« Le travail parlementaire du RN ? Il n’y a quasiment rien à dire. Les députés ne proposent rien et je crois, malheureusement, qu’ils n’en ont pas besoin. » Le constat, livré par un conseiller parmi les plus expérimentés de l’Assemblée, est définitif. Et résume un avis largement partagé par de nombreux parlementaires.
Un an après leur élection, le travail des 88 députés Rassemblement national serait donc particulièrement faible. « On ne leur répond jamais. Les tensions sont rares avec les députés d’extrême droite, car ils sont absents des débats de fond. En commission, ils investissent très peu le champ de l’expertise », va même jusqu’à dire un commissaire aux Affaires économiques, ancré à gauche.
Certes. Mais les députés RN ont participé à 711 réunions de commission. Ils ont suivi les travaux de 39 missions d’information et se sont positionnés, de facto, sur les 141 textes examinés en séance durant cette première année de législature (projets de loi, propositions de loi ou résolutions). Et cet agenda, que les députés RN n’ont pas choisi, les oblige à approfondir de nombreux dossiers.
D’autres sujets que l’insécurité, vraiment ?
« Un an à l’Assemblée nous a permis de nous saisir de sujets bien plus variés, comme l’écologie, l’éducation ou des sujets plus sociétaux », dit aussi Sébastien Chenu. Le vice-président de l’Assemblée cite la proposition de loi sur le harcèlement scolaire ou celle, plus ancienne, sur les zones à faibles émissions. Un groupe de travail sur le logement a été lancé par le député Frédéric Falcon, un autre sur le localisme ou encore sur l’eau. Ces travaux doivent nourrir « un livret sur l’écologie », promet Andréa Kotarac, élu régional d’Auvergne-Rhône-Alpes et collaborateur de Marine Le Pen à l’Assemblée. « Sur ces sujets, le travail au Palais-Bourbon va permettre d’aller au-delà des grands principes, d’être concret », et de « retranscrire techniquement chacune de nos idées », veut-il croire.
Les députés RN « ne se limitent plus au triptyque souveraineté, immigration, sécurité », insiste Jérôme Sainte-Marie, le sondeur qui pilote désormais l’école des cadres du RN. L’analyse des 4 657 amendements déposés par le RN depuis juin 2022 ne lui donne pas tort.
Si l’on met de côté les textes budgétaires et le projet de réforme des retraites, le texte le plus amendé par les troupes de Marine Le Pen est le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables (239 amendements déposés, dont 123 en séance). Vient ensuite le projet de loi nucléaire (230 amendements), loin devant la proposition de loi de prévention de la récidive (185 amendements) ou le projet de loi de programmation du ministère de l’Intérieur (126 amendements).
Obsédés par leur normalisation, les députés RN ont aussi surinvesti « les sujets transpartisans et qui dépassent les clivages », glisse un député MoDem. Aurélien Lopez-Liguori en est le parfait exemple. Le député de l’Hérault a utilisé la présidence du groupe d’étude économie, sécurité et souveraineté numériques pour monter en compétence sur l’intelligence artificielle, la « blockchain » et les enjeux de cybersécurité. Dans ce secteur en « évolution permanente » et qui demande « l’appui de la puissance publique », « il a été facile de rencontrer une quinzaine d’entreprises et de fédérations », confirme ce jeune élu qui s’est intéressé à ces enjeux lorsqu’il était collaborateur au Parlement européen.
Le travail de l’ombre a payé : un amendement cosigné RN et MoDem a été adopté lors de l’examen du projet de loi Jeux olympiques pour favoriser l’installation d’entreprises alliant solutions d’intelligence artificielle et vidéosurveillance. Devant le tollé provoqué, le député a finalement décidé de déposer des amendements identiques sans être cosignataire. Une manière d’éviter l’ostracisation tout en multipliant les chances de voir ses amendements adoptés.
En commission des Lois, même constat : les proches de Marine Le Pen refusent d’être dans une opposition de principe, en particulier sur les textes les plus techniques. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi Gatel sur la continuité de la représentation des communes dans les conseils communautaires, les élus RN ont retiré leurs amendements pour ne pas retarder le processus législatif… laissant les élus Nupes ferrailler sur l’égalité entre les femmes et hommes.
Des inflexions légères. Pour avoir toutes les chances que ses amendements soient adoptés, Aurélien Lopez-Liguori n’a pas hésité à opérer une légère évolution du logiciel RN : c’est la défense des entreprises européennes qu’il met en avant dans ses amendements, et non la seule priorité nationale, afin de s’assurer de leur conformité aux conventions internationales.
Des députés « Control-V »
« Ils ont conscience d’être un groupe pivot, qui peut faire basculer les votes d’un côté ou d’un autre. Leur volonté de peser les pousse à venir parfois au secours du gouvernement », analyse un conseiller parlementaire de la commission des Lois. Autre stratégie : multiplier les amendements identiques aux autres groupes pour s’assurer de leur adoption. Sur le projet de loi nucléaire, par exemple, les huit amendements du RN adoptés en commission avaient également été déposés par d’autres groupes.
