Plus de deux mois après la parution de son imposante étude prospective « Transitions 2050 », l’Ademe n’a toujours pas officialisé son dernier chapitre, celui consacré à l’électricité. Dès le mois d’octobre, Contexte en révélait les hypothèses de travail, indiquant que sa diffusion était reportée « sine die ». L’Agence de la transition écologique a ensuite annoncé sa parution en janvier et puis plus rien…
Le 11 février dernier, Mediapart a révélé les grandes lignes d’une version de travail très aboutie, que Contexte publie dans son intégralité. Selon nos confrères, le gouvernement aurait reporté sa parution pour ne pas contredire la communication présidentielle sur la relance du nucléaire, intervenue la veille à Belfort (relire notre article).
« C’est plus une nécessité d’approfondir l’exercice », rétorque une source à Contexte, « comme le fait RTE sur ses variantes ».
Les scénarios de RTE. Le gestionnaire de réseau a détaillé en octobre une trajectoire de référence pour atteindre la neutralité carbone du système électrique en 2050 (relire notre article). L’examen détaillé d’options de consommation alternatives, allant de la « sobriété » (555 TWh) à une « réindustrialisation profonde » (752 TWh), est toujours en cours.
L’exécutif gêné aux entournures
Dans tous les cas, la « fuite » de cette version de travail ne fait pas les affaires du président démissionnaire de l’Ademe, Arnaud Leroy, qui a laissé éclater sa colère sur Twitter le 12 février. Le gouvernement n’est pas très à l’aise non plus, alors qu’Emmanuel Macron table sur une hausse de 60 % de la consommation d’électricité en 2050 et sur le recours massif au nouveau nucléaire pour y répondre. « Des éléments d’analyse complémentaires sont en cours de finalisation entre l’agence et les services du ministère », a indiqué le cabinet de Barbara Pompili à Contexte.
Ce document de travail de 44 pages est la déclinaison électrique des quatre scénarios transversaux présentés en novembre (relire notre briefing) : du plus frugal (S1) à la consommation de masse (S4), en passant par le développement d’une économie du partage (S2) et d’un « consumérisme vert » (S3).
L’Ademe en tire plusieurs « messages clés », des enseignements qu’elle a pris soin de comparer aux travaux de RTE sur les futurs électriques. « Les travaux se situent dans un cadre différent », reconnaissent les auteurs, mais « on peut établir des rapprochements assez directs entre certaines modélisations de RTE et celles de l’Ademe », soulignent-ils.
Un développement nécessaire et massif des renouvelables
Premier message clé délivré par l’Ademe : les énergies renouvelables représenteront plus de 70 % de la production d’électricité en 2050 et ce, dans tous les scénarios. Elles atteignent même 97 % du mix dans le scénario S1 de frugalité, contre 72 % dans le scénario S4 de « pari réparateur ».
« Ce message sur le développement nécessaire et massif des ENR est cohérent avec les scénarios de RTE, à l’exception de ceux qui développent massivement le nouveau nucléaire (N2 et N3, avec respectivement 63 % et 50 % d’ENR) », précise l’Ademe.
La frugalité fait faire des économies
Côté financier, les scénarios les plus sobres sont aussi les moins chers, selon l’agence. La meilleure performance économique revient ainsi au scénario S2 (proche de la variante sobriété de RTE), évalué à 1 026 milliards d’euros sur la période 2020 – 2060. Rapporté au coût par mégawattheure consommé, cela représenterait une baisse de 12 % par rapport à 2020.
« Avec un niveau de consommation d’électricité de l’ordre de 520 TWh (légèrement supérieur à la consommation actuelle), S2 peut reposer sur un approvisionnement renouvelable à 85 %, basé essentiellement sur les technologies et les gisements les plus compétitifs, alors que S3, à 650 TWh, doit faire appel à de l’éolien en mer flottant ou du nucléaire EPR », écrivent les auteurs.
L’Ademe précise ici que « les travaux publiés par RTE jusqu’à présent ne permettent pas de qualifier ce message, RTE n’ayant détaillé que les coûts des mix correspondant au niveau de demande de référence ».
Éolien offshore ou nouveau nucléaire : un choix politique plutôt qu’économique
Dans son scénario S3, qui présente un niveau de demande proche du scénario de référence de RTE, l’Ademe a fait le choix d’analyser d’un côté le développement conséquent de l’éolien en mer (scénario S3EnR) et de l’autre le lancement d’un nouveau programme nucléaire (scénario S3Nuc).
Alors que le président de la République a opté pour la deuxième option, l’agence soutient qu’« un déploiement massif d’éolien offshore flottant (28 GW) est une alternative économique crédible à de nouvelles centrales nucléaires EPR (10 GW) pour le système électrique, à un coût (environ 1 260 Md EUR sur la trajectoire 2020 – 2060) et bénéfice CO₂ très proches ».
Elle précise que « ce message est cohérent avec ceux de RTE traitant de la comparaison entre les scénarios M23 et N1, les coûts pris en compte par l’Ademe correspondant à la variante RTE de coûts de financement plus importants pour le nucléaire de nouvelle génération que pour les autres technologies ».