1. Les « décrets d’application » de l’accord de Paris ont bien été adoptés
Ça n’a l’air de rien, mais c’est toujours utile à rappeler : toutes les règles de mise en œuvre de l’accord de Paris ont été négociées, adoptées et ingérées en droit onusien.
La conclusion en grande pompe de l’accord de Paris le 12 décembre 2015, puis sa ratification express par la communauté internationale pour anticiper la première élection de Donald Trump n’ont été que les premières étapes d’un long processus qui a abouti à la COP29 de Bakou (Azerbaïdjan) en 2024.
Cette dernière a permis de conclure les négociations sur les crédits carbone internationaux, sans cesse reportées, et d’acter la promesse d’un financement public des pays en développement pour un montant de 300 milliards de dollars donnés par les pays développés d’ici à 2035, avec « au moins 1 300 milliard de dollars par an de sources publiques et privées » à la même date.
La « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » (pour ne pas avoir à écrire « sortie » et déplaire aux États pétro-gaziers) fut, elle, arrachée à la COP28 de Dubaï (Émirats arabes unis, 2023). La COP27 de Charm-el-Cheikh (Égypte, 2022) a permis de créer le fonds « pertes et préjudices », demande de longue date des pays du Sud pour les aider à financer les dégâts causés par le réchauffement. Et la COP24 de Katowice (Pologne, 2018) s’est conclue par l’adoption du « guide d’application » de l’accord de Paris.
Il aura donc fallu presque dix ans pour que soit menée à bien l’opération. « Techniquement, il ne reste plus grand-chose à négocier à la COP30, au sens où il n’y a plus de textes de mise en œuvre à adopter », rappelle à Contexte l’ambassadeur climat de la France, Benoît Faraco. « La question, désormais, c’est comment on continue à progresser dans l’ambition climatique mondiale. » Raison pour laquelle les Brésiliens appellent « leur » COP la « COP de la mise en œuvre ».
2. L’accord de Paris a permis de réduire le réchauffement tel qu’il était projeté
« Si les CDN [engagements climatiques des États] sont respectés, on sera en dessous de + 2,8 °C » de réchauffement, sachant que « chaque dixième de degré de différence représente des millions et des millions de vies sauvées. […] Avant l’accord de Paris, c’était + 4 °C. » Ce rappel, fait le 28 octobre dernier par l’ex-président de la COP21, Laurent Fabius, lors de l’événement « Paris Climate & Nature Week » de Sciences Po, souligne l’apport du succès diplomatique qu’est l’accord de Paris. (Entre-temps, le Pnue a actualisé, le 4 novembre, l’impact climatique de la mise en œuvre des CDN, établi entre + 2,3 et + 2,5 °C).
L’organisme onusien le rappelle : « Les États sont loin de respecter l’accord de Paris ». Ce dernier prévoit de contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de poursuivre « l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C ». Néanmoins, au 1ᵉʳ juin 2024, plus de 100 pays, représentant 82 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont adopté des engagements vers la neutralité carbone, selon le Pnue.
Cerise sur la négo : dans un avis de juillet dernier, la Cour internationale de justice a conclu que la « violation » de ses obligations climatiques par un État constituait « un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité », susceptible d’ouvrir une « réparation intégrale » des pays pollueurs. En dépit du « backlash » écologique à l’œuvre, les pays sont juridiquement liés à leurs engagements…
« Si on regarde l’évolution du risque entre les estimations du 5ᵉ rapport du Giec (2014) et le 6ᵉ (2022) (B33, p. 13), tous les risques ont été réévalués à la hausse » souligne le climatologue Christophe Cassou, coauteur de cet ultime rapport. « On est à un niveau de risques équivalent pour un niveau de réchauffement moindre. Heureusement qu’on a décroché des scénarios les plus émetteurs ! »
3. Le monde est entré dans une nouvelle ère climatique
Pour autant, « l’année 2024 décroche la première place des années les plus chaudes jamais observées en 175 ans », avec une température moyenne à la surface du globe supérieure de + 1,55 °C par rapport à l’ère préindustrielle, selon l’Organisation météorologique mondiale, dans un récent bulletin.
