladies émergentes, 75 % sont d’origine animale.
L’humanité se comporte avec la biodiversité un peu comme avec une voiture avec laquelle on continuerait de rouler tout en supprimant de plus en plus de boulons. Il en va d’ailleurs de même avec le climat.
Quel lien faites-vous entre la pandémie et le climat ?
Un lien de dissymétrie. Nous ne pouvons pas modéliser la biodiversité. Lorsqu’un écosystème s’effondre, cela ne se comprend qu’a posteriori. Et quelques brins d’ARN suffisent alors à bloquer l’économie mondiale. Alors que nous pouvons modéliser le climat, son réchauffement, ses effets, et tâcher de nous adapter à l’avance.
Il s’agit de deux formes de perturbation qui vont extrêmement secouer nos sociétés. L’une imprévisible, et face à laquelle nous réagissons comme si elle n’avait rien à voir avec son origine. L’autre prévisible, et dont nous ne tenons pas compte.
Cette crise confirme notre entrée dans l'Anthropocène, cette époque où il va être de plus en plus difficile de vivre sur Terre, avec des vagues de chaleur qui vont peser sur la production alimentaire et favoriser l’apparition de nouvelles maladies. Le réchauffement est déjà de 1,1 °C. Il va vers + 2 °C en 2040, nous l’avons déjà quasiment décidé.
Cette crise peut-elle causer un déclic ?
Malheureusement non. Il y a un désir de changement très important auquel les élites répondent par le mensonge et l’autisme.
Le Parlement français a voté la semaine dernière, sans aucune contrepartie, une aide aux entreprises en difficulté, dont le secteur aérien. C’est 3 % de nos émissions aujourd’hui, mais 10 % dans deux décennies, si la croissance actuelle se poursuit.
C’est une dénégation de la réalité. Nous sommes dans un système mental néolibéral totalement forcené, où les dimensions commerciale et financière sont les deux seules dimensions du réel prises en compte.
Le patronat suisse a publié une note qui illustre très bien cette mentalité. Il y écrit qu’« il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle ».
Au moment où est adressé un immense avertissement, nous en rajoutons : réduction des distances de sécurité minimales entre les habitations et les pulvérisations de pesticides, antérieurement projet de loi Asap, sur l’accélération des procédures…
Nous parlons sans cesse de transition, de développement durable, mais sommes dans un mensonge systémique.
Certains pensent que l’autoritarisme est le meilleur moyen de réduire les émissions. Cette crise ne leur donne-t-elle pas raison ?
Vu le degré de destructivité que nous avons atteint, il va falloir un effort de l'ensemble de la collectivité et une autocontrainte très forte…
Ma première remarque est que, vivant en Suisse, je constate qu’il n’y a pas ici de système policier. Le confinement n’est pas obligatoire, c’est une incitation. Alors qu’il est très policier en France, où il faut une attestation pour sortir, où des drones surveillent… Le pays n’aurait pas réagi comme cela il y a quinze ans, par exemple du temps de Jacques Chirac. L’importance et la visibilité de la police deviennent inquiétantes.
Quant à l’autoritarisme, cela ne marche qu’un temps. C’est le moyen de protéger les plus riches pour qu'ils continuent à consommer au détriment de la plus grande masse.
Prenez le climat. Selon Oxfam, les 10 % les plus riches de la planète émettent 50 % des émissions de gaz à effet de serre. Donc contraindre les 50 % les plus pauvres n’aurait aucun effet climatique. Il n’y a pas de dictature écologique. L’écologie est un pari sur l’autocontrainte.
Au passage, il est intéressant de constater que le mouvement des Gilets jaunes, même s’il était très hétérogène, ne refusait pas la hausse de 3 centimes du litre de carburant pour la refuser, mais parce qu’elle obérait le pouvoir d’achat des plus pauvres et épargnait les plus riches.
Que répondez-vous à ceux qui répondent « emploi » face à l’urgence environnementale ?
Toute notre société est structurée pour détruire ses conditions de vie. Donc changer cela ne se fera pas sans dégâts. La casse doit avoir donc lieu avec un filet, pour que les gens puissent évoluer.
Je signale qu’avec un réchauffement de 2 °C, la probabilité d’avoir en zone intertropicale des journées très chaudes avec une humidité telle que le corps humain ne peut plus évacuer sa chaleur interne au point d’en mourir en moins de 10 minutes, est bien réelle.
Laisser filer le trafic aérien et les autres consommations, et parvenir ainsi à un réchauffement de 3,5 à 4 °C, c’est l’assurance de semaines à chaleur humide mortelle, et au-delà de la zone intertropicale.
Accepter cela au nom du chômage est criminel. Imaginez des étés à Paris avec une température continue de plus de 40 °C. Croyez-vous pouvoir continuer à consommer normalement ?
Ce qu’il faut, c’est l’équivalent d’une économie de guerre. Sauf qu’on change l’appareil de production moins rapidement, en dix ans et plus, et sans guerre. Avec un « jubilé des dettes publiques », pour les remettre à zéro. Emmanuel Macron a proposé que les pays africains voient leur dette annulée, au moins pour cette année. Il faut le saluer.
Penser que des pays comme la France ou l’Italie, endettés à plus de 100 %, vont rembourser leur propre dette n’a aucun sens. La façon la plus simple est de lancer la machine inflationniste.
Sans cela, en cas de nouvelle attaque virale de ce type dans cinq ans, qui porterait atteinte de la même manière à la pyramide des âges en touchant d’abord les plus âgés, on ne fera pas deux fois le confinement, parce qu’on ne le pourra pas.