L’opportunisme a atteint son apogée lors de l’examen de la niche du groupe, en janvier 2022. Là encore, les députés RN ont choisi des textes particulièrement consensuels. Leur coup de maître : reprendre une proposition de loi de Valérie Létard, adoptée en première lecture au Sénat, créant l’aide d’urgence pour les femmes victimes de violences. « La présidente de l’Assemblée a finalement obtenu qu’elle soit examinée dans le cadre d’une niche transpartisane. En échange, le député RN Emmanuel Taché de la Pagerie a été désigné corapporteur du texte. De ce fait, il a suivi et piloté « l’élaboration d’une loi de bout en bout, de l’audition des associations d’élus, d’aides sociales et d’organismes sociaux jusqu’aux derniers arbitrages avec le cabinet du ministre ». Ou l’art de tirer un maximum de bénéfices politiques d’un texte adopté à l’unanimité sur un enjeu difficilement contestable.
Les collectivités, pour l’amour de la ruralité
« Ce qui est assez nouveau, c’est de les voir prendre fait et cause pour les collectivités locales », note un observateur de la commission des Lois. Les députés RN ont relayé de nombreux amendements venant des associations d’élus, notamment dans le débat sur le zéro artificialisation nette. « Cela leur permet de ne pas être isolés dans l’hémicycle, de revendiquer la défense des zones rurales tout en affichant leur volonté de s’implanter dans les territoires. »
Haranguer dans l’hémicycle plutôt que délibérer en commission
Mais les députés RN préfèrent largement les joutes dans l’hémicycle – ils ont un taux de présence en séance (35 %, selon Datan) supérieur à la moyenne – aux débats subtils des commissions. « Passé les discussions générales, les travées sont rapidement désertées », étaye un conseiller aux Affaires économiques. Et si d’excellents techniciens ont été embauchés au groupe RN, ils ne maîtrisent pas toujours les subtilités de la légistique et du droit parlementaire, constate un autre, habitué de la commission des Finances.
La tentation est donc forte de reprendre clé en main des amendements préparés par des acteurs extérieurs, lobbyistes ou ONG. La fameuse proposition de loi sur les zones franches urbaines a été revendiquée par l’association 40 millions d’automobilistes. De même, le recours devant le Conseil constitutionnel sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables serait, selon La Lettre A, un copier-coller d’un texte préparé par un lobbyiste. De quoi relativiser les chantiers lancés autour des thématiques environnementales.
Des contradictions difficiles à cacher
En commission, où ils sont moins surveillés, les députés RN laissent parfois échapper des convictions plus marquées. C’est avec virulence qu’ils se sont opposés à la discrimination positive prévue par la loi visant à renforcer l’égalité femmes-hommes dans la fonction publique, pourtant soutenue par l’ensemble des groupes à l’Assemblée.
« Les droits des femmes révèlent leurs profondes divisions », signale la députée Renaissance Laure Miller, en évoquant la constitutionnalisation de l’IVG, au sujet de laquelle le groupe RN a explosé en trois blocs. Et si le groupe met en avant son opposition à la réforme des retraites pour afficher son ambition sociale, les élus de gauche ne manquent jamais de rappeler que les députés RN ont voté contre l’augmentation du Smic ou la réinstauration de l’ISF.
Ils ont aussi été pris en tenaille sur la proposition de loi Descrozaille régissant la relation entre fournisseurs et distributeurs. « On avait noté en commission une abstention bienveillante du RN, portée par Grégoire de Fournas [au nom de la défense des intérêts des agriculteurs, Ndlr]. Puis ce fut un revirement soudain en séance publique avec une motion de rejet portée par Jean-Philippe Tanguy », rappelle un député de la majorité. La défense du pouvoir d’achat des consommateurs, alors défendue par Michel-Édouard Leclerc à grands coups d’encarts publicitaires, battait son plein. « C’est une preuve du caractère pyramidal du groupe… et d’une attention toute particulière à la cote de popularité. »
Top 10 des députés RN les plus actifs
Avec 293 amendements déposés, Pierre Meurin, qui siège en commission du Développement durable, truste la première place du député RN le plus actif. Sans surprise, c’est le médiatique Jean-Philippe Tanguy (206) qui vient ensuite, suivi de Yoann Gillet (179), Pierrick Berteloot (150), Victor Catteau (136), Thomas Ménagé (128), Timothée Houssin (118), Laurent Jacobelli (113), Nicolas Meizonnet (109) et Laure Lavalette (104), selon une analyse réalisée par Contexte. La moitié des députés du groupe ont déposé, à titre individuel, moins de 40 amendements.
Le nombre d’interventions (équivalent de plus de 500 signes) confirme qu’une quinzaine de députés concentrent une grande partie de l’activité du groupe. Jean-Philippe Tanguy a le ministère de la parole. Avec 256 interventions en séance ou en commission, soit plus du double de Marine Le Pen (118) ou Laure Lavalette (106), très présente dans les médias. Là encore, les dix premiers sont loin devant le reste du groupe. La députée la moins active est Nathalie da Conceicao Carvalho, avec cinq interventions et trois amendements.