Un peu plus de vingt-sept heures de réunions bilatérales, ponctuées de deux séances de discussion en plénière. En toile de fond, un président du Conseil européen qui se démène pour tenter de faire émerger une nouvelle proposition. Voilà comment résumer le sommet extraordinaire du 20 février dédié au budget 2021-2027 de l’Union, qui s’est étiré jusqu’au lendemain. Les chefs d’État et de gouvernement se sont finalement séparés peu avant 20 heures, actant leur échec.
« Tous ont rejeté les ajustements mis sur la table en fin de journée, la discussion a à peine duré 20 minutes », commente un diplomate. « Aussi bien les tenants de l’austérité budgétaire que ceux favorables à une vision ambitieuse. »
Le moment de vérité raté
Pourtant, le temps presse. Le nouveau cadre financier doit être prêt, voté et fonctionnel pour le 1er janvier 2021. Il est censé traduire en chiffres les objectifs des Européens.
« Si nous ne trouvons pas les fonds, nous n’atteindrons aucune de nos ambitions », a lâché le Premier ministre luxembourgeois à son arrivée à Bruxelles le 20 février.
Depuis un an, les chefs d’État et de gouvernement ont en effet multiplié les déclarations communes appelant à faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan des émissions carbone, à embrasser la révolution de l’intelligence artificielle et numérique, et mener à bien la transition écologique de toute l’économie. Comme lors du sommet de Sibiu en mai 2019, puis celui de juin 2019 au lendemain des élections européennes.
Pour y arriver, la Commission européenne a proposé en mai 2018 un budget de 1 136 milliards sur sept ans, soit 1,11 % du revenu national brut de l’Union. Un an et demi après, le chiffre n’était déjà plus que de 1 096 milliards à l’ouverture du sommet, base de la discussion proposée par le président du Conseil. Le vendredi 21, il ne restait plus que 1 090 milliards (voir les détails). Et ces coupes ne sont pas suffisantes pour certains.
L’héritage britannique bien vivant
Ce spectacle de désunion est un coup dur pour une Union qui ne cesse aussi de répéter qu’elle est, au lendemain du Brexit, plus unie que jamais. Or, le budget 2021-2027 est le premier grand test à passer sans le Royaume-Uni. Le Brexit complique d'ailleurs les discussions puisqu’il faut compenser le départ d’un pays qui contribuait plus qu’il ne recevait.
« Quelle image allons-nous donner si nous ne sommes pas capables de nous entendre sans eux ? », se désole une source diplomatique. Les Britanniques étaient pourtant réputés être les empêcheurs de tourner en rond, ceux qui réclamaient toujours plus de coupes. Sauf que d’autres pays ont repris le flambeau, avec vigueur. Autriche, Pays-Bas, Suède et Danemark ont mené la fronde durant les deux jours de discussions.
« L’Allemagne est plus discrète, mais elle nous soutient », ajoute le diplomate d’un des quatre Frugaux, comme ils aiment se faire appeler. Pas question pour eux que leur contribution au budget de l’Union soit supérieure à 1 % de leur revenu national brut. Il est vrai que ce sont ceux qui récupèrent le moins d’argent. Mais si leur vœu était exaucé, cela voudrait dire couper 75 milliards d’euros par rapport à la proposition du président du Conseil, le faisant passer de 1 096 à 1 009 milliards d’euros sur sept ans.
« Si nous gelons le montant nominal de la Politique agricole commune et de la politique régionale pendant sept ans, nous pouvons économiser 40 milliards », commente un de leurs experts du budget de l’Union.
Un sommet qui part en vrille
« Le problème est que ce sont des petits pays, ils se sentent isolés, menacés, d’où leur rhétorique virulente », commente un bon connaisseur du dossier. « En coulisses, beaucoup s’interrogent sur la capacité de l’Allemagne de les ramener à la raison quand il faudra acter un compromis. Angela Merkel a-t-elle encore l’aura nécessaire ? »
Dans l’après-midi du 21 février, l’ambiance a d'ailleurs tourné au vinaigre. Une atmosphère d’aigreur planait sur le sommet. Sur Twitter, chaque camp interpellait l’autre. Le Premier ministre espagnol a mis en scène une réunion avec ses homologues grec, portugais, français, italien et allemand, rappelant qu’ils représentaient ensemble 65 % de la population de l’UE et qu’ils voulaient un budget à la hauteur des nécessités. De leur côté, les Néerlandais ont publié une vidéo avec des petits trains et des personnages en bois pour démontrer la justesse de leur vision.
Enfin, énervés par l’attitude intransigeante des Frugaux, les pays défenseurs de la politique régionale ont annoncé vers 16 heures qu’ils allaient faire une nouvelle proposition à 1,3 % du RNB européen… soit 200 milliards de plus que la ligne défendue par l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark. Une manière de leur montrer qu’eux aussi peuvent réclamer tout et n’importe quoi.
« Les Frugaux ont sous-estimé la résistance des autres », commente une source haut placée. « C'était très dur comme ambiance de discussion. »
L’absence de l’axe franco-allemand
Charles Michel va donc devoir recoller les morceaux avant de pouvoir convoquer un nouveau sommet extraordinaire et faire émerger un compromis. Et combler un manque qui s’est profondément fait sentir lors des deux jours de discussions : l’absence d’axe franco-allemand.
Angela Merkel avait même taclé Paris à son arrivée à Bruxelles, sous-entendant que la France était trop avantagée par les différents scénarios sur la table. Lors de sa conférence de presse finale, vendredi 21, la chancelière a ouvertement reconnu qu’il « n’y avait pas de proposition » commune.