« D’un point de vue scientifique, il faudra encore du temps avant de savoir avec certitude si la limite de 1,5 °C fixée par l’accord de Paris a été atteinte, car celle-ci est évaluée sur une moyenne d’au moins vingt ans », rappelle le Réseau Action Climat.
« Limiter le réchauffement planétaire sous 1,5 °C n’est désormais plus atteignable », soulignait en juin dernier un consortium international de chercheurs, comprenant notamment en France des scientifiques de Météo-France, du CEA, du CNRS et de Mercator Ocean International. Le niveau record de 55 milliards de tonnes de CO₂ équivalent a été émis en 2024, alors que le budget carbone restant permettant d’avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5 °C n’est plus que de 130 milliards de tonnes de CO2 équivalent – un peu moins de trois ans au rythme actuel d’émissions.
4. Des investissements massifs dans la décarbonation
En 2024, les investissements mondiaux dans les énergies « propres » ont atteint près de 2 000 milliards de dollars, plus de deux fois le montant investi dans les énergies fossiles, selon un bilan de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) paru en juin 2024.
Une première historique qui n’avait rien d’évident, vue depuis 2015. Les investissements dans les énergies fossiles s’élevaient alors à près de 1 400 milliards de dollars, contre 1 100 milliards pour les énergies « propres ».
Dix ans plus tard, ces investissements « propres » sont largement dominés par la Chine (800 milliards). Les autres économies émergentes et en développement n’en captent que 15 %.
Fait notable, depuis deux ans les investissements dans le photovoltaïque surclassent ceux réalisés dans toutes les autres technologies, excédant les 500 milliards de dollars en 2024.
« L’accord de Paris a fortement contribué à rendre évidentes les incitations à investir », selon Michal Kurtyka, ex-président de la COP24. « Nous avons les technologies à portée de main. »
5. Énergies fossiles : la hausse de production vient des pays riches
À eux quatre, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Norvège ont accru leur production de gaz et de pétrole de près de 40 % entre 2015 et 2024, constate l’ONG Oil Change International dans un récent rapport. Les États-Unis contribuent à 90 % à cette hausse.
« Dans la soixantaine de CDN déposées » fin octobre, « toutes ont des objectifs quantifiés concrets d’énergies renouvelables, mais quasiment aucune n’a de trajectoire de sortie des énergies fossiles », relève Romain Ioualalen, chargé de campagne politique mondiale de l’ONG basée aux États-Unis.
Ces énergies fossiles restent largement dominantes dans le mix énergétique mondial, à plus de 80 %, a établi l’AIE en mars 2025. La consommation de pétrole, de charbon et de gaz a continué de croître depuis 2015.
« On voit la coexistence de deux économies : une nouvelle, générée par l’accord de Paris, et une vieille économie qui résiste », relève Céline Kauffmann, directrice des programmes de l’Iddri.
6. L’Europe n’est plus perçue comme moteur sur le climat
Y a-t-il encore des grands pays industrialisés alliés des négociations climatiques ? Sollicité par Contexte, le président de la COP30, André Corrêa do Lago, en déplacement à Paris, a poliment botté en touche : « On va voir à Belém. »
En ergotant pendant des semaines sur son engagement climatique à 2035, l’Union européenne, réputée être leader en la matière (en dépit de sa responsabilité historique et actuelle en matière de réchauffement) a clairement fait douter de ses intentions – les ministres européens de l’environnement n’ont d’ailleurs pas réussi, pour le moment, à s’accorder sur un engagement climatique dans la nuit du 4 au 5 novembre.
