Depuis la rentrée, les relations sont particulièrement houleuses entre Paris et la Commission. À la mi-août, Thierry Breton a envoyé une lettre incendiaire au gouvernement français après la promulgation de deux lois qui entrent en collision avec le DSA et ne respectent pas le principe de pays d’origine. Ce mercredi 25 octobre, le projet de loi Sren est devenu à son tour la cible directe de l’exécutif européen, qui s’est fendu d’un avis circonstancié à la France.
« Le projet de loi notifié relève du champ d’application du DSA », écrit-il sans ambages. Sa lettre, consultée par Contexte, contient deux grands reproches : le premier sur la vérification de l’âge, le second sur le contrôle des très grandes plateformes, déjà supervisées par la Commission.
Une loi, pour quoi faire ?
Premier constat : la France a déjà les moyens d’agir à cadre constant concernant la modération des contenus et l’accès des mineurs aux services en ligne. Autrement dit, selon la lettre :
« Dans ce contexte, la Commission rappelle que, étant un règlement, en règle générale, le DSA ne nécessite pas des mesures nationales d’exécution. En conséquence, dans la mesure où les dispositions notifiées reproduisent ou correspondent aux mêmes obligations couvertes par le DSA, elles ne sont pas conformes au DSA. »
Paris dispose ainsi de l’article 3.4 de la directive e-commerce pour restreindre les services en ligne établis hors de France, mais aussi de l’article 9 du règlement sur les services numériques (DSA) pour émettre des injonctions transfrontalières aux intermédiaires du Net. L’avis circonstancié propose donc au gouvernement d’« exploiter au maximum les flexibilités offertes » par l’article 3.4 de la directive e-commerce.
Vers une "sunset clause" sur la vérification de l’âge ?
En l’état, la vérification de l’âge à l’entrée des plateformes, l’une des mesures phares de la loi Sren, est également contraire au DSA dans la mesure où elle est appliquée à des plateformes étrangères, ajoute l’exécutif.
Mais côté francais, le ministre chargé du numérique se veut optimiste. La Commission « dit clairement qu’on peut y aller, que nous avons le droit d’occuper le terrain », jusqu’à ce qu’une solution technique européenne soit mise en oeuvre, indique son entourage à l’AFP.
Si elle comprend l’envie française d’agir vite, la Commission craint néanmoins que les initiatives de l’hexagone ne préemptent la place des futurs systèmes de vérification de l’âge européens, créés pour fournir des mesures d’exécution « efficaces et ciblées » pour protéger les mineurs (article 35 du DSA). Ainsi, « la loi nationale pourrait prévoir une solution transitoire, mais [le gouvernement] devrait également envisager un mécanisme permettant de retirer ou abroger toute mesure nationale qui deviendrait redondante » avec les systèmes de vérification de l’âge européens, propose la Commission.
Mieux : « Compte tenu de l’expertise particulière de l’Arcom et du PEReN en la matière, la France est appelée à jouer un rôle moteur dans cet exercice » européen de définition d’un système viable. L’exécutif appelle donc la France à « échanger au niveau technique » pour garantir que les efforts français contribuent aux futurs outils européens, « sans entraver ce progrès ».
Pas de surveillance généralisée SVP
L’exécutif rappelle que l’application de la loi ne peut pas être confiée « aux seules autorités françaises », y compris pour les plateformes étrangères et les très grandes plateformes. Il faut donc « aligner » le PJL sur l’architecture du DSA. C’est l’un des grands points d’attention de la Commission, qui surveille d’ailleurs de près le futur arrêt de la CJUE opposant des plateformes et l’Autriche sur la légitimité de règles nationales.
Le dernier grief porte sur l’un des fondements du droit d’internet : l’interdiction pour un État d’imposer la surveillance généralisée des contenus à un service. Pour la Commission, deux mesures du projet de loi Sren posent question : le blocage des comptes créés par une personne bannie d’un service en ligne (tâche qu’il faut confier à l’autorité administrative) et l’obligation pour les plateformes de signaler les contenus pornographiques, alors même qu’elles n’ont pas nécessairement connaissance de leur existence.
Cet avis circonstancié intervient alors que la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi Sren a été reportée et aura lieu au plus tôt fin novembre ou début décembre. Contacté par Contexte, le cabinet de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du Numérique, assure néanmoins que la CMP se tiendra « avant la fin de l’année ». Formellement, cet avis étend jusqu’au 27 novembre la période de gel pendant laquelle la France a l’interdiction de promulguer la loi Sren.
La procédure de notification
Les Etats membres ont l'obligation de notifier tout projet de règle technique à la Commission, en vertu d'une directive de 2015. Le but est de s'assurer que les mesures nationales ne s'opposent pas à « la libre prestation de services de la société de l'information ». Selon la teneur des dispositions, l'exécutif peut faire deux types de remarques aux Etats membres. Première possibilité, la plus indolore, ce sont des observations. Le texte « semble conforme à la législation de l'Union européenne, mais [il] nécessite des éclaircissements quant à son interprétation. L'État membre concerné doit autant que possible tenir compte desdites observations », détaille la Commission. Avec l'avis circonstanciée, l'exécutif hausse franchement le ton : « L'État membre prend en compte l'avis circonstancié et est tenu d'y répondre. » C'est une exigence de modifier le texte en question, sous menace d'action juridique de la Commission. L'avis circonstancié prolonge de quatre mois la période de statu quo ouverte par la notification. Durant celle-ci, l'Etat membre visé échange avec la Commission et les autres Etats membres. (Encadré rajouté le 26/10 à 16h50).