L’illusion aura duré quelques jours. À peine. Officiellement, la politique agricole commune (PAC) ne perdra que 5 % de son financement sur la période 2021-2027 comparé à 2014-2020. Et pour les régions, la baisse ne dépasse pas 7 %.
Mais depuis le 2 mai et la présentation du projet du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE (relire notre article), les diplomates, élus et experts en tout genre ont eu le temps de se plonger dans les détails des chiffres. Et ils racontent une tout autre histoire.
Une réforme de la PAC rendue difficile
Ainsi, les 4 % de baisse annoncés pour les aides directes versées aux agriculteurs via la PAC ne reflètent pas la réalité. Pour les amoindrir, la Commission européenne a utilisé des « prix courants », qui ne tiennent donc pas compte de l'évolution de la valeur de l'argent. Or, entre un euro de 2018 et un euro de 2027, la différence liée à l’inflation est importante.
Du côté du fonds européen agricole de développement régional (aussi appelé 2e pilier de la PAC), la chute est également importante. En euros constants, le Feader va passer de 80 à 70 milliards d’euros, soit une baisse de 13 %.
Ainsi, selon un document de la Commission obtenu par Contexte, à prix constant, les aides directes versées aux agriculteurs (en fonction de la taille de leur exploitation) baisseront de 16 % entre le cadre financier 2014-2020 et celui de 2021-2027.
Pour Luc Vernet, du think-tank Farm-Europe, une telle coupe budgétaire dans les fonds agricoles va rendre très difficile la réforme de la PAC, présentée le 29 mai.
« La PAC est une politique d’investissement. Baisser son budget, c’est baisser la capacité d’investissement des agriculteurs européens. Pour faire face à la transition des modèles agricoles, notamment dans le contexte du changement climatique, nous savons qu’il va falloir investir, sauf à accepter de prendre le risque de voir une restructuration massive, et donc beaucoup moins de fermes et d’agriculteurs demain avec une concentration de la production et une intensification dans les zones les plus productives et un abandon de pans entiers du territoire […]. L’Europe risque de produire moins et de perdre son autonomie alimentaire. Aujourd’hui, la Commission ne porte pas une vision cohérente de l’agriculture. Elle voit la PAC avant tout comme un coût et une source d’économies et non comme un vecteur de croissance et de durabilité. »
La politique de la pêche n’est pas épargnée non plus. Elle va être amputée de 13 % de ses capacités financières.
Haro sur la cohésion
Sur le front de la politique régionale, les nouvelles sont du même acabit.
Le 2 mai, la Commission européenne a annoncé 7 % de baisse. En réalité, le document interne du 18 mai annonce 12 %, avec des situations très inégales. Le fonds européen pour le développement régional (Feder) est stable (augmentation de 1 %). Mais le fonds pour la cohésion perdrait 46 % de sa dotation (de 75 milliards sur 7 ans à 41 milliards).
« La Commission pensait être habile dans la présentation de ses chiffres, mais tout le monde lui demande maintenant des comptes », lâche une source bien informée.
« L’exaspération monte, les bénéficiaires des politiques européennes et les États regardent les choses de façon concrète. Il va falloir que la Commission sorte très vite du flou. »
Des députés furibonds
Lors de la réunion de la commission des Budgets du Parlement européen du 16 mai, les députés n’ont d’ailleurs pas caché leur agacement.
La Française Isabelle Thomas (Générations) met en doute « la crédibilité et le sérieux » des annonces de la Commission du 2 mai.
Même son de cloche pour Jean Arthuis (LRM). Après un premier avis plutôt « bienveillant », il « ne voi[t] pas la même chose en entrant dans les détails », reconnaît-il.
Des réactions qui réduisent à néant le discours du commissaire Günther Oettinger, qui affirme œuvrer pour un budget plus transparent et compréhensible pour les citoyens.
Des contributions en baisse
Cette tension extrême sur deux grandes politiques de l’UE, qui représentent encore plus de 70 % de ses dépenses en 2018, s’explique par le choix de la Commission de ne pas augmenter la contribution des États pour compenser le départ du Royaume-Uni. Tout en assumant d'augmenter fortement certaines dépenses comme la défense ou la protection des frontières (voir encadré en bas).
En effet, de l’aveu même de l’exécutif le 2 mai dernier, le budget de l’UE représente actuellement 1,13 % du revenu national brut des États pour la période 2014-2020 (sans le Royaume-Uni). Le chiffre pour 2021-2027 n’est que de 1,11 %.
Des priorités au budget effectivement en hausse
La Commission veut privilégier de nouvelles politiques. Là-dessus, elle n’a pas travesti la réalité. Selon le document obtenu par Contexte, lors du prochain cadre financier pluriannuel, les fonds alloués à la gestion des frontières de l’UE et aux sujets migratoires vont augmenter de 210 % (de 10 à 30 milliards d’euros) ; la défense passe de 100 millions d’euros à 17 milliards d’euros sur 7 ans et les crédits pour la recherche et l’innovation progressent de 31 % (de 69 à 91 milliards).