« On est dans l’œil du cyclone. » Lucide, ce lobbyiste sait que l’année prochaine sera difficile pour Temu, AliExpress et Shein. Les trois places de marché chinoises sont suspectées de dumping sur le Vieux Continent, en déversant des produits contrevenant aux standards européens de sécurité et de qualité environnementale, sous perfusion de subventions chinoises et en contournant les droits de douane européens. Elles se retrouvent désormais dans le viseur des lobbys et des régulateurs à Bruxelles, ainsi qu’à l’agenda…
Les cinquante nuances de lobbying des acteurs chinois
Face à cette croisade déjà bien engagée, les plateformes chinoises semblent passives. Si leur communication publique, pour le moins minimaliste, témoigne d’une prudence générale, on peut toutefois distinguer plusieurs approches.- Le groupe Alibaba, qui opère AliExpress, est bien introduit à Bruxelles. Également actif dans d’autres secteurs, comme le cloud, il peaufine son image européenne à l’aide de ses autres places de marché, comme Miravia, en Espagne. En termes de lobbying, le groupe a rejoint au mois de juin l’organisation représentant les plateformes DOT Europe, finance l’association SME Connect et a recours aux services du cabinet de conseil Brunswick. Ce dernier lui a facturé en 2023 entre 300 000 et 400 000 euros pour des missions relatives à l’économie numérique, à la régulation des plateformes, à l’économie circulaire et aux données, faisant d’Alibaba l’un de ses deux plus gros clients. Le discours officiel d’Alibaba reflète sa volonté de respecter le cadre : dans une déclaration écrite à Contexte, le groupe se targue d’une « coopération réussie » avec les autorités européennes, depuis « des années », et souligne son engagement volontaire dans plusieurs initiatives européennes d’autorégulation, comme le Product Safety Pledge, en 2018, ou le Consumer Protection Pledge, en 2023. AliExpress indique en outre être « la seule société chinoise de e-commerce à participer à de tels cadres » et « ne pas avoir eu l’intention de contester sa désignation » dans le cadre du DSA.
- Shein est également présente et active auprès des institutions européennes. La société a plusieurs lobbyistes en interne et a eu recours aux services d’autres poids lourds de l’influence à Bruxelles, comme l’ancien commissaire européen Günther Oettinger, ou le cabinet Global Counsel, dirigé par l’ex-conseiller de Tony Blair Benjamin Wegg-Prosser. L’entreprise est par ailleurs membre de nombreuses organisations professionnelles : l’Ibec (Medef irlandais), l’Anitec-Assinform (lobby italien de la tech), l’Assolombarda (lobby patronal de la région milanaise) ou encore, la Fédération Mondiale des Annonceurs (World Federation of Advertisers, WFA).
- Temu, en comparaison, fait figure de fantôme. L’entreprise – ou plutôt PDD Holdings, sa maison mère – est installée depuis le printemps 2023 dans le centre-ville de Dublin. Plusieurs juristes passés par d’autres entreprises de la tech s’affairent dans ses bureaux, surplombant le parc de Saint Stephen’s Green, ainsi qu’une directrice des relations publiques, arrivée de Chine en mai 2024. Mais à Bruxelles, la société n’est pas inscrite au registre de transparence des institutions européennes et n’apparaît pas publiquement parmi les clients des nombreux cabinets de conseil ou d’avocats qui peuplent la capitale belge. À Paris, enfin, où l’entreprise n’a pas de bureaux, Temu a confié la gestion de sa communication publique à l’agence Jin, fondée et dirigée par le très libéral Édouard Fillias.