Il y a un an, les lobbys se battaient pour faire modifier la proposition de règlement de la Commission européenne, révélée notamment par Contexte (relire notre article). Aujourd’hui, ils sont toujours à l’affût, mais cette fois-ci ce sont les eurodéputés qui sont dans le viseur. Ces derniers voteront le 22 novembre, en plénière, sur le projet de rapport adopté en commission Environnement (relire notre article).
Peu satisfaits du texte élaboré par la rapporteure Frédérique Ries (Renew), les lobbys industriels espèrent peser pour que les parlementaires rectifient le tir en plénière. Pour maximiser leurs chances, ils essaient de se coordonner autour de demandes horizontales.
« Il faut rallier tout le monde sur un front commun pour éviter d’avoir plein d’amendements », commente un lobbyiste. Car plus il y en a, « plus on dilue l’attention, et ça diminue les chances de succès », appuie un deuxième interlocuteur.
Union sacrée
L’une de ces coalitions de circonstance s’est formée à l’initiative d’Unesda, l’association européenne représentant l’industrie des boissons non alcoolisées. Elle s’est alliée au lobby de la restauration, Hotrec, aux brasseurs de Brewers of Europe, aux producteurs de jus de fruit (AIJN), au lobby de l’agroalimentaire FoodDrinkEurope, ou encore à EuroCommerce, ainsi qu’à de nombreuses associations nationales. Leur cible : l’article 26 sur le réemploi et les objectifs sur les bouteilles. L’adoption du compromis sur le réemploi « s’est jouée à deux voix en commission, rappelle Nicholas Hodac, directeur général d’Unesda. Donc il y a une opportunité » de changer la donne en plénière.
La coalition formule deux demandes dans une lettre transmise le 9 novembre aux eurodéputés. D’abord, supprimer la possibilité pour les États d’établir des objectifs de réemploi plus ambitieux que ceux en vigueur au niveau européen, en prônant la nécessité d’éviter toute fragmentation du marché intérieur. Ensuite, que le règlement « reconnaisse » qu’un emballage réutilisable n’est pas toujours plus bénéfique pour l’environnement qu’un produit à usage unique. Et ainsi permettre aux opérateurs économiques d’être exemptés des obligations sur le réemploi dès lors qu’ils apportent des preuves sur la base d’une analyse du cycle de vie ou qu’ils atteignent un certain taux de recyclage ou de collecte – le premier étant plus exigeant.
En somme, réintroduire la fameuse clause dérogatoire défendue par la commission de l’Industrie (Itre) et la droite européenne, et qui avait été envisagée par la rapporteure de la commission Envi, Frédérique Ries. Une autre coalition, celle rassemblant les industries des emballages en fibre (papier et carton), Fiber Packaging Europe, plaide aussi pour le retour de cette clause. Elle sera vraisemblablement à nouveau proposée pour le vote en plénière, mais la question est de savoir par qui. Selon le groupe ou la commission à la manœuvre, cette clause peut faire pencher la majorité d’un côté ou de l’autre.
Miser sur le bon cheval
Certains observateurs estiment qu’elle a plus de chance de passer si elle est proposée par la commission de l’Industrie que si elle vient d’une alliance des groupes de droite. Car en commission Itre, le rapport adopté est signé par la socialiste italienne Patrizia Toia et a été soutenu par Renew.
Impossible en tout cas de miser uniquement sur la droite. « La proposition gagnante doit venir de S&D et Renew », estime un autre lobbyiste de l’industrie. Ce sont ces deux groupes qui feront la différence en plénière, estiment les lobbyistes, et ce en raison de leurs divergences internes (relire notre article).
« La ligne du groupe est une chose, mais la ligne nationale compte bien plus ici », commente Simon Spillane, directeur des affaires publiques du lobby des brasseurs, Brewers of Europe.
Les lobbys européens mobilisent donc leurs membres nationaux pour faire passer leur message auprès des élus de leur pays. La coalition d’Unesda compte justement dans ses rangs de nombreuses associations nationales, comme Boissons rafraîchissantes de France.
Les lobbys craignent par ailleurs que l’amendement sur la clause soit mélangé à d’autres. « Si d’autres choses sont mises dans la balance, tout le monde ne va pas suivre », s’inquiète un de nos interlocuteurs. Il veut ainsi dissuader le rapporteur fictif du PPE, Massimiliano Salini, de chercher à revoir tout le volet réemploi du règlement comme en commission Envi.
Compétition
Mais l’union sacrée a ses limites et arrive peut-être trop tard. Car au-delà des demandes communes, chaque pan de l’industrie a des intérêts qui lui sont propres.
« Notre priorité est de faire retirer l’exemption dont bénéficie le secteur du vin » sur le réemploi, commente Simon Spillane (Brewers of Europe). Les brasseurs, visés par les objectifs sur le réemploi, s’estiment discriminés vis-à-vis du secteur viticole, épargné par les eurodéputés de la commission Envi. À l’inverse, le secteur des spiritueux, d’abord laissé de côté par l’exécutif, s’est vu ajouté par les parlementaires à la liste des industries couvertes par les obligations sur le réemploi. SpiritsEurope plaide donc auprès des eurodéputés pour bénéficier d’une exemption tout en pointant celle accordée au vin. « C’est une prise de position politique », déplore le lobby auprès de Contexte.
Plusieurs interlocuteurs regrettent que cette négociation ait pris la tournure d’une « compétition entre catégories de produit » et entre matériaux (plastique contre papier, par exemple). Elle fait courir le risque que tout le monde perde.
« Il y a eu beaucoup de plaidoyer de la part de tous, beaucoup d’attaques les uns contre les autres, et les eurodéputés sont agacés. Certes, nous avons tous dû nous faire entendre, car il y avait un manque de compréhension des enjeux du texte. Mais le lobby fait par certains peut être préjudiciable pour d’autres », commente un autre lobbyiste.
Alors, afin d’influencer les eurodéputés avant le dépôt des amendements, le 15 novembre, les lobbys s’allient tout en s’observant les uns et les autres. Toutes les cartes seront ensuite sur la table pour l’ultime partie de cette bataille, lors du vote en plénière, le 22 novembre.