« Un manque d’ambition sera vu et lu comme un signe de faiblesse », déclarait à Contexte début septembre Laurence Tubiana, architecte de l’accord de Paris et envoyée spéciale de l’Europe pour la COP30. « Il est impératif d’envoyer, tant aux marchés qu’au monde, un message affirmant que l’UE reste résolument engagée sur la voie de l’action climatique, dans ce moment d’instabilité géopolitique. »
« Le leader climatique mondial, ça reste l’UE », fait valoir un représentant du gouvernement français. « Ce dont on discute, c’est d’un objectif de – 90 % d’ici à 2040. Aucun autre “pays” n’a un objectif aussi ambitieux sur la table. Nous représentons 6 % des émissions mondiales, alors qu’il y a quinze ans, c’était encore 12 %. » Une part qui diminue du fait d’une politique ambitieuse de décarbonation, mais aussi parce que les émissions mondiales continuent d’augmenter…
7. La Chine n’a pas pris le relais escompté
Les États-Unis désormais hors du jeu climatique (en réalité c’est la troisième fois qu’ils le sont, puisqu’ils n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto et qu’ils sont sortis deux fois de l’accord de Paris), d’aucuns s’attendaient à ce que la Chine prenne le relais.
« Une bonne partie de la croissance chinoise est liée à l’industrie qui “croit” au réchauffement climatique », selon le président de la COP30, André Corrêa do Lago. « La deuxième économie du monde répète très clairement qu’elle croit à cet agenda. »
Or, le premier pollueur mondial a déçu en annonçant une CDN peu ambitieuse, le 24 septembre lors de l’Assemblée générale des Nations unies. Le pays s’est engagé pour la première fois à réduire ses émissions en valeur absolue d’ici à 2035, mais de – 7 % à – 10 % seulement.
Le pays est connu pour annoncer des objectifs conservateurs, qu’il pulvérise ensuite. « Ils peuvent faire beaucoup mieux », a regretté un diplomate français. « C’est dommage, car ils avaient l’occasion de créer une dynamique. »
D’autant qu’en 2023, pour la première fois, la Chine a dépassé la responsabilité historique de l’Union européenne en matière de réchauffement climatique, selon CarbonBrief, média britannique de référence sur les enjeux climatiques. Ses émissions cumulées depuis 1850 ont atteint 312 gigatonnes, dépassant celles de l’Union européenne (303 Gt).
8. L’urgence climatique va faire bouger l’opinion : fin d’un mythe
Plus les populations seraient exposées à des catastrophes climatiques, plus elles exigeraient une action résolue de la part de leurs gouvernements. Répandu il y a dix ans, ce pari s’est révélé faux. « Cela ne semble pas avoir d’impact sur l’action ou la prise de conscience », confirme Paul Watkinson, négociateur en chef de la COP21 pour la France. « Même si ces catastrophes ont de plus en plus d’impact, cela ne change pas foncièrement le débat politique en Europe. »
« Il fallait écouter les sciences cognitives », plaisante Christophe Cassou. « Ce n’est pas parce qu’on connaît le risque qu’on prend des mesures qui permettent de diminuer le risque, surtout quand on est dans l’incapacité d’agir. »
Pour le climatologue, « les populations les plus vulnérables sont aussi les plus verrouillées dans leurs pratiques qui sont touchées par le changement climatique ». D’où l’importance de la « transition juste », abordée dans l’accord de Paris. Le Giec pose que le concept « implique des mesures ciblées et proactives de la part des gouvernements […] afin de minimiser les impacts sociaux, environnementaux ou économiques négatifs des transitions […], tout en maximisant les avantages pour les personnes touchées de manière disproportionnée ».
9. La désinformation sur la relation aux faits
« Le président Lula […] insiste beaucoup sur le fait que [la COP30] c’est la COP de la vérité », a souligné André Corrêa do Lago. « L’information sur le réchauffement a été très manipulée », selon le diplomate brésilien, qui fait un lien avec le fait qu’« il faut qu’on travaille mieux de ce côté-là, de convaincre les populations » que l’action climatique « n’est pas un agenda négatif, c’est un agenda positif. »
La désinformation climatique existait déjà avant l’accord de Paris, comme pouvaient l’incarner le très médiatisé Claude Allègre ou Vincent Courtillot.
« C’était une confrontation fait par fait. Maintenant, c’est la relation aux faits qui est attaquée. On ne s’accorde plus sur le socle d’échanges commun », reprend Christophe Cassou. « Les États-Unis connaissent une véritable attaque sur les sciences de la durabilité, qui devient la norme. Sous cet aspect-là, le dixième anniversaire de l’accord de Paris est très noir. »