Le sort du règlement sur la restauration de la nature s’est joué à 12 voix près. Au terme d’un long suspense, le Parlement européen, réuni en plénière à Strasbourg, a finalement fait tomber l’amendement de rejet porté par la droite et l’extrême droite et soutenu par une petite partie des libéraux (Renew) : 312 voix pour, 324 contre et 12 abstentions. Les partisans du règlement ont pu compter sur la défection d’une petite vingtaine d’élus du Parti populaire européen (droite).
Après trois quarts d’heure de votes sur les amendements, l’hémicycle a finalement adopté sa position sur ce règlement qui doit permettre de restaurer les écosystèmes dégradés du continent d’ici à 2050. Le tout est passé avec une majorité rassemblant principalement le centre et la gauche, leur garantissant une trentaine de voix d’avance (336 contre 300).
L’échec d’une alliance des droites
« Je me réjouis pour la nature, mais également d’un point de vue politique. C’est une défaite très claire pour la stratégie de [Manfred] Weber », s’est félicité Pascal Canfin (Renew), président de la commission Environnement du Parlement européen et défenseur du règlement.
Il accuse en effet le président du groupe PPE d’avoir pris ce texte « en otage », dans le cadre d’une « alliance politique » avec la droite radicale et l’extrême droite. Le PPE, les Conservateurs et réformistes européens (CRE, conservateurs eurosceptiques) et Identité et Démocratie (ID, extrême droite) appelaient tous trois à un rejet du texte (relire notre article).
Le vote du 12 juillet doit maintenant permettre de tourner la page, espère une source chez Renew :
« La majorité alternative au Parlement européen [qui réunirait le PPE, CRE et ID] n’existe pas. Maintenant que nous avons prouvé pour la millième fois que Renew est au centre, peut-on passer à l’étape suivante, à savoir travailler normalement ? »
Le président des Verts, Philippe Lamberts, met toutefois en garde pour l’avenir : « Nous voyons que la marge est étroite. Ça veut dire que l’enjeu des élections européennes [du printemps 2024] est clair : il faudra construire des majorités solides autour de la poursuite du Green Deal. Ça n’est pas gagné d’avance. »
Une victoire en demi-teinte
D’autant que la droite n’estime pas avoir tout perdu, ce 12 juillet.
« Nous avons beaucoup influencé le résultat du vote », s’est ainsi réjoui Manfred Weber. Son groupe s’était pourtant retiré des négociations au sein du Parlement européen, début juin, estimant que la proposition législative de départ était trop mauvaise pour permettre d’aboutir à un compromis convenable.
Les parlementaires ont en effet adopté un texte très proche de la position de compromis des États, qui revoit à la baisse l’ambition globale du texte. Ainsi, des dérogations aux obligations de restaurer certains écosystèmes sont introduites pour le déploiement d’énergies renouvelables et la défense nationale. D’autres éléments vont au-delà des demandes des États : un amendement limite l’obligation à mettre en place des actions de restauration aux zones Natura 2000, pour les habitats des écosystèmes terrestres, côtiers et d’eau douce. Tous les objectifs de restauration concernant les écosystèmes agricoles sont par ailleurs supprimés, y compris ceux qui concernent la réhabilitation de tourbières, importants puits de carbone.
« Oui, le texte a été édulcoré. Mais nous avons estimé qu’il est mieux d’avoir ce texte que rien du tout. […] Pour la première fois, nous parlons d’écosystèmes qui ont été dégradés et d’un processus pour travailler à leur restauration. Ça reste une première », justifie Pascal Canfin.
Des négociations jusqu’à la dernière minute
Ce soulagement s’explique par l’incertitude qui a régné jusqu’au dernier instant. « Une grande possibilité [que le texte soit rejeté] existe à ce stade », reconnaissait Stéphane Séjourné, président des libéraux, vingt-quatre heures avant le vote. « Nous avons eu peur d’être lâchés par des personnes au sein de La Gauche [gauche radicale] qui pouvaient être tentées de jouer aux gentils contre les méchants », indique un conseiller politique Renew à Contexte.
La veille de la plénière, un point de coordination entre La Gauche, les Verts, Socialistes et démocrates et Renew a été organisé. L’objectif était de s’assurer que quelles que soient les concessions faites aux conservateurs, les groupes voteraient en faveur du rapport final du Parlement.
D’après nos informations, deux réunions au sein de Renew à la veille du vote ont également permis de faire basculer une dizaine de voix dans le camp favorable au règlement dans les heures précédant le scrutin. « Tout ce qui concernait le passage d’une obligation de résultat à une obligation de moyens a beaucoup aidé. Petit à petit, délégation par délégation, un accord s’est dessiné », poursuit notre interlocuteur.
La bataille ne fait que commencer
Le vote du Parlement européen ouvre la voie aux négociations interinstitutionnelles (trilogues) avec les États, qui ont arrêté leur position le 20 juin. « Je suis convaincu que d’ici à la fin de l’année, nous pourrons donner vie à une bonne législation sur la restauration de la nature », s’est félicité César Luena, le rapporteur social-démocrate (S&D) du texte.
Les négociations s’annoncent toutefois mouvementées, avec un Parlement qui sera profondément divisé face au Conseil de l’Union, ce qui pourrait compliquer d’autant l’adoption finale du futur compromis par les élus.
« Maintenant, il faut négocier. Il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas [dans l’accord]. J’espère que les bons amendements vont être consolidés et que ceux qui sont très mauvais pour le texte vont être ajustés », a d’ores et déjà indiqué le rapporteur socialiste.
De quoi susciter de la méfiance à droite. Esther de Lange, vice-présidente du PPE, a immédiatement mis en garde contre de telles velléités : « Nous serons attentifs à ce que l’équipe de négociation du Parlement défende avec honnêteté le vote que nous avons eu aujourd’hui. »